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ÉVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L’)

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les évolulionnistes en donnent, cependant. Examinons ce qu’ils valent.

Les deux premiers : servir le progrès et viser au maximum de vie, sont, dans leur généralité, susceptibles d’un excellent comme d’un détestable sens, et il n’y a rien à en dire !

a Observe l’hygiène » et, pour préciser à la manière de certains manuels scolaires, évite les foj^ers de microbes infectieux, prends soin de te nettoyer, sans omettre le dessous des ongles et les replis du pavillon de l’oreille… Voilà, sans conteste, un bon conseil et tout le monde doit applaudir aux heureuses applications qu’en tire H. Spexcer dans son livre de Education, mais, comme il est insullisant, surtout juxtaposé à cet autre : Jouis ! Sans que j’y insiste, tous comprennent combien de vices sont compatibles avec l’hygiène et ne causent à la santé aucun dommage appréciable. Nous sommes bien déchus de l’idéal clirétien, si délicat, si vigilant, interdisant même les désirs secrets : « Omnis qui viderit mulierem ad concupiscendam eam, jam moechatus est eam in corde suo. » (5. Mat., v, 28.),

Aucune société ne peut vivre, et à plus forte raison prospérer, sans un minimum de dévouement ; les chefs, à tout le moins, doivent penser au bien public ; et cela ne suffirait point, il est nécessaire, pour qu’une société subsiste au milieu des compétitions parfois féroces des autres sociétés, qu’un nombre assez considérable des citoyens se préoccupent des intérêts communs. Un pays où chacun s’enferme dans sa vie priAée, où le service des armes est livré à des mercenaires étrangers, où un grand nombre de citoyens préfèrent le célibat, où les mariages sont stérilisés par l’égoïste amour du bien-être et de la fortune, périclite et descend vers l’agonie. Ce spectacle s’est vu dans l’empire romain, et la plus grandiose, la plus forte, la plus savante organisation politique qui ait jamais été réalisée, n’a pu résister au dissolvant égoïsme ; plus qu’elle n’était ébranlée par les coups des barbares sur ses frontières, elle était intérieurement rongée et’désagrégée par manque de vertus civiques. Ce dépérissement d’un grand corps en évoque un autre, dont un Français de 1910, sentant son impuissance à y porter remède, se hâte de détourner ses regards. (Cf. l’ouvrage de George Deherme, Croître ou disparaître, Perrin, 1910.) — Je dirai plus, outre une certaine moyenne habituelle de dévouement, l’existence d’une société exige à l’occasion le dévouement héroïque, le sacrifice complet, de la part de quelques-uns de ses membres, des biens et de la vie. Pour’que nous puissions en sécurité vaquer aux douces relations de la famille et de l’amitié, pour que nous puissions étudier, prier, travailler, il faut qu’il existe des officiers et des soldats prêts à se faire tuer, des gendarmes et des agents qui parfois risquent leur vie, des mécaniciens et des marins, des mineurs enténébrés dans les entrailles de la terre : tout le vaste édifice sociales ! porté par ces humbles dévouements. Et à moins d’en revenir à l’institution de l’esclavage, la morale doit fournir à tous ceux-là des raisons de travailler, de souffrir, de s’exposer et de mourir.

Ces dévouements sont de nécessité continue, il en est d’autres plus intermittents et, soit à raison de leur rareté, soit parce qu’ils paraissent plus consciemment consentis, de plus cotés. Un médecin ou un prêtre, en temps d’épidémie, s’exposent à la contagion. Un chimiste manipule, pour l’avancement de la science et le progrès général, des corps dangereux. Pour le bien de tous, des initiateurs, Christophe Colomb et des explorateurs jadis, aujourd’hui des aviateurs, offrent, somme toute, leur vie, et l’ofïre n’est pas toujours un simple beau geste. — Plus haut

encore, des âmes fières et fortes bravent l’exil, la misère, la mort, pour maintenir, contre la tyrannie, des principes nécessaires. Tout cela, à certains jours, est un pain indispensable à la vie sociale.

Le spectacle lui-même des dévouements spontanément offerts, par delà la mesure de la nécessité stricte, est très utile au bien commun. Les petites sœurs des pauvres, les sœurs de Saint-Vincent de Paul, la société des Missions étrangères, outre leurs tâches définies et bienfaisantes, ont une influence générale. La vue de telles vies est un tonique spirituel, elle empêche, même chez les âmes grossières, l’oubli de l’idéal, c’est une invitation continuelle à monter ou. à tout le moins, à ne pas trop déchoir.

Pour tous ces motifs, la morale, en plus des vertus ordinaires, doit à propos promouvoir les dévouements grands et petits ; sous peine de n’être qu’un viatique insuffisant, il faut qu’elle porte en soimême un germe d’héroïsme. « Une morale doit contenir de l’héroïsme en la partie d’elle-même la plus élevée ; l’héroïsme doit y entrer, ressortir à elle, être indiqué par elle, non seulement comme ce qu’elle admet, mais, tout conqite fait, comme ce à quoi, en définitive, elle tend. » (Cf. E. Fagcet, La démission de la morale, p. 126, à propos de la Morale sans obligation ni sanction, de Guyau.)

Les évolutionnisles le savent, et ils disent :

« Dévoue-toi. » Certes, personne ne niera la beauté

de la maxime, mais franchement je doute de sa logique et de son elhcæité.

Comme on fait de l’eau avec de l’oxygène et de l’hydrogène, peut-on faire du dévouement par une composition de l’égoïsme et de la force ? Je le crois impossible, même au plus adroit chimiste en sentiments. La force n’a pu détourner un peu d’activité de l’individu vers le bien des autres que par les coups et les caresses, c’est-à-dire à l’aide de l’égoïsme lui-même, ami du plaisir et ennemi de la peine ; et, en somme, de cette apparence de dévouement, le moteur et l’ànie c’est l’intérêt propre. « L’amour -propre », comme dirait La Rochefoucauld, principe de nos actes sociaux, en dcAÏent par là même la mesure. On ne travaille pour les autres qu’autant qu’on y trouve profit. Qu’on cesse de nous accuser, nous chrétiens, de pratiquer une morale mercenaire. Le groupe le plus important de nos adversaires modernes est contraint, par la logique même de son système, de s’en tenir strictement au « do ut des ». Et que s’ensuit-il ? qu’une foule d’actes que la morale communément acceptée juge malhonnêtes, deviennent licites, et ont par derrière eux de solides raisons pour se justifier. On pourra mentir, être avare et dur, voler même, sans que la société en souffre beaucoup et que la répercussion sur le bien-être du menteur, de l’avare, ou du voleur soit appréciable. — Faisons un peu de casuistique, car il en est des principes comme des hommes, on les juge à l’usage. Voici un enfant malencontreux, qui m’empêche d’avoir un héritage considérable ; je puis (et le cas, hélas ! n’est pas chimérique ) le supprimer dans le plus absolu secret : aucun châtiment légal à redouter. Assurément ce sera nuire à la société, et indirectement me nuire à moi-même ; mais qu’est cette nuisance auprès de l’héritage que je vais posséder ? Profil notable, dommage quasi nul, logiquement l’égo-altruisme me susurre à l’oreille : Supprime-le. — Ainsi des parties essentielles de la morale sociale s’écroulent. Quant aux dévouements, ils perdent tout sens, car, par définition même, le gain personnel, à se dévouer, est très faible et ne peut être comparé à la peine. Je passe ma vie, qui parfois aurait pu être fortunée ou tout au moins heureuse dans un foyer modeste, à me dépenser, sous l’habit de petite sœur, au service des vieillards