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EXÉGÈSE

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Cette division à cloison étanclie dans l’àme humaine est inacceptable. Du reste, elle est impossible. Les diverses sciences peuvent bien être autonomes, avoir leur objet propre et l’atteindre par des méthodes distinctes ; mais elles ne sauraient prétendre à jouir les unes vis-à-vis des autres d’une indépendance absolue. Forcément, les sciences particulières dépendront de celles qui présentent un intérêt plus général, la mécanique ne réussira jamais à s’affranchir des mathématiques. Sans perdre l’autonomie qui lui convient, l’exégèse restera solidaire de la logique majeure et de la théologie.

Au témoignage d’un protestant, peu suspect de partialité à notre endroit, l’exégèse catholique se trouve vis-à-vis des exigences de l’exégèse historique, telle que les critiques indépendants l’entendent, dans de meilleures conditions que l’exégèse protestante.

« Les rapports entre l’histoire et la doctrine, écrit

Pf.rcy Gardner, sont à l’heure qu’il est, pour toutes les branches de l’Eglise chrétienne, une brillante question… Or, il est de tous points évident que l’Eglise de Rome est dans une situation exceptionnelle pour faire des concessions à la science historique, puisqu’elle n’a jamais édilié son système de croyances sur le texte de l’Ancien et du N. T., comme l’ont fait, pour notre plus grand malheur, les Réformateurs du XVI’siècle. » Hibbert Journal, 1904, p. 127 ; cf. A. Sabatier, Les Relig. d’autorité et la Relig. de V Esprit, igo/i^, p. 306. Mise à part l’idée peu exacte que M. P. Gardner se fait de notre dogmaticpie, il est certain que le dogme catholicjue, aussi bien par ses origines que par ses moyens de conservation, ne saurait être irrémédiablement compromis par la ruine d’un texte dont la critique viendrait à démontrer l’inauthenticité ou l’exégèse erronée.

P. Lagrange, La méthode historique surtout à propos de VA. T., 1903. P. Lemonnyer, Théol. positive et théol. historique, dans la Bévue du Clergé français, i" mars 1908 ; cf. 1" oct. 1908. J. Fon’taine, dans Zrt Science catholique, mai 1908, cf. mai 1904 ; Lievue du Clergé français, mai 1904 ; cf. La Théologie du A’. T. et l’évolution du dogme, 1906. F. Dubois, dans la Revue du Clergé français, 15 fév. 1904, i" mai 1904. avril 1908, oct. 1909, p. 28. P. Brucker, L’Eglise et la Critique biblique, 1907, p. 28, 289. Mgr Mignot, L’Eglise et la Critique, 19 10, p. 71, 89 ; cf. Bévue du Clergé français, 15 dcc. 1901.

III. Exégèse, Tradition et Église. — i. État de la question. — De tout temps l’Eglise a revendiqué un droit de contrôle et, au besoin, de magistère sur l’explication des Ecritures. C’est un fait établi par le témoignage historique. Les textes à ce sujet se trouvent réunis dans tous les cours de théologie, spécialement dans Franzelin, De div. Trad., sect. III, th. xviii, XIX, et, avec plus de développements, dans Bellarmin, De verbo Dei scripto, lib. III. Les plus anciens de ces témoignages sont déjà aussi signiûcatifs que les plus récents. Voir S. Irénée, II, ix, x ; III, iMv ; IV, XXVI, xxxiii. Aujourd’hui, des protestants ne font pas difficulté d’accorder que le magistère de l’Eglise en matière d’exégèse biblique est normal. Cf. « Dict. of Religion and Ethics « , 1909, II, art. liibliolatry ; Hibbert Journal, oct. 1908, The Bookless Religion. Plusieurs conviennent que la nécessité d’un magistère extérieur au texte sacré est déjà enseignée dans lia Petr., i, 20. Voir ci-dessus II, 1% «. A défaut de cette preuve, d’autres comprennent que, dans toute société sagement organisée, un code ne saurait être abandonné à l’interprétation privée.

