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ÉVANGILES CANONIQUES

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cependant des appréciations et des conclusions qui, dans l’ensemble et dans la plupart des détails, sont identiques. C’est que, malgré des apparences qui sont un vrai trompe-l’œil, ces critiques ont commencé par faire abstraction de la valeur documentaire des Evangiles, pour en passer immédiatement le contenu au crible d’un rationalisme aveugle et intransigeant.

Or, un tel procédé paraît bien être le rebours de la méthode véritablement critique. En bonne logique, quand il s’agit de livres tels que nos Evangiles, l’étude de leur origine doit venir avant celle de la crédibilité de leur contenu. La question d’authenticité prime, ici comme ailleurs et plus qu’ailleurs, la question d’historicité. Renax l’a dit avec beaucoup de raison : a A quelle époque, par quelles mains, dans quelles conditions les Evangiles ont-ils été rédigés ? Voilà… la question capitale d’où dépend l’opinion qu’il faut se former de leur crédibilité. » Vie de Jésus, p. xlviii.

S19. Pour être moins excessif, le préjugé n’est guère moins réel chez les critiques qui entendent bien déterminer au préalable les chances d’historicité que les Evangiles tiennent de leur origine, mais se guident ensuite dans le détail sur des considérations tout autres que celle de la valeur objective des documents. Il est visible, en effet, que dans leplus grand nombre, sinon la totalité des cas, s’ils se prononcent contre l’authenticité d’un texte, c’est pour une raison tirée de l’idée pliilosophicp^ie préconçue. Rexan l’avoue d’une manière assez cynique : « Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritaient pas une créance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent ; c’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : les Evangiles sont des légendes ; ils peuvent contenir de l’histoire, mais certainement tout n’y est pas historique. » Vie de Jésus, p. vi.

330. Une critique véritablement indépendante ne peut, semble-t-il, qu’éprouver de la défiance à l’égard d’appréciations ainsi commandées et réglées par le parti pris, sous le couvert d’un esprit prétendu hautement impartial et pvirement scientifique.

On dira que l’application de l’interprétation surnaturelle aux Evangiles suppose elle-même un préjugé, savoir la croyance préalable au surnaturel. Mais, à bien considérer les choses, la position de l’exégète croyant est encore plus logique et plus scientifique que celle de l’exégète rationaliste : tandis que ce dernier sacrifie purement et simplement l’histoire à sa philosophie, en refusant systématiquement toute valeur historique aux documents de contenu surnaturel, le premier ne tient de sa jihilosophie que la croyance à la possibilité du surnaturel, et il garde son entière indépendance pour vérifier simplement si les documents qui l’attestent en fait sont, au point de vue historique, suffisamment garantis.

221 2° Le système radical de Strauss et de M. Loisy est rendu impossible par ce que l’on sait de l’origine de nos documents. — Le système radical de Sthauss et de M. Loisv n’est pas seulement établi a priori, indépendamment d’une appréciation objective des Evangiles, il est en contradiction positive avec ce que l’on sait par ailleurs de l’origine de ces documents, et ce qui est reconnu par l’ensemble même des critiques indépendants.

Ce système était à peine soutenable dans l’hypothèse de Strauss, qui prolongeait jusque vers le milieu du second siècle le travail de dévcl()pi)cnient et de transformation légendaire (m aurait abouti à la rédaction finale des Synoi)ti(iues. Il scml)le devenu impossible depuis que les plus intransigeants ont été contraints de reconnaître que la rédaction définitive de nos écrits est antérieure au second siècle, et qu’ils

reposent siu* des documents remontant à la première génération chrétienne. Le travail si considérable d’idéalisation que ce système suppose se con » prendrait, à l’extrême rigueur, s’il avait eu un certain nombre de générations, pour s’élaborer, mais il est invraisemblable au cours de la seconde génération, à plus forte raison au sein de la première. A qui lui eût allégué que nos Livres saints ont de bonnes garanties d’authenticité, Strauss accordait avec raison que « cet argument serait en effet décisif s’il était prouvé que l’histoire biblique a été écrite par des témoins oculaires, ou du moins par des hommes voisins des événements. Car, bien qu’il puisse s’introduire, par le fait de témoins oculaires même, des erreurs, et, par conséquent, de faux rapports, néanmoins la possibilité d’erreurs non préméditées (la tromperie préméditée se fait, du reste, reconnaître facilement) est circonscrite dans de bien i^lus étroites limites que lorsque le narrateur, séparé des événements par un plus long intervalle, en est réduit à tenir ses renseignements de la bouche des autres ». Vie de Jésus, t. I, p. 80.

222. 3’j Le système plus modéré des autres critiques indépendants n’accorde pas aux Evangiles l’historicité nécessaire, et n’aïuive pas â, les vider de tout surnaturel. — Le système, relativement modéré, adopté par la plupart des critiques indépendants ne saurait davantage satisfaire.

D’un côté, il n’accorde pas à nos Evangiles la mesiu-e raisonnable d’historicité qu’oblige à admettre, semble-t-il, l’origine que ces critiques mêmes reconnaissent à nos documents. Si l’Evangile de saint Marc a réellement été rédigé par le disciple de saint Pierre d’après l’enseignement direct du chef des apôtres, si l’Evangile de saint Luc a poiu* auteur le compagnon de saint Paul qui a connu la première génération chrétienne et a été en rapport avec les régions où vivaient les propres témoins, si dans l’Evangile de saint Matthieu se trouve exploité un recueil de discours composé par l’apôtre de ce nom, on ne peut sans grave invraisemblance mettre au compte de l’idéalisation légendaire tout ce que le principe rationaliste oblige ces auteurs à rejeter comme évidemment miraculeux ou impliquant trop étroitement le surnaturel.

223. D’un autre côté, l’ensemble considérable du contenu éAangélique dont ces critiques moins intransigeants se sentent contraints d’admettre l’authenticité, ne saurait, sur beaucoup de points, au jugement des rationalistes plus conséquents et plus rigoureux, recevoir d’explication naturelle satisfaisante. — Si, par exemple, l’on accorde que Jésus a réellement prononcé les déclarations où il apparaît comme le Fils, au sens absolu, à côté du Père, s’il a réellement prétendu remettre les péchés de sa propre autorité, revendiqué le privilège de l’infaillibilité poiu- ses oracles, annoncé qu’il serait un jour le juge des vivants et des morts et assis à la droite de Dieu (cf. les aveux des critiques, ûansla liet-ue pratique d’.-lpologélique. t. X, p. 837 ^l*) ? il ^^^^^ convenir qu’il s’est cru au-dessus de l’humanité ordinaire cl a proclamé vérital >lement sa divinité ; et comme on ne saurait attribuer de telles prétentions à l’impostvue ni à l’illusion, tant l’une et l’autre dépasseraient les bornes de la vraisemblance et tant elles sont contredites par l’ensemble de sa vie, de son caractère et de ses œuvres, force est bien de conclure qxi’il est en réalité ce qu’il a déclaré être. — De même, s’il a prévu en quelque manière sa destinée douloureuse et s’est néanmoins rendu à Jérusalem, si la veille de sa mort il a présenté la Cène prise avec ses disciples comme son dernier repas, le pain et le vin comme le symbole de son corps immolé et de son sang répandu, avec re-