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FETICHISME

1904

bientôt que le culte des fétiches n’est pas spécial à l’Afrique occidentale : il s’étend à une grande partie de l’Océanie, de l’Amérique, de l’Asie même, de l’extrême Nord de l’Europe, et, d’une façon générale, à la plupart des pays de civilisation inférieure. On le trouve, quoique avec des développements très inégaux, à toutes les périodes de l’histoire, et même de la préhistoire. Aussi, Benjamin Constant a-t-il cru pouvoir écrire que « le Fétichisme a été antérieur à toxite loi positive », et Auguste Comte en a fait le premier stade religieux de l’Humanité, celui d’où le Polythéisme d’abord et le Monothéisme ensuite se seraient peu à peu dégagés, et qui doivent eux-mêmes faire place à la Science.

La réalité est beaucoup moins simpliste. D’abord, nulle part, le fétiche n’est « adoré » pour lui-même, en tant que statue, arbre, animal, pierre, coquillage, lieu remarquable, grotte, montagne, rocher, temple, objet quelconque, rare ou surprenant : il n’a de valeur que s’il est habité ou influencé soit par une âme désincarnée, soit par un esprit indépendant appartenant au monde invisible, soit même par une de ces forces mystérieuses dont la Natiu-e abonde. Aussi, le fétiche qui sort des mains de son auteur est-il de nul effet s’il n’a d’abord été préparé et consacré dans les formes rituelles prescrites ; et il en est de même du fétiche désaffecté, de celui, par exemple, qui figure dans les collections de nos musées. En outre, sous cette appellation générale de fétiches, nous réunissons à tort, en les confondant, nombre d’objets dont la nature est fort différente. — Il y a d’abord ce que l’on pourrait appeler les fétiches familiaux, statuettes en bois, en terre, plus rarement en pierre ou en métal, boîtes, sanctuaires, arbres ou arbustes, petites cases, etc. qui tirent leur valeur des reliques des ancêtres qu’on leur a associées (crânes, cheveux, ongles, cendres, etc.), et qui, reliant le présent au passé, le monde visible à l’invisible, sont destinés à protéger la famille, le village ou la tribu.

— Il y a les fétiches des génies tutélaires de l’homme, incorporant des esprits, des génies ou des forces mal définies, et dont l’action est éminemment défensive, protectrice, préservatrice, ou productrice de santé, de fécondité, d’invulnérabilité, de richesse, de puissance, de bonheur. C’est à cette catégorie qu’appartiennent les nombreuses figures ou représentations consacrées pour les divers besoins de la Aie, la culture, la pêche, le commerce, lesvoyages, la guerre, etc., les préservatifs des villages, des champs, des récoltes, les amulettes, les talismans, les porte-bonheur, tout ce que l’imagination humaine a pu inventer pour conjurer le mal sous toutes ses formes et appeler le bien sous tous ses aspects. — Il y a aussi les fétiches des génies de la Nature, personnifiant, par exemple, la puissance reproductrice de la Terre, nourricière de l’homme, la Mer, les Vents, les Eaux, tel fleuve, telle monlagne, la guerre, la variole, etc. — Il y a les fétiches vengeurs, qui servent aux opérations de la magie noire, et sont destinés à lancer des maléfices et des sorts, à pratiquer l’art de l’envoûtement, à multiplier les morts et les maladies. C’est le cas de ces statuettes chargées de clous que l’on A-oit au Congo. — Enfin, il y a les fétiches vivants, plantes, arbres ou animaux, soit que l’on suppose ces êtres associés à des esprits qui les hanteraient ou que des opérations magiques y auraient appelés, soit que le totémisme en ait fait des alliés, soit que le nagualisme les tienne au serA’ice de l’homme.

