Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/932

Cette page n’a pas encore été corrigée

1847

EXPERIENCE RELIGIEUSE

1848

La même thèse de la corruption foncière, après la chute originelle, et de l’impuissance radicale du libre arbitre, amenait à professer que tout est péché dans l’homme, à moins que la grâce — c’était pour le jansénisme la charité entraînant la volonté par une délectation nécessitante, delectatio victrix — ne lui fasse opérer le bien.

L’influence de ces idées sur Pascal oblige à distinguer avec soin, dans ses opinions, ce qui est ou psychologie pénétrante ou contamination regrettable, cf. Pensées, éd. des Grands Ecriv., t. L p. clxxvi ; t. ii, p. i’^5, 201 et notes ; t. III, p. /J, note 2 ; cf. Chossat, loc. cit., art. Dieu, col. 803 sq. La i-aison y est souvent déprimée outre mesure, la religion parfois trop identifiée avec l’émotion du cœur’.

c) Les Discoin-s de Schlkier mâcher, « publiés en 1799, ouvrent avec la dernière année du siècle, écrit un auteur protestant, une nouvelle ère pour la chrétienté ». E. Stroehlin, dans Licutenberger, Encycl. des se. relig., 1881, t. XI, p. 506. Atout le moins, marquent-ils ime modification considérable dans la dogmatique réformée. Jusque là, elle avait surtout invoqué l’expérience intime comme la raison individuelle de la foi ; à partir de cette époque, elle la regarde de plus en plus comme le fait religieux fondamental, d’où l’on déduira l’objet de la foi.

Les théories de Schleiermacuer ont été développées par l’école d’Erlangen (Hofmann, Franck surtout, Daxer…). L’école de Ritschl (Herrmann, Reischle, Hæring…), tout en invoquant l’histoire, aboutit à un fidéisme analogue. Cf. M. Goguel, IV. Herrmaun et le problème relig. actuel, in-8°, Paris, 1905, p. 189 sq. Ces vues ont été vulgarisées en France par A. Sabatier. « La piété n’est rien, dit-il, reprenant le mot de Pascal, si ce n’est Dieu sensible au cœur. » Esquisse d’une p/iilos. de la religion, 7’éd., in-8 « , Paris, 1908, 1. III, c. 11, p. 269. « Le phénomène religieux… a trois moments… : la révélation intérieure de Dieu, laquelle produit la piété subjective de l’homme, laquelle à son tour engendre les formes religieuses historiques », p. 268. Les interprétations de ces révélations en formules humaines diversifient les Credo et les religions. Plus parfaites dans le Christianisme, elles doivent cependant, parce que tout évolue, être sans cesse tenues à jour. Cf. Les relig. d’autorité et la relig. de l’Esprit, 2’éd., in-S », Paris, 1904, p. 528 sq., 561 sq. C’est la théorie dite symbolo-fidéisme. Cf. Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1900.

d) Au même courant de pensée se rattache le modernisme, cf. LoisY, Autour d’un petit livre, in-12, Paris, igoS, p. 196 sq. ; L’Evangile et l’Eglise, in-12, Paris, p. 66 sq., 174 sq. ; et G. Tyrrell, Bights and limits of theology, dans la Quarterly Beview, 1906, p. 406 ; Through Scylla and Charvbdis, in-12, Londres, ’907, p. 208, 306 sq., etc., bien qu’il se défende du sentimentalisme de Schleiermacher, Lex credendi, in-12, Londres, 1906, p. i, c. iv, p. 15 sq., p. 261 sq. et s’en sépare en fait par ses efforts — ineliicaces — pour maintenir aux formules dogmatiques quelque valeur intellectuelle et à l’Eglise quelque autorité doctrinale, cf. Théologisme, dans la Bévue pratique d’apo 1. Sans doute, la religion intéresse au plus haut point le cœur. Ce n’est ni un cérémonial de politesse tout extérieure — une étiquette ; ni un ensemble de pratiques pour s’assurer la protection divine — une recette ; ni une adhésion platonique à la vérité connue — une sagesse ; c’est surlout un rapport d’aiïection filiale de l’homme à Dieu — une amitié.

