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ÉVANGILES CANONIQUES


points importants où elle est particulièrement aisée à constater, et où elle se constate, en effet, avec une précision remarquable.

1° Le portrait des apôtres. — Prenons d’abord le portrait des apôtres. Nos évang-élistes écrivaient à une époque où la personne des apôtres était relevée auplus haut point dans l’estime de l’Eglise chrétienne ; eux-mêmes, ou tout au moins les témoins dont ils dépendent, avaient été en relations étroites avec ces disciples du Christ. Or le portrait synoptique des apôtres est loin d’être flatté : on nous fait connaître minutieusement leurs vices comme leurs vertus, leurs fautes comnie leurs bons mouvements, leur faiblesse comme leur générosité ; on nous dit leur basse extraction, leur inintelligence des paroles du Maître, leur opposition à ses vues, leurs résistances à son action, leur lâcheté au jardin des Olives, avi prétoire, au Calvaire, leur découragement après la mort du Sauveur, enlin leur lenteur à croire à sa résurrection. Marc, VI, ’i-) ; VII, 1^ ; viii, 4, 16-21, 32-33 ; ix, 6, 9-1 1, 28, 32, 34, 38 ; X, 13, 28, 32, 35 sq. ; xiv, 4, 29-31, 3^-40, 66-72 ; xvi, ii-14 ; etc. Un tel taldeau ne peut être que d’écrivains sincères, qui ne veulent rien dénaturer ni rien dissimuler, mais relater simplement la vérité de l’histoire.

189. 2° La peinture de V idéal messianique. — A ce même point de vue, la manière dont se trouve çà et là représenté l’idéal messianique, conçu autour de Jésus, mérite d’attirer l’attention. Les disciples, tout comme le commun des Juifs, attendent un Messie national, roi terrestre et conquérant ; ils se figurent son royaume semblable aux royaumes de ce monde ; ils se disputent pour savoir qui y aura la première place. Marc, ix, 34 ; x, 37 ; viii, 31-33 ; ix, 30, 31 ; etc. Tout autres étaient cependant les idées chrétiennes, au moment où furent rédigés nos Evangiles, et dès le temps où s’élabora la tradition qui est à leur base : les Epîtres de saint Paul le montrent sufliSamment. Rom., -s.iy, 17 ;  ! Cor., vi, 9-10 ; xv, 50 sq. ; GaL, v, 12 ; I Thess., i, l’i s(i. ; ll rhess., i, Il sq. ; etc. Sur ce point encore, nos auteurs font donc preuve d’une incontestable lojauté.

190. 3° L’idée de la proximité du royaume. — En ce qui regarde l’époque de l’avènement du royaume, ils reproduisent avec iidélité nombre de déclarations où le Sauveur semble annoncer son avènement comme prochain et immédiat. Marc, i, 15 ; ix, 1 ; xiii, 30 ; Matth., X, 23 ; etc. Ils ne se préoccupent pas de la didiculté d’accorder ces déclarations avec le retard subi en réalité par l’événement, encore moins de supprimer ces déclarations premières pour mettre en évidence celles qui concernent l’incertitude et l’éloignement du dernier jour, et qui cadreraient seules apparemment avec les faits constatés.

191. 4° fe portrait du Christ Jésus. — Que dire de la façon dont est figurée la personne même de Jésus ? Les Epîtres de saint Paul l’attestent. <les les premiers jours l’Eglise se représenta Jésus comme le Clirist, Fils de Dieu, venu du ciel, où il préexistait au sein du Père, sur la terre, participant de la nature de Dieu et vrai Dieu, associé depuis sa résurrection à la gloire de son Père et assis à sa droite, en attendant la lin des temps où il viendra pour juger les vivants et les morts. liom., i, 3 ; viit, 3, 32 ; ix, h ; I Cor., i, 15, 24. 30 ; Il Cor., IV, 4 ; V. 19 ; VIII, 9 ; Gal., iv, 4-6 ; Philip.. II, 5-7 ; Cul., II. 9 ; Iléhr., I, 2, 3, 10 ; II, 14, 17, Pl<*. Or c’est un fait que la préexistence céleste du (Jhrist se trouve à peine insinuée dans les Evangiles ; sa divinité proprement (Mte, bien que transparaissant partout à qui considère bien ses actes et examine à fond ses discours, n’y est aucunenu’nt mise en relief, ni même expressément et foi-mellement déclarée, si bien que Ton a pu, sans paraître aller trop ouverte ment contre la teneur générale des textes, nier que les Synoptiques contiennent une manifestation réelle de la divinité de Jésus.

