Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/875

Cette page n’a pas encore été corrigée

1733

ÉVANGILES CANONIQUES

173^

D’après les critiques sjnibolistes, tout l’Evang^ile jobannique serait dominé par l’idée du Logos, ou Verbe de Dieu, incarné. L’auteur aurait emprunté cette idée à l’école grtctiue d’Alexandrie et au juif Philon ; il l’aurait adaptée au Cbrist, et, identiliant dans son esprit le Christ avec le Verbe, aurait conçu toute l’histoire du Sauveur en fonction de cette idée. Stkauss,.Vo<a’. vie de Jésus, t. II, p. 54 sq. ; Juelicher, op. cit., p. 3^6 ; ScHMiEDEL, art. cit., col. 2534 sq. ; J. RÉVILLE, op. cit., p. 112 sq., 301 ; Loisy, op. cit., p. 55, g8, 154, etc.

Or, tout d’abord, la dépendance de notre auteur à l’égard de la philosophie alexandrine et philonienne est très douteuse. — Le Logos de saint Jean a un caractère hypostatique bien détîni, qui manque à celui de Philon ; ses attributs sont pour la plupart diiTérents ; il semble qu’il n’y ait entre eux de commun que ce que le Logos philonien paraît tenir lui-même de la Sagesse hébraïque : Job, xxviii, 20-28 ; Prov., iii, 19-20 ; VIII, 22 sq. ; Bar., iii, 29-38 ; Eccli., i, i-io ; xxiv, 5-14 ; Sag., VII, 25-20 ; ix, a, 4, 9-11 ; cf. Ps. civ, 24 ; cxxxvi, 5 ; Jér., x, 12 ; li, 15. Comme, sur tous les autres points, les attaches du quatrième Evangile sont nulles avec les données de la philosophie grecque et les écrits de Philon, on a le droit de penser que l’idée johannique du Logos se rattache essentiellement à la littérature saci-ée de la Sagesse, bien qu’elle ait pu être provoquée par les préoccupations philosophiques des milieux d’Asie-Mineure, et le terme de Logos être préféré à celui de Sagesse, comme familier aux écoles juives et chrétiennes dans ces mêmes milieux.

Notre évangéliste n’est d’ailleurs pas le premier à appliquer l’idée du Verbe à Jésus : il suppose, non seulement l’idée, mais son rapport avec la manifestation du Christ, connus de ses lecteurs : i, i, 14. C’est ce que supposent également la P*^ Epître johannique, I, I, et l’Apocalypse, xix, 13. Une croyance semblable est attestée, d’autre part, parl’Epitre aux Hébreux et plusieurs autres Epitres de saint Paul, où, à défaut du nom, figure d’une façon très claire la doctrine du Logos incarné en Jésus : Ilébr., i, 2, 3 (cf. Sag., vii, a5-26), 10 (cf. Ps. eu, 26) ; II, 14 ; V, ’j ; x, 5 ; Rom., I, 3 ; IX, 5 ; x, 6 ; I Cor., i, 24, 30 ; via, 6 ; // Cor., iv, 4 ; V, ig ; viii, 9 ; Gal., iv, 4-6 ; Eph., iv, 9 ; Col., 1, 1517 ; II, 9 ; Philip., II, ’ ;. L’idenlilicationdu Christ avec le Verbe était donc chose reçue expressément en Asie Mineure, au dernier quart du 1" siècle, et équivalemment dans la plupart des Eglises, dès les années 50-Go.

Or, une telle croyance, à cette époque, ne se comprend que si elle s’accorde avec les souvenirs gardés de Jésus par ses disciples : il doit y avoir une véritable proportion entre la délinition théologique de sa personne et la réalité historique de sa manifestation. On est même conduit à i)enser que la théorie a ses racines dans les propres déclarations du Sauveur.

