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EXPERIENCE RELIGIEUSE

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juences, ne sont pas tant des déviations accidentelles, que des suites naturelles des principes posés. Le sentiment, en tant que tel, - n’a point de règle, et protestants ni pragmatistes ne peuvent lui en imposer sans contradiction. Règle spéculative ? — Comment le dogme, dérivé du sentiment, peut-il prétendre à le régir ? — Règle pratique ? — Mais il n’y en a pas d’autre, pour l’individu, que l’impulsion individuelle de TEsprit. — Critique des résultats ? — Mais il est trop tard de rai)pliquer, quand le mal est fait ; et, si cette règle qui permet de juger de la valeur des résultats est au-dessus du sentiment, d’où tire-t-elle cette autorité universelle et absolue ?Supposé même qu’elle existe, comment prouver que toute poussée du sentiment qui aboutit à des actes bons vient du bon esprit ? Une impression purement nerveuse peut produire les mêmes effets. Souvent donc nul moyen de distinguer entre névropathie et théopathie.

Quant à la seconde oljservation, nul ne niera qu’un minimum de religiosité, si frelaté qu’il puisse être, ne puisse déjà soulever la nature humaine au-dessus des idéals vulgaires et, en ce sens, lui être utile. L’important est de savoir si le système qui prête à de tels abus peut être tenu pour justifié, en présence d’un autre qui les supprime, autant que faire se peut, en rétablissant le primat de la conscience claire sur le subconscient et de l’effort délibéré sur l’impulsion nerveuse ou sentimentale. La question est de décider si, pour des êtres raisonnables et dans les actes les plus graves, on peut prendre comme règle d’action une faculté et des impressions légitimement suspectes dans tout le reste de la vie.

Ces remarques valent, à proportion, contre le modernisme. La théorie, ni ses conséquences, ne sont chez lui au même stade d’évolution, mais le principe étant le même, l’aboutissement ne peut manquer d’être identique, avec le temps, soit dans l’ordre moral, soit dans l’ordre doctinnal, qu’il nous reste à examiner.

i) ordre spéculatif. — « Prencz-y garde, écrit A. Sabatier ; introduire ce critère de l’évidence religieuse et morale dans la théorie scolastique, c’est y déposer une cartouche explosive, qui la fait aussitôt voler en éclats. Si l’évidence force l’esprit à se rendre, là où elle se produit, elle le laisse libre et même rebelle, où elle ne se produit pas. Toute l’œuvre doctrinale que l’orthodoxie représente est à reviser et à refaire. » Esquisse, 1. I, c. ii, p. 49- « Le chrétien a, dans sa piété même, un principe de critique, auquel aucun dogme, et celui de l’autorité de l’Eglise ou de la Bible moins que tout autre, ne se peuvent jamais soustraire. « L. 111, c. v, p. 280 sq. Les réformateurs, ajoute-t-il, n’avaient pas prévu ces conséquences de leurs principes ; elles n’en étaient pas moins fatales.

— Toute addition affaiblirait ces témoignages.

Je transcris encore : « De Rome à Luther, puis à Calvin, dit W. James, du calvinisme à la religion de Weslcy, du méthodisme enfin jusqu’au « libéralisme » pur, qu’il soit ou non du type de la mind-cure, dans toutes ces formes diverses et successives du Christianisme, auxquelles il faudrait joindre les mystiques du moyen âge, les quiétistes, les piétistes, les quakers, nous pouvons marquer les progrès incessants vers l’idée d’un secours spirituel immédiat, dont l’individu désemparé fait l’expérience, et fjui ne dépend ni d’un appareil doctrinal ni de rites propitiatoires. » Exp. relig., p. l’jrj (angl. 211)’. Analysant la foi de Luther, p. 208 sq. (angl. 2^6 sq.), il y