198. Au contraire, nos Evangiles accusent en haut relief l’humanité du Sauveur. « Le Christ synoptique, déclare M. Loisy, est un être de chair et d’os, qui traite avec les hommes comme l’un d’entre eux, nonobstant la conscience qu’il a de sa haute mission, ou peut-être à cause de cette conscience ; il parle et agit en homme ; il s’assied à la table du pharisien et du publicain ; il se laisse toucher par la péclieresse ; il converse familièrement avec ses disciples ; il est tenté par le démon ; il s’afllige dans le jardin de Gethsémani ; il fait des miracles par pitié, les cachant plutôt qu’il n’en tire parti pour autoriser sa mission ; il est calme et digne devant ses juges, mais il se laisse battre et injurier ; le cri qu’il pousse avant de mourir est un cri de détresse et d’agonie ; si l’on sent partout dans ses discours, dans ses actes, dans ses douleurs, je ne sais quoi de divin qui l’élève au-dessus de l’humanité commune, même la meilleure, tout ce qu’il dit est profondément humain, tout pénétré d’actualité humaine, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et, malgré la puissante nouveauté qui est au fond, dans une correspondance étroite et naturelle avec le temps et le milieu où il a vécu. » Le quatrième Lis’angile, 1903, p. 72.

193. Ce n’est pas tout. Nos évangélistes prêtent au Sauveur nombre de paroles qui, à première vue, semblent dinicileinent conciliables avec l’idée de sa divinité. Le Christ synoptique se désigne très habituellement par le titre de « Fils de rhoinme » (Marc, II, 10, 28 ; Matth., XI, 19 ; XII, 32, 40 ; xiii, 37, 4’; x, 23 ; etc.), que ne lui donnent jamais les évangélistes dans le discours qui leur est propre, et qu’on ne lui trouve appliqué nulle part ailleurs, si ce n’est en de rares passages (.4t7., vii, 56 ; Apuc, i, 13 ; xiv, 14 ; EusÈBE, /I. E., II, xxiii : fragment d’Hégésippe sur le martyre de saint Jacques), où il est fait allusion à ses propres paroles (Luc. xxii, 69 ; Matth., xxvi, 64), ou au texte de Daniel, vu. 13. Il se tient devant son Père dans l’attitude d’un inférieur et d’un suppliant : Marc, VII, 34 ; XIV, 35-36, 39 : = Matth., xxvi, 39, 42, 44 = Luc, xxii, 42 ; Matth., xiv, 23 ; xxa’i, 53 ; Lue, vi, 12 ; IX, 18, 28 ; XI, I, XXII, 43 ; xxiii, 46. Il établit une opposition entre le blasphème contre lui-même. Fils de l’homme, et le blasphème contre l’Esprit-Saint opérant en lui : Matth., xii, 32 ; cf. Marc, iii, 29. II déclare accomplir ses exorcismes parla Aertu de l’Esprit de Dieu et attribue ses guérisons miraculeuses à Dieu : Marc, v, 19-20 : = J.uc, viii, 39. Il paraît ignorer le jour du jugement : Marc, xiii, 32. On dirait qu’il refuse positivement le titre de bon, comme n’étant dû qu’à Dieu seul, Marc, x, 17 sq. A Gethsémani, il parle de sa propre volonté et la soumet humblement à celle de son Père : Marc, xiv, 36= Matth., XXVI, 89 = : Z/tr, XXII, 42. Sur la croix enfin, il seini )le se croire abandonné de son Dieu : Marc, xv, 34 = Matth., XXVII, 46.

1Q4. Conclusion. — Cette fidélité à s’abstraire de la foi présente de l’Eglise et à se tenir indépendants de leurs tendances personnelles, pour reproduire le fait historique en ce qu’il offre, semide-t-il, de moins conforme aux exigences nouvelles de la croyance et de plus déconcertant, accuse la sincérité de nos écrivains avec une évidence que l’on ne saurait trop souligner.

Ces preuves de bonne foi, il importe de le remarquer, ne valent pas seulement pour les rédacteurs lu-oprement dits de nos Evangiles, mais encore pour la tradition et les témoins dont ils dépendent. Qu’il s’agisse, en effet, de l’estime accordée aux apôtres, du caractère de l’idéal messianique, de l’allente du dernier avènement, ou de la foi au Christ Fils de