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APOCRYPHES

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de l’ange aux saintes femmes. L’examen de ce morceau a amené M. Zahn, Das Es-angeliiini des Petriis, Erlangen, 1893, p. li", à conclure que l'évangile apocryphe dérive purement et simplement de nos quatre Evangiles traditionnels, librement arrangés et dramatisés. Mais on y trouve aussi trace de tendances docétiques. En particulier, le pseudo-Pierre représente riiumanité du Sauveur insensible à la souffrance, et le Christ abandonnant sur la croix cette apparence d’humanité pour remonter au lieu d’où il est venu. Cela s’accorde avec ce que Sérapion écrivait à l’Eglise de Rhossus : l'évangile était particulièrement affectionné des docètes, et plusieurs fidèles, pour l’avoir lii, s'étaient laissé induire à leur hérésie. — Le texte dans Nestlé, op. cit., p. 68 ; Preuschen, op. cit., p. 16-20.

Appréciation. — Les apocryphes du second groupe, pas plus que ceux du premier, ne sauraient soutenir la comparaison a^-ec les Evangiles canoniques. Ils sont de composition notablement plus récente, puiscfue le plus ancien d’entre eux, YEvangile selon Pierre, date tout au plus de la période iio-130. Harnack, op. cit., " part., t. I, p. 12 ; II' part., t. I, p. 474- Tous paraissent de simples remaniements de nos écrits sacrés.

Certains de leurs éléments propres sont manifestement inspirés par les préoccupations hérétiques du docétisme ou de la gnose. Dans le reste, ils ne s'écartent des données canoniqties que pour broder sur leur thème des développements fantaisistes, nettement tendancieux, parfois extravagants, et où ne manquent pas de graves erreurs de représentation. Ainsi le pseudo-Pierre imagine Hérode siégeant à côté de Pilate, avec droit de préséance sur le gouverneur. A l’en croire, les soldats cjui montaient la garde près du tombeau en virent sortir trois hommes, les deux premiers soutenant le troisième ; une croix les suivait ; les deux premiers atteignaient de la tête jusqu’aux cieux, celui qu’ils conduisaient par la main dépassait les cieux. Nous sommes loin, on le voit, de la pure et saine littérature évangélique.

Ce contraste même fait ressortir l’incomparable supériorité de nos Evangiles traditionnels. Anachronismes grossiers et embellissements tendancieux de la légende ne font qu’accuser fortement avec quelle exactitude nos écrits sacrés décrivent la Palestine contemporaine de Jésus, et à quel point leurs récits sont demeurés étrangers au travail proprement dit de l’imagination.

D’autre part, les traits de docétisme, rencontrés dans l’Ei-angile selon Pierre, montrent bien quelle tentation ce fut de bonne heure, pour ceux cjui tenaient moins fermement à la vérité de l’histoire, de sacrifier l’humanité du Christ à sa divinité. La tentation était bien naturelle déjà à l'époque de nos rédactions canoniques, puisque dès le temps de saint Paid l’Eglise avait la plus haute idée du Christ, Fils de Dieu, descendu du ciel pour prendre la nature d’homme. Comment se fait-il que Synoptiques et quatrième Evangile ne dissimulent absolument rien de ce qui atteste le plus sensiblement la réalité humaine de Jésus, pas plus dans sa passion et dans sa mort que dans sa vie ? Cela ne s’explique que par leur fidélité d’historiens.