L’exégèse ecclésiastique est dite authentique, parce qu’elle tire sa valeur propre non pas des raisons d’ordre scientifique, mais de la mission qu’elle a reçue

de l’Auteur même des Ecritures, C’est de cette mission qu’elle dérive sa compétence ; et elle l’exerce par voie d’autorité. Ici, comme pour le reste, son magistère peut prendre deux formes, selon qu’il s’exprime par l’enseignement quotidien, conforme à la tradition exégétique communément reçue ; ou bien par l’intervention extraordinaire du Siège apostolique. Sous cette dernière forme, les manifestations du magistère ecclé siastique peuvent être des définitions proprement dites (conciliaires ou extra-conciliaires), ou des décisions d’ordre inférieur. Voir Congrégations romaines, p. 892 ; cf. L. Billot, De Ecclesia, th. XIX.

2. Zrt législation de l’Eglise, sa nature, son objet.

— a) Cette législation tient essentiellement dans deux décrets promulgués par le concile de Trente, et par le concile du Vatican. Denz.^o, 786(668), 1788(1687). Tous les actes subséquents de l’autorité ecclésiastique en cette matière sont comme autant d’articles organiques de cette double décision conciliaire. Cf. Denz.^f^, 995, 1942, 2002, 2004. Par son objet, le décret du concile de Trente (celui du Vatican n’a fait que le renouveler) est disciplinaire, il s’agit d’abus à prévenir et à réprimer ; seulement, il se fonde sur un principe d’ordre dogmatique, savoir que l’interprétation de l’Ecriture n’est pas livrée au libre examen, mais relève du magistère ecclésiastique.

D’où il suit qu’on ne saurait soutenir avec Jahn, Lntrod. in libr. V. T., p. I, § 91, que cette législation est de tous points révocable, qu’elle impose à l’exégète catholique une obligation purement négative : celle de ne pas interpréter l’Ecriture en un sens qui soit contraire au dogme catholique, ou encore à quelque interprétation unanimement reçue des Pères ; mais que, du reste, il lui est loisible de donner ses préférences à une explication différente. A ce compte, l’exégèse traditionnelle ne serait plus qu’une norme négative, elle nous apprendrait comment nous ne devons pas interpréter l’Ecriture, mais non pas comment il faut l’interpréter. C’est précisément cette manière d’entendre le décret du concile de Trente que le concile du Vatican a entendu exclure : « Quoniam vero quae Sancta Trid. Synodus de interpretatione divinæ Scripturae ad coercenda petulantia ingénia salubriter decrevit, a quibusdam hominibus prave exponuntur. Nos… declaramus… is pro vero sensu sacræ Scripturae habendus sit queni tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia. »

b) Pour préciser l’objet et la portée du décret du concile de Trente, il suffît d’en peser tous les termes.

1° Ln rébus fidei et morum. — Cette incise, qui passa sans dilTiculté à Trente, fut l’objet d’une vive discussion dans le concile du Vatican. Plusieurs Pères prétendaient qu’elle restreignait indûment le droit de l’Eglise. Mgr Gasser, rapporteur de la commission conciliaire Pro fide, ne nia pas le caractère restrictif de la clause, mais se contenta de répondre que, nonobstant les termes du décret, l’Eglise gardait le droit inaliénable de juger et de condamner toute interprétation qui porterait atteinte au dogme de l’inspiration ou à l’inerrance biblique, même si cette interprétation portait sur des passages n’intéressant pas directement le dogme et la morale. Const. Concil. Frt</c. dans la Collectio Lacensis, VII, p. 226. L’incise

« in rébus fidei et morum » limite, tout au moins

de fait, l’objet direct du magistère ecclésiastique aux choses qui par elles-mêmes concernent la foi et les mœurs.

D’une façon plus précise, que faut-il entendre par

« les choses qui concernent la foi et les mœurs » ? On

discute à ce sujet. M. Vacant, Etudes théol. sur les const. du conc. du Vatican, 1896, I, p. 628, pense qu’il ne s’agit pas de distinguer dans le contenu