Mais de cette amitié, comme de toute autre, la sincérité et l’intensité se mesurent, non à la sensibilité, affaire de tempérament, mais à la délicatesse du cœur, affaire de libre générosité.

logétique, 1907, t. IV, p. 499-527 ; cf. Programma dei modernisti, in-8°, Rome, 1908, p. 97 sq.

e) La « philosophie nouvelle » avec M. Bergson rejoint des conclusions assez semblables, en partant de principes tout différents. La réalité, à ses yeux, est un mouvcment infiniment riche. Plus on y participe passivement, dans la conscience simultanée des impressions musculaires, du sentiment, du vouloir et du connaître, plus riche est l’intuition qu’on en obtient, car moins on la morcelle et moins on la déforme, sous prétexte de la comprendre. L’expérience de l’action est donc seule révélatrice ; nos idées abstraites ne sont bonnes que comme recettes pratiques ou formules schématiques d’actes à produire. Ce panthéisme idéalo-pragmatiste, M. E. Le Roy a tenté de l’adapter à l’orthodoxie catholique. Les dogmes ne seraient non plus que les formules privilégiées, propres à nous disposer à expérimenter Dieu dans l’action religieuse.Z^o « me et critique, ^’éd., in-12, Paris, 1907.

/) Au pragmatisme qui précède, W. James a pris ses critiques de Tintellectualisme, A pluralistic universe, in-S", Londres, 1909, lect. v, p. 214, vi, p. 226 sq., à la mind-cure^ son inspiration religieuse, au positivisme son agnosticisme et sa méthode strictement expérimentale. Etudiant toutes les manifestations religieuses en tant que phénomènes psychologiques, il en montre les caractéristiques communes, les juge légitimes (au nom de son critère de la Aaleur), parce qu’utiles à l’humanité. Ces attitudes pratiques partout semblables et ces émotions individuelles, analogues malgré leurs divergences, seraient l’essentiel de la religion. Libre à chacun de les expliquer par les hypothèses ou « surcroyances » qu’il lui plaît. L’expérience religieuse, 2" éd., in-8% Paris, 1908, p. 405 sq^(i" éd. angl. p. 485 sq.). Les préférences de W. James vont — car il n’est dilTicile en fait de logique que pour les systèmes intellectualistes — vers une sorte de panthéisme, mais pluralistique et finitiste, A pluralistic universe, p. 310sq. et passim.

Pour ce pliilosophe, nombre de phénomènes de l’expérience religieuse, conversions, motions subites, impressions de secours, s’expliqueraient par les ébranlements du subconscient. Par le seuil 2 delà conscience, le divin entrerait en relation avec nous et certaines crises religieuses s’expliqueraient par l’irruption dans la pleine conscience d’impressions indistinctes, accumulées plus ou moins longtemps dans ses régions obscures. L’exp. relig., p. 196 sq. (angl. 280 sq.), 898 sq. (angl. 477 sq.).

g) M. H. Bois adopte cette thèse capitale, La valeur de l’exp. relig., in-12, Paris, 1908, c. v, p. 114 sq., pendant qu’il essaye, avec une critique d’ailleurs pénétrante, de prouver, par les caractères de ces phénomènes, qu’on est endroit d’admettre au delà d’eux, comme au delà de l’expérience sensible, un noumène qui serait Dieu, c. i, p. 12 sq.

Conclusion. — Au terme de cette brève esquisse, le lecteur entrevoit les caractéristiques de ces thèses.

Pour bien saisir leur individualité, il conviendra de noter les philosophies cjui les supportent.

MM. W. James et H. Bors, par leurs A’ues sur les

1. La rnind cure et la Christian science sont une sorte de thérapeutique, très en vogue en Amérique. Elles s’essaient à relever le tempiérament par suggestion de vues d’ordinaire panthéistiques, ])lus ou moins mêlées de christianisme, cf. W.James, Expér. relig., p. 80 sq. (angl. p. 94 sq.).

2. « Dans la psychologie moderne, on appelle seuil le minimum d’excitation nécessaire pour produire une sensation. » W. James, £’.J7>. relig., p. 111 (angl. 134) ; d’où la conception de conscience subliminale, p. 196 sq. (angl. 230 sq.).