De fait, la traduction exacte de l’ensemble des déclarations du Christ synoptifjue se trouve bien dans la doctrine de sa divinité proprement dite et de sa préexistence élernelle (voir les art. Jésus-Cuhist et Dieu) ; d’autre part, le Sauveur semble avoir aimé prendre le langage de la Sagesse des Ecritures, comme s’il avait voulu se présenter lui-même pour la Sagesse divine : Matth., xxii, i-’i =.I.uc, xiv, 16-17 (cf. Prov.,

IX, i s(i.) ; Matth., xi, 38-30 ; xxiii, io(cf. Prov., i, 23 ; vni, 4- "J> 32-36 ; Eccli., vi, 23-26 ; xxiv, 26-27 ; li, 23-26) ; Matth., VII, 24-26 z= Luc, xiii, 25-2 ; (cf. Prov., I, 24-33 ; VIII, 32-36) ; cf. Jean, vj, 27 sq. (Prov., ix, 5) ; VI, 35 s([. (Prov., iii, 18, 22) ; viii, 12 (Sag., vi, 23) ;

X, 37 (Prov., IX, 5). Son identilication avec la Sagesse hypostatique, ou le Logos subsistant en Dieu, ne

S fait donc, en somme, qu’exprimer et déllnir ce qui

était implicite dans ses discours et dans l’ensemble de sa manifestation.

Il nous faudrait maintenant examiner dans quelle mesure on peut dire que l’idée du Verbe a influencé la représentation évangélique du Christ. Nous ne pouvons que résumer ici les résultats de cet examen. D’un côté, l’humanité de Jésus n’a été ni voilée ni transligurée tendancieusement sous l’éclat de la gloire du Verbe : le Christ johannique est réellement homme, et les traits abondent qui donnent à sa vie un véritable cachet d’humilité. D’autre part, ses relations avec Dieu ne sont pas les relations pures et simples du Verbe éternel, mais bien celles d’une créature humaine à l’égard du Père Souverain qu’elle honore et qu’elle aime. Enlin, sa manifestation comme Messie et Fils de Dieu est une révélation vivante, pleine d’habileté et de mesure, analogue à celle que décrivent les Synoptiques.

Pour la solution complète de cette question, voir les articles Jésus-Ciirist et Verbe.

II. Le quatrième Evangile contient une tradition historique

I. — Pour les récits et les faits

S88. 1° Le quatrième évangéliste a vovlu établir la foi par l’histoire. — De l’examen que nous venons d’esquisser il résulte, comme un fait certain, que le quatrième Evangile n’est pas la composition artificielle d’un théologien de la fin du i » "^ siècle, qui aurait exprimé sous le voile de l’allégorie historique les croyances idéales de l’Eglise de son temps.

1° Il a voulu prouver la foi. — Nous aurions pu le conclure des paroles mêmes qui se trouvent à la fin de l’Evangile, et où l’auteur révèle le dessein de son ouvrage, xx, 30-31 : « Jésus, dit-il, a fait beaucoup d’autres signes, en présence de ses disciples, qui ne sont pas écrits dans ce livre ; ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, croyant, vous ayez vie en son nom. »

Impossible d’interpréter ces paroles en ce sens que l’évangéliste aurait voulu seulement représenter la foi, l’expliquer ou la décrire, en une narration symbolique, qui aurait les apparences de l’histoire, tout en étant conçue uniquement en vue de l’idée théologique à figurer. LoisY, op. cit., p. 77, 94, 922. Il est très clair qu’il s’est proposé, non d’enseigner la foi, mais de l’établir. — Comment cela ? En racontant les signes, c’est-à-dire les œuvres surnaturelles ou les miracles accomplis par le Sauveur, et qui révèlent sa qualité de Christ et de Fils de Dieu. Ces œuvres significatives sont aptes à fonder la foi, parce que ce sont des réalités constatées, des faits garantis. C’est pourquoi l’auteur a soin de dire que les signes ont été opérés a en présence des disciples » ; après l’épisode du coup de lance, il en a appelé également au témoin garant du récit, xix, 35 ; dans le chapitre final, il présentera encore le disciple bien-aimé comme garant des faits racontés dans l’Evangile, xxi, 24 ; cf. I Jean, i, i-3 ; iv, 14 ; III Jean, 12. Dans tout son livre d’ailleurs, il insiste sur la preuve du témoignage expérimental comme base de la foi : i, 15, 19 sq., 3234 ; II, 11 ; iii, 27 sq. ; v, 36 ; ix, 36-4 1 ; x, 25-26, 38 ; XI, 15, 42 ; XII, 37-40 ; xiA-, 12, 39 ; XV, 24 ; XX, 8, 20,

25.

286. Il paraît donc certain que l’intention principale de notre écrivain est, non pas symbolique ou proprement dogmaticiue, mais l)ien apologétique. Il veut donner la foi au Christ, Fils de Dieu, par le récit des œuvres qui ont réellement manifesté sa messianité et sa divinité.

L’examen du livre répond tout à fait à cette indi-