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EXPERIENCE RELIGIEUSE

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abus de mots — mais la yérité pour lui et en lui. Le maître, dit S. Thomas, « movet discipulum par suant doctrinam ad hoc quod ipse per virtutem sui intellectus formel intelligibiles conceptiones ». Sum. theoL, I, q. ii’^, a I. Mais S. Augustin ou les Seolastiques ont-ils jamais cru que l’action intime du « Verbe qui éclaire tout homme » et cette nécessité d’une conviction personnelle rendissent inutile l’appel à la raison, voire aux syllogismes !

L Eglise maintient aussi la nécessité des preuves, parce que seules elles permettent de contrôler ou l’illuminisme ou la supercherie du prédicateur, parce que seules elles peuA’ent établir ces vérités que nous avons montrées indispensables à la religion, col. 1854 et elle exige que le prêtre parle avec autorité, parce que les mystères proprement dits ne peuvent se prouver que par l’autorité de Dieu.

c) Défendant qu’on prenne l’expérience intime comme une perception immédiate du divin, elle n’a point d’objection à ce qu’on l’invoque, soit, sous les réserves expliquées ailleurs, pour amener à reconnaître l’existence de Dieu, ou pour disposer à accepter les mystères de la foi, — nous laissons toutes ces questions aux articles Apologétique, col. 280, Immanence, — soit, après la foi reçue, pour y étudier les motions de la grâce et l’action du démon. — On connaît les règles de S. Ignace a pour le discernement des esprits ». Voir spécialement Mgr Chollet dans Vacant, Dict. de Théol. cath., art. Discernement des esprits.

Inviter les fldèles à « descendre en eux-mêmes », c’est seconder les appels divins, constants mais inécoutés, et montrer ce qu’ils ont de plus persuasif, à savoir leur caractère d’invitation immédiate et personnelle.

d) Quant à conseiller de faire l’épreuve de la vie chrétienne, cela ne se peut sans discrétion.

Rien de plus licite, évidemment, que d’inciter à l’essai des vertus morales ; et rien de plus utile : bien faire prépare à bien voir. Mais on ne peut pousser sans crime à l’expérience d’actes du culte tels que la réception des sacrements. C’est chose intolérable, en effet, de prendre avec quelqu’un, à titre d’essai, des privautés qui ne sont concédées qu’entre amis. C’est d’ailleurs bien inutile : on ne prend pas à l’essai des attitudes qui supposent le don absolu et éternel de soi *, comme est l’amour vrai même envers un homme, et la piété envers Dieu. N’ayant pas le vrai sentiment qui fait la piété, comment en aurait-on une expérience véritable ? Cf. Moisant, Dieu et l’expérience en métaphysique, i>. 268 sq.

Si utile que soit l’appel à l’expérience, il y a danger toutefois, surtout à notre époque de neurasthénie et de sentimentalisme, de favoriser la confusion entre la foi et le sentiment de la foi, entre la dévotion et le goût sensible des choses de la religion. La pierre de touche de la piété, critère expérimental, indiqué par le bon sens et par Dieu même, Joa., xiv, 15, 21 sq. ; I /oa., 11, 3 sq., ce n’est pas le sentiment, ce sont les œuvres. — Probatio dilectiunis exhihitio est operis. S. Grégoire le Gr., Homil.inEvang. xxx, n., P.L., t. LXXVI, col. 1220. Operatur enim magna si est ; si vero operari renuit, amor non est. Ibid., n. 2, col. 1221. — A défaut du succès, c’est la sincérité et l’énergie de l’effort.

1. En ce sens que, comme tout amour véritable contient, au moins implicite, la volonté de sacrifier intérêts et désirs personnels, pour éviter ce qui pourrait offenser gravement celui qu’on aime, il ne peut y avoir pratique religieuse, au vrai sens du mot, sans résolution au moins implicite, sincère, sinon eflicace, d’éviter à jamais toute offense grave de Dieu.

C. — De manière générale, si l’on observe que le sentiment est un facteur d’ordre inférieur, ne participant à la connaissance que par influence de l’âme raisonnable, mais singulièrement puissant, on voit qu’on peut reconnaître son rôle, sans exagérer ses droits. Comme les motions de Dieu, d’ordre affectif, vont à faire comprendre et accepter les idées, qui seules doivent régler la vie, le devoir de chacun, dans le gouvernement de soi-même ou dans son action près du prochain, est de se servir du sentiment, en proportion de ses ressources, sans tolérer jamais que la raison s’asservisse à ses impulsions inconsidérées.

VI. Analogie des expériences entre les religions— Ce qui précède rend aisée la solution d’une objection.

Comme on insiste sur les analogies rituelles et dogmatiques, pour établir l’identité foncière ou même la parité de tous les cultes, volontiers on s’appesantit sur les analogies psychologiques et mystiques. Les uns — et ceci dès que le Christianisme se fut posé dans le monde comme une religion transcendante et exclusive — arguent de la similitude du merveilleux, visions, extases, prophéties, inspiration, cf. Celse dans Origène, Contra Cels., 1. VIII, c. xlv sq., P. G., t. XI, col. 1584 ; cf. 1. VII, c. iii, col. i^a^ ; Julien l’Ap., dans S. Cyrille, Contra Julian., 1. IV, P. G., t. LXXVI, col. 677, 720 ; 1. V, col. 769 ; cf. Orat. vi, éd. Hertlein, p. 289 sq. ; les autres signalent la ressemblance des états psychiques, W. James, Exp. relig.^, p. 420 (angl. 504) ; d’autres appuient sur ce fait que le même Dieu, traA’aillant au fond de toutes les âmes humaines, y fait germer les mêmes désirs et s’éveiller les mêmes prières, si différents que soient les mots, A. Sabatier, Esquisse’, 1. ï, c, 11, § 4, p. 56 sq. ; c. III, § 5, p. 96 sq. ; H. Bois, Valeur de l’exp. relig., c. VI, p. 142 sq.

Le fait a ceci déplus impressionnant pour le fidèle, qu’il lui est facile de répondre aux sophismes basés sur des analogies superlicielles de rites, en invoquant la diversité de dogmes et d’idées qui sont l’àme du culte, tandis que la prétendue parité des expériences religieuses semble précisément lui montrer l’identité dans ce que la religion a de plus intime.

La réponse n’est pas à chercher bien loin.

1* Vices de méthode. — Ce qui frappe tout d’abord, c’est la méthode sur laquelle s’appuient ces airirmations. Elle n’est pas nouA’elle — car on la retrouve chaque fois qu’il est question d’analogies religieuses, liturgiques, dogmatiques, ascétiques, psychologiques

— mais elle est unique et, à ce titre purement critique, elle est jugée.

a) Acceptation des faits sans critique. — Elle n’abandonne en effet l’opposition absolue à la religion et aux miracles, que pour reconnaître du miraculeux et du religieux partout : elle accepte tout, pour égaler tout.

Qu’on reçoive, comme document psychologique, toutes les descriptions où voyants et convertis, vrais ou faux, exposent leur état d’àme ; soit. On en peut tirer quelque conclusion très générale, mais utile, sur les traits communs à la mentalité religieuse authentique ou frelatée (voir plus bas, c). Mais que, sans examen préalable, on reçoive tous ces documents comme véridiques et tous ces faits comme substantiellement identiques, qu’on risque, même à titre d’hj’pothèse, une théorie pour les expliquer, c’est une erreur de méthode manifeste.

Il y a partout des gens qui se disent prophètes. Voilà le fait. Donc sorciers, devins, pythonisses, prophètes d’Israël et saints chrétiens sont individus de la même classe, différents seulement i^ar l’éléva-