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FAMILLE

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la multiplicité d’origines de l’inimanilé ou l’idée que l’homme est la résultante perfectionnée d’une longue suite d’animaux inférieurs, ce qui est loin d’être généralement admis, même dans les milieux non croyants. D’autre part, la famille a dans la société un rôle propre, dans lequel nul pouvoir humain ne la remplacerait adéquatement. Elle doit donc être énergiquement défendue contre toute attaque.

Or, jamais ces attaques n’ont été plus violentes qu’aujourd’hui. Le néopaganisme moderne la veut supprimer. Romanciers et poètes, publicistes et législateurs, sophistes et réformateurs se liguent contre elle. On veut, contrairement à la doctrine chrétienne qui avait fait la iamille grande et féconde, se préoccuper exclusivement des intérêts, matériels surtout, de Tindividu, émancipé de toute autorité autre que celle de l’Etat. Avant donc de retracer l’histoire de la famille au cours des âges, il importe de mettre en lumière sa fonction essentielle et ses conditions nécessaires d’existence.

Section I. — La famille ac point dk vue

PHILOSOPHIQUE ET SOCIAL

§ I. Sa fonction et son utilité. — La famille est une institution de droit naturel, indispensable aux progrès de l’individu, ne fût-ce qu’à raison de sa longue et absolue faiblesse pendant l’enfance, et aux progrès de la société dont elle demeure le type, le fondement et le modèle et qu’elle sert puissamment en conservant son caractère propre au sein des groupements plus étendus. Elle est d’origine divine et représente dans l’humanité l’élément traditionnel, éducateur et progressif à la fois.

La vraie fin de la famille est défaire des hommes, de produire la vie, mais aussi de la conserver ; elle doit former les générations futures. L’enfant naît : nulle créature vivante n’est aussi débile, aussi impuissante à se conserver : il a besoin de soins incessants et délicats pour assurer sa vie matérielle. Combien plus encore faudra-t-il d’efforts pour faire de cet être tout instinctif un homme, par le développement de son intelligence et de sa volonté. Les parents qui l’ont procréé sont tout indiqués pour remplir ce rôle : leur amour commun pour le fruit de leur union leur inspire le dévouement nécessaire, et leurs qualités diverses se complétant permettent de mener à bien la tâche. Il n’est pas de fonction plus haute et délicate que celle d’éducateur. Hors de la famille normalement organisée, qiii a de ce chef une mission providentielle, l’œuvre ne s’accomplira jamais complètement. Dans la famille l’enfant puisera la tradition, la vie intellectuelle et morale tout autant que la vie naturelle ; son caractère et son ànie s’y formeront.

Nécessaire à l’enfant, la famille l’est aussi aux parents, dont elle développera les meilleures qualités, les activités les plus fécondes. A raison même des devoirs qu’elle impose vis-à-vis de l’enfant, l’union sexuelle est ennoblie, la loi impérieuse de la nature animale est relevée : entre les époux s’établit une vraie union des âmes, bien autrement noble et durable que celle des corps ou des intérèts.Puis, ces devoirs étant identiques pour le père et la mère et exigeant la coopération de leurs aptitudes diverses, une égalité morale va naître dans le mariage entre ces deux êtres physiquement si inégaux, l’iiommc et la femme. C’est grand prolit pour celle ci, dégradée, asservie en dehors de la famille régulièrement organisée, égale de son mari en dignité, sinon en capacité civile, dès qu’on lui reconnaît une égalité de devoirs par rapport à l’enfant, qu’on juge avec raison son intervention aussi nécessaire pour donner au dit enfant la vie morale que l’existence physique. Mais la famille va

profiter également à tous ses membres, car elle est la grande école du perfectionnement individuel, du dévouement et du sacrifice, de l’abnégation et du travail.

Laissé à lui-même, l’individu est naturellement inerte et égoïste ; il ramène à sa personne toutes ses affections, tous ses désirs, toutes ses pensées, et c’est à titre tout exceptionnel qu’il se préoccupera de ses semblables. Aussi bien sa destinée est brève, plus courte encore sa période d’activité. Il croira donc avoir assez fait si, aj-ant, tant qu’il était valide, subvenu à ses besoins et à ses jouissances, il s’est prémuni contre les risques éventuels de la vieillesse. Tout change au sein de la famille, qui impose des devoirs multiples : pour les remplir, il faut combattre ses instincts, et dans cette lutte perpétuelle contre soi-même se rencontre ici-bas le principe de la paixvéritable. Mais chacun y trouve l’aiguillon le plusnoble et le plus puissant pour le développement de ses énergies et de son dévouement. Le père voit au delà de sa brève existence. Il travaille pour assurer le bonheur de ses enfants, c’est-à-dire de ce qu’il aime le plus au monde, de ceux qui le continueront après sa mort, dans l’espoir de leur laisser le fruit de son labeur. Du coup, voilà sa vie prolongée, son activité accrue et aussi son dévouement. Les préoccupations personnelles font place chez lui à des sentiments plus élevés, il veut laisser après lui un nom respecté et un héritage. Sans regrets il va se dépenser pour autrui, car, en vertu de cette loi naturelle que l’amour ne remonte pas et que le père aime son fils plus qu’il n’en est aimé, cet amour lui rendra facile un constant dévouement ; or le genre humain ne se perpétue que par une série héréditaire de dévouements. En même temps, la tradition familiale se resserre. Si le père vit dans ses fils et dans les descendants de ses fils, il se rattache aussi aux générations passées, tirant, comme le dit M. Barrés, sa conscience individuellide l’amour de sa terre et de ses morts. Il est « l’addition de sa race » (Blanc oe S. Bonnet) ; il se sent un simple anneau d’une longue chaîne familiale : fort de la tradition à lui transmise, il entend, et son fils le voudra après lui, la maintenir et la transmettre agrandie. Dès lors, aucun souci, aucune peine, aucun labeur ne lui semblera au-dessus de ses forces.

La société tout entière i’a grandement gagner au libre développement de la famille, dont l’infiuence, quand elle est sainement organisée. excède (le beaucoup celle d’un individu, quel qu’il soit. La famille est l’élément social par excellence, la cellule organique agissante qui constituera la nation sans se laisser absorber par elle. Au foj’cr domestique s’affermissent et se perpétuent les caractères, les mœurs et les traditions qui sont comme l’àme des peuples ; là se développent les vertus individuelles, fondement et garanties des vertus publiques ; là se groupent et se prolongent au delà des limites d’une existence humaine des forces qui seraient autrement perdues ou singulièrement énervées. Dans la société familiale, comme en un noviciat fécond, se rencontrent lautorité morale la plus incontestée parce qu’elle s’appuie sur le dévouement, et l’obéissance la plus aisée parce qu’elle est affectueuse. En se rapprochant, les individus deviennent une charge les uns i)Our les autres, et la solidité de l’édifice social est faite de la patience des citoyens à supporter cette charge, de la mesure où chacun s’oublie pour les autres ; L.mkn-NAis a pu dire avec vérité que la n société humaine est fondée sur le don naturel ou le sacrifice de l’homme à l’homme ». Si donc le sacrifice est l’essence de toute vraie société, dont les pires ennemis sont au contraire l’intérêt personnel et la passion égoïste, il n’est pas de meilleure école sociale que la famille, où la joie du