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EXPERIENCE RELIGIEUSE

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haute importance pour faire comprendre les formules de la fui, ibid., col. 1 143, 1 166 sq. ; mais ne souffrons pas qu’on nie ou que Ion déprécie outre mesure leur valeur et leur rôle indispensable de représentation.

V. Rôle important de l’expérience comme facteur subordonné. — En fait, parce que toute idée pénètre en nous par les sens, parce que les choses sensibles nous affectent, d’ordinaire, plus que les concepts purs, parce que l’aspect bonté nous séduit plus que i"aspect vérité, le sentiment a chez tous un rôle considérable. Ruineuse, si elle outrepasse ses attributions, l’expérience religieuse a, de ce chef, sous le contrôle de la raison et de l’autorité, une importance indéniable.

A. Dans ses rapports aiec la croyance. — a) En effet, ce sont les expériences commencées qui préparent à comprendre et à accepter les idées. Celle de couleur est incompréhensible à un aveugle, celle de chasteté à un impudique, celle de félicité spirituelle à qui n’a jamais ressenti l’insuflisance des biens présents. De même, certaines expériences au moins confuses, certain goût sensible du vrai, du beau et du bien, sont nécessaires, avant qu’on arrive à concevoir Dieu, dans la conscience claire, autrement que comme un mot sans goût. Cf. art. Dogme, col. 1136.

De là, — c’est un lieu commun de la patristique et de la scolastique, — l’influence si grande des mœiu’s sur les croyances. « La source de tous les maux, écrit Bossuet, c’est que [les plaisirs défendus] nous éloignent de Dieu, pom* lequel si notre cœur ne nous dit pas que nous sommes faits, il n’y a point de paroles qui puissent guérir notre aveuglement. » Serm. sur l’enfant prodigue, éd. Lebarq, t. V, p. 68. Tout change, si le cœur se transforme. « Les mœurs seules me feraient recevoir la foi. Je crois en tout à celui qui m’a sibien enseigné à vivre. La foi me prouve les mœurs ; les mœurs me prouvent la foi. Les vérités de la foi et la doctrine des mœurs sont choses tellement connexes… qu’il n’y a pas mojen de les séparer. » Serm. sur la divinité de J.-C, éd. Lebarq, t. IV, p. 58 1, reproduit, t. V, p. 697.

S. Grégoire de Nazianze l’a dit en une formule plus énergique : « Le fondement de la spéculation, c’est l’action, r/ : « ?( ; -/c/.p è-t’oK^u ôcw/sta^. » Orat. xx, c. 12, P. G., t. XXXV, col. 1080.

b) De plus, comme d’ordinaire la bonne volonté humaine reste en retard sur l’intelligence de ses devoirs, on conçoit que l’action divine dans les âmes ait à multiplier les attraits, à accentuer les consolations elles remords, plus qu’à augmenter la lumière. Les émotions religieuses, de leur nature et pour ce nouveau motif, seront donc plus fréquentes et plus impressionnantes que les conceptions religieuses.

c) Entin, Dieu se donne à mesure qu’on se donne. Il est donc naturel que la pratique de la religion, non servile et extérieure, mais « en esprit et en vérité », amène une plénitutle de satisfaction intérieure. L’intelligence pénétrant mieux la convenance et l’harmonie des dogmes, la volonté trouvant les vrais biens, la sensibilité goûtant des joies vraies, le fidèle voit, comme au concret, la vérité de la religion dans l’évidence sentie de la Aie normale qu’elle procure, cf. art. Dogme, col. 1 167 sq.

Le seul bon sens avertit qu’il en doit être ainsi.

