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ÉVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L"

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n’avons point le roc, ! ’ « inconcussum quid », mais du sable mouvant et, suivant le conseil de Jésus, (S. Luc, VI, 47-49) » la sagesse nous défend d’établir là-dessus notre demeure définitive. Je ne parle évidemment que de la philosophie évolutionniste. Il y a une évolution — qu’on appelle plus communément transformisme — bornée aux plantes et aux organismes animaux. Quelles que soient les nombreuses et grosses questions qu’elle soulève, je ne l’estime pas philosophiquement insoutenable : Ni S. Augustin, ni le docteur angélique n’en eussent été embarrassés. Mais est-elle réelle ou non ? Question de fait, et c’est affaire aux naturalistes de répondre — quand ils le pourront.

B) Examen de l’histoire évolutionniste de la morale. — 1° L’origine. La genèse de nos idées morales est une histoire assez compliquée. A chacun de nous, en fait, elles ont été proposées par des éducateurs, pai-ents, maîtres, catéchistes, ou elles nous sont A’enues des conversations et des lectures, et, dans ce sens, leur origine est sociale. Mais notre raison individuelle, qui porte en soi-même un certain pouvoir de les découvrir, les a comprises, reconnues conformes à l’ordre des choses, fondées sur une métaphysique exacte ; suivant son degré de pénétration et le temps qu’elle leur a consacré, elle les a plus ou moins coordonnées et plus ou moins profondément enracinées dans le sous-sol métaphysique ; dans ce sens, nos idées morales ont une origine individuelle. Raison personnelle et raison collective, collaboratrices l’une de l’autre, Aoilà leur cause.

Gomment la société elle-même, qui conserve et transmet, a-t-elle été mise en possession des vérités morales ? De deux façons. La raison a cherché à comprendre l’univers et la nature humaine, et, de cette double science, elle a tiré des règles de conduite. Dieu « multifariam multisque modis » a parlé en père qui instruit et commande : révélation primitive, décalogue, révélation évangélique : voilà les instructions les plus marquantes données par le Maître divin.

Les évolutionnistes, eux, dérivent toute notre morale des injonctions des chefs et des pouvoirs publics. Or cela entraîne deux difïicultés insolubles.

L’autorité sociale se meut dans la sphère des actions sensiblement observables, « au for externe », pour parler la langue des canonistes. Or, ce qui caractérise les actions de l’ordre moral, c’est leur intériorité. Un acte dommageable, s’il est involontaire, n’est pas immoral ; un acte nuisible, fait abonne intention, est moral. L’ours de La Fontaine, cassant la tête de son ami, fait un acte d’amitié. Bien plus, certains mystiques, les gnostiques jadis et plus près de nous les quiétistes, resserraient toute la morale dans l’intériorité pure ; peu importaient les actes, pourvu que l’intention fût droite et le cœur pur. Il ne s’agit pas ici de juger ces extraA’agances, mais je constate qu’elles ont existé, ce sont des faits, et comme tels, étant partie du réel, ils doivent avoir leur explication dans une doctrine qui vise à rendre compte de toute la réalité. Visiblement, ils ne sont pas explicables dans la théorie de l’évolution. L’autorité est extérieure, objective, matérialiste ; la moralité est chose intérieure, jtrincipalement toujours, quelquefois exclusivement. Elle est une chose imma » térielle, qui consiste dans des intentions. Voilà deux réalités d’ordres divers, irréductibles ; l’une ne peut sortir de l’autre.

Il y a plus. On a dressé nos pères lointains, et ce dressage a tixé dans notre organisme des inhibitions et des impulsions ; parce que nous sommes capables

de connaître, elles fleurissent en idées, en jugements, en sentiments : toute notre morale théorique est faite de cet épanouissement d’épiphénomènes ; elle est dérivée du dressage organique et de la contrainte sociale ; c’est dire, en termes équivalents, que la législation est créatrice du bien et du mal et principe du juste et de l’injuste. — Mais quoi ! dans notre conscience se dresse un tribunal où sont cités les décrets, les lois, les institutions. Si nous examinons les sociétés très anciennes qui, selon les évolutionnistes, se rapprochent le plus des mères et formatrices de notre conscience, cette même conscience les juge grossières, immorales et barbares ; ne devrait-elle lias, tout au contraire, cadrer avec elles et les trouver parfaites ? — Direz-vous : on a progressé depuis, le perfectionnement du mécanisme de la société a perfectionné notre morale… Cela ne résout rien, car ce que nous faisons pour les sociétés préhistoriques, nous le faisons pour toutes. Y a-t-il une organisation sociale qui ne soit à nos yeux justiciable de la loi naturelle, et que nous ne soumettions au contrôle des lois immuables de la justice ? L’antiquité eut son Antigone (cf. Sophocle, Antig/tne) déclarant à Créon : a Je n’ai pas cru que tes ordres eussent assez de force, pour que les lois non écrites, mais impérissables, émanées des dieux dussent fléchir sous un mortel », comme le christianisme eut ses apôtres disant au Sanhédrin : « Obedire oportet Deo magis quani hominibus » (Actes des apôtres, v, 29), comme nous avons notre cardinal Andrieu (Mandement du 25 mars 190g et déclaration au juge d’instruction, 14juin, cf. L’L’nii-ers, 15 juin 1909) rappelant qu’au-dessus des lois humaines il y a la justice éternelle, comme nous avons M. Groussau (Journal Officiel, 2’séance du 10 mars 1910. pag. 1382-1383) affirmant avec force que la première condition à laquelle toute loi doit satisfaire, c’est le respect des droits naturels.

Ce que ceux-ci ont proclamé avec éclat, un très grand nombre le pense ; et, c’est dans ces invincibles jugements de la conscience que gît le principe du courage des martyrs passés et futurs. Ceux qui portent de tels jugements, humbles bonnes femmes ou brillants personnages, sont l’élite de l’humanité, ses plus beaux exemplaires, ceuxoù la raison est le plus lucide, la volonté le plus droite et le plus énergique, ceux par qui se conserve et s’accroît toute civilisation. Par eux l’idée triomphe de la force, se l’asservit ou la brave, et par là même lui marque des borne » infranchissables.

Comment notre conscience — si elle dérive tout entière des organisations sociales — peut-elle les louer, les blâmer, et de tant de manières s’attribuer sur elles la supériorité ? C’est un phénomène impossible, comparable à une eau qui s’élève d’elle-même beaucoup au-dessus de sa source.

2" La transntission. C’est un grand point que de naître, mais ce n’est presque rien à moins que l’on ne Aive et grandisse. La morale si incomplète des évolutionnistes, comment s’cst-elle maintenue et perfectionnée ? Par l’hérédité, répondent-ils. Elle est, dans son fond, un sjstcme de prédispositions inscrites dans les organes, accrues à chaque génération et indélinimcnt transmissibles.

Th. RiBOT a écrit un livre très documenté pour établir l’existence de l’hérédité psychologique. Pour lui, comme pour Spencer et toute leur école, la pensée et la conscience ne sont que des épiphénomènes, des résultantes des phénomènes physiologiques, qui, eux-mêmes, ne sont que des phénomènes mécaniques un peu plus compliqués, — et l’hérédité psychologique, dans ces conditions, devient un simple cas plus complexe d’hérédité organique. Cette dernière est-