Le Fétichisme ne consiste pas seulement dans le culte rendu à l’objet matériel influencé par l’esprit : il faut lui rattacher encore tout ce qui constitue la Sorcellerie ou Magie, la Mantique, la Médecine (entendue comme elle l’est d’ordinaire au pays sauvage).

les initiations, les sociétés secrètes, enfin les croyances, pratiques et cérémonies diverses qui font de cette caricature de la Religion un ensemble fort compliqué, quand il s’épanouit dans son entier développement. Soit, par exemple, un esprit ou un génie, celui du tonnerre, de la mer, ou des vents, tels qu’on les connaît au Niger, à Lagos, au Dahomé, et ailleurs : il a, naturellement, son nom, son sexe (il peut être mâle, femelle, ou l’un et l’autre), son histoire, ses légendes ; il a son fétiche matériel : une statuette, une plante, un animal, une pierre spéciale, un coquillage déterminé, une corne remplie de produits divers et dont chacun a sa signification ; il a son symbole : un bracelet, un anneau, un collier, un tatouage, une marque, que ses fidèles portent comme un signe de consécration et de ralliement ; il a une couleur spéciale qui lui est vouée : le rouge, le Aert, le blanc, etc. ; il a son féticheur attitré, seul autorisé pour composer et consacrer son fétiche, lui offrir les sacrifices requis, lui agréger des fidèles, le conjurer et au besoin l’expulser ; il a sa confrérie ou société secrète, ses fêtes qui se distinguent des autres, ses danses particulières, les offrandes ou sacrifices qu’il accepte, les oracles, sortilèges et services qui sont de son ressort, etc.

Cependant, le Fétichisme ne saurait être une conception systématique, cohérente et partout semblable à elle-même. Il A’arie suivant les pays, les temps et les races, ici se manifestant avec une prodigieuse intensité, ailleurs ne présentant que des formes plus ou moins atténuées. Aussi, a-t-on donné à cette expression des sens d’une étendue très diverse, et Mary Kingsley (ff’est African Studies, p. 96) a pu écrire : « J’entends par Fétichisme la religion des indigènes de l’Ouest africain qui n’ont pas été influencés par le Christianisme et le Mahométisme. » Au fond, le Aague de cette définition en fait la justesse, et l’on pourrait dire semblablement que le Fétichisme est actuellement la religion apparente de toutes les races de civilisation inférieure qui n’ont pas de religion positive : ce qui porterait au chiffre de 150 à 200 millions la population fétichiste du globe (sur i.500 millions d’habitants). Mais le Fétichisme ne s’arrête pas là : par des infiltrations plus ou moins Aisibles, il s’étend à toutes les races, même les plus civilisées, et à toutes les religions, même les plus hautes. Et c’est là précisément sa caractéristique, de n’exister jamais qu’à l’état de parasite, à côté d’autres croyances et pratiques proprement religieuses. Dans notre Europe chrétienne, ou agnostique, éclairée de partout ce que la Science a produit de plus brillant, n’aA-ons-nous pas ces petites cornes en corail que l’on porte contre le mauvais œil, ces figurines en terre ou en cire qui serA-ent à pratiquer l’envoûtement, ces statuettes « porte-Acine » ffu’on Aend chez de grands bijoutiers, avec le fer à chcval, le trèfle à quatre feuilles, la main de gloire, la poule noire, etc ? Toutes ces choses sont fort connues dans nos belles capitales de l’Ancien et du Nou-Aeau Monde. Au Brésil, où l’on aime à se Aanter de marcher à la lumière du positivisme le plus pur, le Fétichisme, coexistant aA ec le Christianisme, est, sur certains points, plus Aivant et mieux organisé qu’en beaucoup de pays d’Afrique ou d’Océanie. (V. Anthropos, 1908, p. 881.)

On peut en dire autant d’Haïti et, en général, des Antilles, où la population noire a une étrange tendance à rcvcnir aux pratiques ancestrales, plutôt suivie que désavouée par nombre de Métis et de Blancs. Il en est de même dans le monde de l’Islam, dans le Bouddhisme, partout. En réalité, le Blanc et le Jaune ne sont pas, en cela, autrement faits que le Nègre, — du moins les différences ne sont que de