Une dernière chose fort digne de remarque est que nos apocryphes du 11' siècle, quand ils ne sont pas simplement marqués aux noms des chefs gnostiques qui les patronnaient, sont invariablement placés sous le couvert d’un apôtre et que cet apôtre est mis très expressément en relief comme auteur de l'œuvre qu’on lui attribue. XinsiVEi’angile des douze apôtresne manque pas d’employer la première personne du pluriel, lorsque les douze paraissent en scène : « Il fut un homme appelé

Jésus, qui avait environ trente ans ; c’est lui qui 1 nous choisit. « De même est-ce Pierre qui est censé fournir le récit dans l’Evangile qui porte son nom. '

« Quant à jnoi, Simon Pierre, avec André, mon frère, 

nous prîmes nos filets et nous rendîmes à la mer. » Cette particularité atteste l’intérêt qu’offrait aux yeux des chrétiens le témoignage des disciples immédiats du Christ. Mais la préoccupation qu’a l'écrivain d’en instruire clairement le lectetir traliit le faussaire. Double circonstance tout à l’avantage de nos écrits sacres.

De nos quatre Evangiles canoniques, en effet, deux portent le nom de simples disciples d’apôtres, à peine connus : saint Marc et saint Luc. N’aurait-on pas rapporté lieaucoup plutôt le premier à saint Pierre, le second à saint Paul, si l’on ne s'était pas tenu uniquement à la réalité des faits ? Seul, le souci de la vérité a pu imposer l’attribution aux disciples obscurs, ' de préférence aux maîtres glorieux.

Le premier Evangile lui-même n’est mis en rapport qu’avec un apôtre, en somme, fort secondaire, si l’on a égard seulement au rôle qu’il a joué dans l’Eglise primitive. D’autre part, si plusieurs particularités de cet écrit, comme celles des chapitres x, 3, et xi, g, s’accordent bien avec son attribution à saint Matthieu et la suggèrent, elles ne ressemblent en rien aux indications positives et évidentes que sont contraints d’employer les faussaires pour suppléer au manque complet de témoignage extérieur.

Quant au cjuatrième Evangile, il se trouve, à vrai dire, attribué à un apôtre privilégié ; mais il n’est pas moins incontestable que cette attribution est présentée dans le li^re de la manière la plus discrète. Jean n’est désigné par son nom, ni dans le corps de l’ouvrage, ni dans l’appendice. Partout on parle de lui à la troisième personne. Il faut une exégèse attentive et minutieuse pour se rendre compte que c’est bien l’auteur de l’Evangile qui s’identifie au disciple aimé de Jésus, en xix, 35, et xxi, 2^ ; que ce disciple est bien un apôtre, et que cet apôtre est saint Jean. Le contraste de cette réserve avec l’ostentation des apocryphes est une véritable garantie d’authenticité.

Troisième grovpv ::Evangiles prétendus rivaux des canoniques. — Il nous reste à examiner deux évangiles dont quelcjues critiques émettent encore l’hypothèse qu’ils contiendraient un reste de tradition parallèle à celle des Evangiles canoniques, et qu’ils auraient été un moment appréciés dans l’Eglise à l'égal de ces derniers. Ce sont : VEvangile selon les Egyptiens et l’Evangile selon les Hébreux.

Notice. — i" L’Evangile selon les Egyptiens avait cours dans les milieux hérétiques des 111° et ive siècles. Saint Epiphane, vers 377, Ilær., lxii, 2, le donne comme une des sources principales d’où les Sabelliens tiraient leur doctrine hétérodoxe d’une seule personne en Dieu, manifestée sous trois aspects ou modalités. Entre 155 et 234, l’auteur des Philosophoumena, v, 7, atteste que les gnostiques Naasséniens le citaient à l’appui de leurs théories touchant les diverses transformations de l'àme, ou la métempsycose. Clément d’Alexandrie, vers 176-200, le montre aux mains de Cassien, le chef des gnostiques encratites, de Théodote, disciple du gnostique Valentin, et en cite à plusieurs reprises, Strom., iii, 6, 9, 13, un passage dont les encratites s’autorisaient pour condamner le mariage. Antérieurement à Clément d’Alexandrie, nous ne trouvons pas de mention expresse de l’Evangile selon les Egyptiens, mais un passage, semblable à celui qu’il cite comme étant de cet apocryphe, se rencontre, sous une forme plus sobre et sans indication de provenance, dans un écrit du milieu du 11' siècle, connu sous le nom de

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