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Dictionnaire Apologétique

DE LA

Foi Catholique

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FIN JUSTIFIE LES MOYENS ? — Dès

lors que l’on se propose une tin légitime et louable, I)eut-on employer des moyens expressément condamnés par la morale ? Des moyens mauvais en soi cessent -ils d’être illicites lorsque le but vers lequel ils convergent est digne d’éloges ? Les Jésuites ont été souvent accusés de répondre aflirmativement à cette question et de formuler la réponse en ces termes expressifs : I.a fin justifie les moyens.

Le grief est de vieille date, et il dure. Il se murmurait déjà dà ; le début du xvn’siècle, dans les publications du calviniste Uumouun ; il fut accrédité par Biaise Pascal. 1m Septième Provinciale prèXe aws. casuistes une certaine méthode de « diriger l’intention ». Le subtil et maladroit a Bon Père » que Pascal se donne à lui-même comme interlocuteur lui dit avec une complaisance satisfaite : « Quand nous ne pouvons pas empêcber l’action, nous purifions au moins l’intention, et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la (in » ; et^’il en faut croire Pascal, cette « merveilleuse méthode » scellerait l’alliance des maximes de l’Evangile avec celles du monde. Certains te.Ktes de casuisles, opportunément étalés l)ar le Bon Père, aident Pascal à soutenir que, si l’on sait les comprendre, et puis les suivre, on pourrait, en dirigeant bien son intention, pour conserver son honneur et même son bien, accepter un duel, l’offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur ou un juge corrompu, tuer pour un démenti, pour uu geste de mépris. Autant d’extensions arbitraires et capricieuses du droit de légitime défense ; et les lecteurs des Provinciales peuvent s’imaginer que les casuistes, voyant un pénitent désireux de commettre un homicide, lui ménageraient ainsi l’occasion de le commettre innocemment. En fait, cette casuistique, issue des mêmes nécessités qui jadis avaient créé la casuistique stoïcienne, était destinée aux docteurs qui ont à trancher des cas de conscience, mais non point aux lidèles qui cherchent une règle de vie ; elle permettait au confesseur d’apprécier et d’évaluer la culpabilité du coupable, en examinant ses intentions ; mais c’est par une sorte de parodie et de caricature de la casuistique que Pascal prête aux casuistes je ne sais quelle malicieuse « méthode » qui rendrait accessible au pénitent la possibilité et la jouissance liu péché, et <|ui, tout en même temps, allégerait sa conscience de tout remords. Dans la préface qu’il a mise au livre du professeur Bokhmer sur les Jésuites, M. Gabriel Monod écrit très justement :

On oublie, ot ! on feint d’oublier, que dans les cas exa minés par les casuistes, où ils déclarent licites ou véniels des actes condamnables par eux-mêmes, il ne s’agit nullement de les faire passer pour louables, mais de détei’mincr dans quelle mesure ils supposent une intention mauvaise et dans quelles conditions peut leur être accordée l’absolution. En outre, toujours en supjjosant que ces ouvrages s’adressent aux fidèles et non aux confesseurs, on donne à certaines expressions un sens diH’érent de leur sens réel. C’est le cas par exemple des mots direction d^ intention. Pascal lui-même jïarle comme si les casuistes avaient permis aux chrétiens de commettï-e des crimes à la condition, en les commettant, de diriger leur intention, non vers le crime qu’ils commettent, mais vers le résultat honnête ou légitime que le crime procurera. Ce n’est jamais ainsi que les choses se présentent. Il s’agit toujours dune chose ncroni])lie. Le devoir d’un confesseur est de s’assurer dans quelle mesure un crime ou une faute ont été consciemment Toulus. s’ils n’ont pas été le résultat d’une impulsion souvent irraisonnée dont le mobile pouvait être innocent ou louable. (Bœhmer, Les Jésuites^ tiad. Monod, p. xLvii-xLviii. Paris, Colin, 1910.)

Dans le détail, du reste, les décisions particulières des casuistes sont susceptibles d’être contestées. Celles que Pascal leur emprunte, et qu’il ne cite pas toujours avec une parfaite exactitude (cf. l’édition des Provinciales donnée i)ar l’abbé Maynard), n’ont pas toutes fait loi, tant s’en faut, ni dans la Compagnie de Jésus ni dans l’Eglise. Et si l’on oulail conclure, de ces décisions spéciales, qu’aux yeux des casuistes allégués la lin justifie les moyens, on se heurlerait au texte même de leurs maximes. Le malheureux EscouAR, dont le petit peuple de Madrid se disputait les reliques, — tant il avait saintement vécu, — au moment même oti Pascal l’exposait à la risée française, écrit textuellement dans sa Théolof ; ie morale : « La bonté de la fin ne rejaillit pas sur un acte qui, dans son objet même, est mauvais ; cet acte demeure, de toutes façons, simplement mauvais ; par exemple, voler pour donner l’aumonc. Un acte mauvais n’est pas susceptible d’avoir, moralement parlant, un caractère de bonté. » (Tlieologia moralis, Lyon, iCSa, 1. 3, sect, i, c. 6.) Ainsi s’exprimait le casuiste que Pascal nous représente comme le plus fallacieux directeur des intentions humaines ; et vraiment il devient malaisé, après avoir lu ces lignes, de répéter ([u’aux yeux du légendaire Escobar

— injustement légendaire — la fin justitie les moyens.

llscmble qu’en France même les critiques de Pascal contre la direction d’inlenlion et les conclusions qu’il en tirait eurent un écho moins durable que le reste de son récjuisitoire ; elles n’ont, par exemple, laissé aucune trace dans l’œuvre anonyme, extrêmement passionnée cependant, qui fut publiée à Paris, eu 176 »,