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1909

FETICIDE THÉRAPEUTIQUE

1910

pour céder à son ami la planche du salut ; et on est fondé à présumer raisonnablement que l’enfant y renonce, puisque condamné à périr avec sa mère, s’il demeure dans son sein, il assure par sa sortie la vie de celle-ci, et se réserve à lui-même quelque chance d’être baptisé. Dans la seconde hypothèse l’acte du chirurgien ne le prive qu’indirectement de ce bien intrinsèque ; car en l’expulsant cet acte a deux effets résultant immédiatement de cette expulsion : 1e salut de la mère que se propose le praticien, la mort de l’enfant qu’il permet.

Cette explication ne peut être admise. En 1896 l’archevêque de Cambrai interrogea le S. -Office sur des opérations « qui par elles-mêmes et immédiatement ne tendent pas à tuer le fruit dans le sein de la mère, mais seulement à ce que, vivant si possible, il soit mis au jour, quoiqu’il doive bientôt mourir, vu qu’il n’est pas encore mùr ». Et le prélat demandait si, pour conserver la mère, on pouvait en sûreté de conscience pratiquer ces opérations. La S. Congrégation, le 24 juillet 1895, répondit négativement ; et, ce qui est notable, elle donna expressément cette réponse comme une conséquence des réponses de 1884 et 1885 relatiA’es à la craniotomie. C’était déclarer que l’avortement prématuré, avant la viabilité de l’enfant, constituait un homicide direct.

Et de fait, sans entrer ici dans le détail des explications physiologiques, le séjour de l’embryon, dans les organes maternels, est plus qu’une condition de lieu et de milieu. Ce n’est pas seulement un moyen extrinsèque devenu nécessaire à sa conservation par suite de quelque circonstance accidentelle, comme la planche pour le naufragé ; ce n’est même pas un élément naturellement requis pour sa vie, mais étranger à son être, comme l’air pour nous. Soudé par son organisme à l’organisme de sa mère, le fétus, tant qu’il n’est pas viable, doit vivre en quelque sorte de la vie maternelle et y puiser sa subsistance et son développement : rompre cette union, c’est l’atteindre lui-même. L’expulser, ce n’est pas seulement le déplacer ; c’est détruire ce mécanisme mystérieux qui établit entre lui et sa mère la communication vitale interne et par conséquent attenter directement à ses jours : y consentir, serait de sa part un suicide et le lui infliger serait à son égard un homicide. De fait il mourra ; cela ne donne pas droit de le tuer.

Le 4 niai 1898, une nouvelle réponse conQrma implicitement les réponses précédentes. On supposait que, vu l’étroitesse des organes maternels, le fruit, s’il prenait tout son développement naturel, ne pourrait plus sortir ; et l’on demandait si dans ce cas on pourrait hâter les couches. Le S. -Office le permit, mais à cette condition qu’on ne le ferait que pour de justes causes, « à une époqiie et d’une manière qui, d’après les contingences ordinaires. pourA^oiraient sidlisamment à la conservation de l’enfant ».

3" Laparotomie et extirpation chirurgicale du fétus. — La solution relative aux couches prématurées en général renfermait celle de la question particulière de la laparotomie et autres extractions chirurgicales analogues. A supposer en effet que, dans ces cas, l’opérateur ne fasse aucune blessure directe à l’embryon — sans cela nous devrions juger de l’acte comme de la craniotomie, — mais qu’il se contente de l’extraire, nous nous trouvons en somme en présence d’un accouchement prématuré. Nous devons donc apprécier ces opérations d’après les mêmes principes que celui-ci. Il n’est pas étonnant que, pour en apprécier l’honnêteté, le S.-Ollice se soit référé aux réponses précédentes.

Il fut saisi de la question à propos des fruits cclopiques ou extra-utérins, qui se déveloi)pcnt, par suite d’al)errations accidentelles, en dehors de l’organe

naturel de la gestation. L’observation a prouvé que souvent ils arrivent néanmoins à terme ou meurent sans complications graves jjour la mère. Mais d’autres fois, pour délivrer celle-ci, il est nécessaire de pratiquer une incision qui permette l’extraction du sac fétal.

Une première fois, le 4 mai 1898, le S. Office avait reconnu la licéité de l’opération, « pourvu que l’on pourvût sérieusement et opportunément, autant qu’il serait possible, à la vie et du fétus et de la mère ».

Cette réponse renfermait quelque ambiguïté.’Une nouvelle question du doyen de la Faculté de théologie de Montréal, en 1900, provoqua une solution tout à fait précise. On demandait s’il était parfois permis d’extraire les fruits ectopiques avant leur maturité, quand six mois encore ne s’étaient pas écoulés avant leur conception, époque où normalement le fruit n’est pas encore viable. Le 5 mars 1902, le S. -Office répondait : « Non, conformément au décret du mercredi 4 mai 1898, aux termes duquel on doit pourvoir, autant que possible, sérieusement et opportunément à la vie du fétus et de la mère. » Et la Congrégation ajoutait : « Quant à l’époque, conformément au même décret, que le requérant se souvienne qu’aucune accélération des couches n’est licite, si on ne la pratique à un temps et d’une manière qui, selon les contingences ordinaires, poui"voient à la vie de la mère et du fétus. »

On le Aoit, toutes ces décisions s’enchaînent et procèdent de la même doctrine ferme et constante. Quoiqu’elles ne soient ni infaillibles ni irréformables, il n’est pas vraisemblable qu’elles soient réformées. Elles expriment la pensée autorisée de l’Eglise et sont maintenant passées dans l’enseignement commun de ses théologiens. Leur principe est le cinquième commandement de Dieu : « Tu ne tueras pas. » On doit apprécier la vie de l’enfant comme celle de la mère non d’après ses chances de durée ou les services qu’on en attend, mais d’après sa dignité morale et ses droits essentiels.

Cependant, même après les dernières décisions du S. -Siège, quelques espèces restent encore en discussion (notamment jiour ce qui est de l’extraction du sac fétal). De graves auteurs hésitent à y voir autre chose qu’un féticide indirect. Dans d’autres cas où le péril de la mère est certain et le péril créé au fétus par l’opération seulement probable, ces auteurs ne croient pas que la mère soit obligée de se sacrifler au danger hypothétique de son enfant. (Cf. Corne-LissE, Compendium theologiæ moralis, II, n. ^91 et 492 ; BuLOT, Compendium iheologine moralis, !. n. SgS, 399 ; Anton’elli, Medicina pasioralis, I, n. 33- ; Li : hm-KUHi. , Theologia moralis, I, n° loii, 11’édit.) Il convient donc de ne pas étendre, au delà de leurs li mites, les réponses du S.-Ollice et de réserver ses déclarations ultérieures.

Mais, même dans ses limites, la doctrine romaine, il faut le reconnaître, a des conséquences, à certaines heures, très rigoureuses. Le devoir exige parfois de l’héroïsme ; il ne cesse pas pour cela d’être le devoir. Toutefois il est équitable de ne pas exagérer le nombre de ces hypothèses : « Les mélliodes de traitement se perfectionnent, disait à la Société scienlilicpie de Bruxelles le D Vax Aubel, les indications de Vavortement médical deviennent de moins en moins nombreuses. ))

L’école obstétricale d’aujourd’hui aboutit, comme l’a dit SciiAUTA ail Congrès de Rome, à la restriction aussi complète que possible de l’interruption de la grossesse. Je ne saurais mieux terminer qu’en citant les paroles du professeur Lavrand, de Lille, dans son récent traité de déontologie médicale Le médecin chrétien : « Le progrèsacondjlérabîmequi, disait-