Invoquant de plus des raisons dognuiticiucs, les Pères et les Scolasticiucs ont insisté sur l’accroissement de lumière et de saveur qu’apportent l’union à Dieu, par l’état de grâce (voir leurs commentaires de /.s., VII, 9 ; Joa., XIV, 21 : I Cor., vi, 17, etc.) et les dons du Saint-Esprit, spécialement le don de sagesse, que beaucoup entendent (srty>ie/j<jrt=sapo/) d’une connais sance comme expérimentale des choses de la foi, per quandam unionem ad ipsas. S. Thomas, Sum. theol., II, II, q. 9, a. 2, 1™. Il en résulte, dans le fidèle, une conviction à la fois plus facile et plus profonde : cognitio experimentalis de divina suavitate amplificat cognitionem speculativam de divina veritate ; sécréta enim Dei amicis et familiaribus consueverunt revelari, S. BoxAVENTURE, Jn IV Sent., 1. III, dist. 34, a. 2, q. 2, 2™, éd. Quai-acchi, t. III, p.’^48 ; dist. 35, q. i, p. 77^. tA 778.

d) Par ailleurs, comme l’intelligence des vérités suprasensibles peut difficilement progresser, et consiste, du moins chez le commun, dans une vue moins superficielle à la fois et moins abstraite, non dans un apport nouveau de vérités, tandis que l’épuration de la volonté, la consolation divine qu’elle appelle, la conviction qui en résulte, peuvent croître en quelque sorte sans limite, l’idée restant à l’état faible, le sentiment peu à peu i)asse à l’état fort, jusqu’à donner à croire, si l’on n’y prend garde, qu’il est le tout de la piété. Cf. G. Michelet, Dieu et l’agnosticisme contemporain, p. 322 sq.

e) Mais, si l’on cesse de vivre comme l’on croit, il y a grand danger — les dogmes ne paraissant plus que des idées sèches ou des mots creux — que l’on ne cesse de croire ce qu’on ne connaît plus d’expérience. Si la volonté, à ce moment, se règle, non sur le peu de lumière que l’intelligence lui envoie et sur les devoirs que le magistère ecclésiastique lui rappelle, mais sur les attraits qu’elle ressent, on en vient à passer à la religion qui les satisfait : « nous verrons… une aussi grande variété dans la doctrine que nous en voyons dans les mœurs, et autant de sortes de foi, qu’il y a d’inclinations différentes ». Bossuet, Serm. sur la divin, de J.-C, éd. Lebarq, t. IV, p. 58 1 sq. ; t. V, p. 597 sq. Singulier aperçu sur l’Histoire des variations.’— Au dernier terme, on abandonne toute religion.

De là le rôle de l’expérience :

B. Dans ses rapports avec l’apologétique ou la prédication. — a) D’accord avec leurs principes, le protestantisme et le modernisme doivent dire que la prédication chrétienne n’est pas enseignement d’autorité, mais témoignage. Le prédicateur raconte ses expériences personnelles et cherche à les éveiller chez les autres.

Le Catholicisme admet sans peine la haute importance de l’expérience que procure la Aie de foi : d’elle procède le ton de conAÙction et l’émotion communicative. En ce sens, c’est parce que la tradition n’a pas été une doctrine seulement, mais aussi une piété et un amour, qu’elle s’est transmise d’âme à âme jusqu’à nous.

b) Il reconnaît, suivant la doctrine de S. Augustin et de toute la scolastique’, qu’on ne met pas plus la conviction toute faite dans une âme, qu’on ne met la santé toute faite dans un corps malade ; que le rôle de tout docteur n’est donc que d’amener le disciple, par l’analogie de ses expériences passées, à concevoir et à aimer ce ([u’il ne connaît pas encore, à conquérir non sa a érité — comme disent certains i)ar un

1. Non qu"il reçoive, comme des systèmes prouvés, la théorie aiigustinieiiiie du Maître intrrieur et de l’illumination, cf. PoRTALiK, dans Vacant, Dict.de ihéol. cath., art. Augustin, col. 2334, 2°, cf. 2337 : et les l’iches scolies, S. BoNAVENTtKR, Opéra, éd. Quaracchi, l. I, p. 70 ; t. V, p. 17 S(i. ; j). 315" n. 5 sq., mais il admet, ce qui importe ici, l’action intime de Dieu dans les âmes, pour les amener à une conquête personnelle de la vérité.

Les passages indiqués permettront d’étudier combien à tort ontologistes ou modernistes revendiquent le patronage de S. Augustin.

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