1. Dans le style plus expressif de W. J. ; « in no essen(lal nced of doctrinal apparatiis ur propitiatory macliinery.n .c lecteur voitque de choses disjiarulcs sont nivelées dans Li mémo plirase.

découvre un double élément, l’un intellectuel, la croyance que Christ a accompli l’œuvre rédemptrice, l’autre — fur more vital… not intellectual but immédiate and intuitive — la certitude que tel que je suis, je suis sauvé aujourd’hui et pour toujours. Au terme de cette évolution, et nous y sommes, on remarque que cette certitude suljjective n’est pas liée du tout à cet élément intellectuel, et peut naître en nous par de tout autres voies. Cf. Leiba, dans AV. James, p. 209 (angl. 246). M. ScHMiEUEL déclare de son côté que a son avoir religieux le plus intime ne souffrirait aucun dommage, s’il devait se persuader aujourd’hui que Jésus n’a point existé », Die Person Jesu, Leipzig, igo6, 1 ». 29, dans J. hTS.TiB.KTo^, L’Encyclique et la théologie moderniste, p. 65. C’est la thèse majeure de W. James : l’essentiel est le sentiment et l’attitude pratique, le reste « surcroyance » libre. Que reste-t-il du dogme ?

— Chose accessoire et secondaire !

— On dirait de même que l’essentiel de l’amour, c’est, dans les états faibles, un certain chatouillement du cœur, dans les états forts, une exaltation mêlée de spasmes. De savoir si l’on considère ce qui provoque ces phénomènes comme quelque chose ou quelqu’un, qui nous soit père ou frère, égal ou supérieui"…, idée adventice, ad libitum : l’important est d’aimer beaucoup.

Un principe qui mène à ces conséquences, lentement mais sùi-ement, mérite d’être examiné de plus près. On verra mieux son insuffisance et comment il favorise la volatilisation de tous les dogmes.

C. Insuffisance de droit. — a) En raison des données que l’expérience devrait fournir. — Qui se refuse à confondre amour humain et amour animal exigera, avant d’aimer, de savoir si l’objet est aimable, dans quelle mesure et à quel titre, même s’il sent, aux tendances incoercibles de sa nature, qu’elle est sociable et faite pour aimer. Ainsi qui veut agir en homme voudra, avant de céder aux tendances religieuses qu’il éprouve, se rendre compte de ce qui les justifie et examiner de quelle manière il est raisonnable de les satisfaire. « Un plus grand d’où nous vient le secours », un dieu-fini, un dieu-nature, dont nous serions partie, ne sont pas des êtres qui puissent fonder une morale et une religion. La raison déclare qu’un Absolu distinct du monde peut seul engendrer une obligation absolue. Comme le sentiment ne peut dire si le divin vers lequel il se croit attiré, ou par lequel il se croit impressionné, est immanent ou transcendant, contingent ou nécessaire, partie du monde ou son Juge suprême, en se refusant à prendre l’émotion religieuse comme fondement exclusif ou principal de la foi, l’Eglise ne défend pas seulement ses dogmes, mais encore les droits de la raison et la dignité de l’homme.

b) En raison de la manière dont l’expérience nous renseigne. — De fait, en quoi consistent ces phénomènes de l’expérience religieuse, non dans les cas de miracles, mais dans l’ordre ordinaire, le seul en question ici, puisqu’il s’agit du critère commun de la connaissance religieuse ! Consolations ou désolations intérieures, qui semblent un abandon ou une rédemption, une récompense ou un châtiment ; atonie ou énergie sentie, qui paraît un secours providentiel ; en un sens plus large, connexions d’cvénenumts qu’o « peut prendre pour une réponse ù la prière. Qu’il est diflicile d’exprimer quelque chose avec si peu de signes !

Encore, d’autres que Dieu s’en servent-ils avec lui ! Le même sentiment de joie accompagne d’illumination et de réconfort i)cul être j)roduit soit par Dieu, soit par l’acceplation volontaire d’une hypothèse