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ÉVANGILES CANONIQUES

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se faire prendre pour le disciple que Jésus aimait. Quelle est la personnalité exacte de ce disciple que l'évangéliste prétend être ?

175. 2° Le disciple aimé de Jésus est l’apôtre saint Jean. — i" Le disciple bien-aimé n’est pas un simple type allégorique, mais un personnage réel. — Quelques critiques, ne pouvant se résoudre à admettre que l’auteur du quatrième Evangile soit en réalité un disciple de Jésus, l’apôtre Jean, et trou-Aant difficile de soupçonner en l’identification si discrète de l’auteur l’artifice d’un faussaire, ont prétendu que le bien-aimé auquel il veut s’identifier serait un disciple purement idéal, un témoin spirituel du Christ, le type du croyant parfait conçu dans son âme mystique et en lequel il s’incarne pour ainsi dire fictivement. J. Réville, Le quatr. Evang., p. 316-318 ; LoisY, Ze quatr. Evang., p. 126-129.

176. C’est une hypothèse insoutenable. — Il est certain, en effet, que, dans l’appendice, le bien-aimé est regardé comme un personnage très réel. Ce n’est pas d’un type figuratif qu’on peut se demander s’il doit mourir ou non. Le disciple paraît d’ailleurs bien connu dans le milieu où se publie l’Evangile, et l’on reconnaît volontiers que ce doit être le fameux Jean d’Ephèse (n° 145). Or, l’appendice est de la même main que le reste de l’Evangile (n" 167 sq.). On ne peut évidemment songer que l’auteur ait envisagé le personnage comme réel dans le dernier chapitre, et comme fictif dans les vingt premiers.

A prendre seulement ces vingt premiers chapitres, on remarque que le plus grand nombre, la presque totalité des personnages sont les mêmes qui figurent dans la tradition historique des Synoptiques. Ce sont les apôtres bien connus, Pierre, André, Philippe, Thomas, Jude, Judas ; c’est Jean (Baptiste), Marie de Magdala, Marthe et Marie deBéthanie, Joseph d’Arimathie, Anne, Caïphe, Pilate, Barabbas, sans compter la mère de Jésus, Joseph son père, et ses frères. Tous ces personnages apparaissent aussi vivants que dans les premiers Evangiles, avec des renseignements non moins précis sur leur lieu d’origine, leur famille, et les traits distinctifs de leur individualité. Impossible de les prendre pour de purs symboles. Or, est-il à croire que l'écrivain ait mêlé à ces personnages très réels et qu’il ait mis en relations familières avec eux une simple figure allégorique ?

De fait, qu’on examine les différentes scènes où parait ce disciple, il ne se montre nulle part avec les caractères du type symbolique, partout au contraire comme un personnage très vivant. Il ne peut être le gnostique idéal, ni à la dernièi-e Cène, xiii, 22-25, où il est obligé, sur l’invitation de Pierre, d’interroger le Sauveur pour connaître le traître ; ni au pied de la croix, XIX, 25-35, où la mère de Jésus ne saurait être prise pour la sj’nagogue juive confiée à l’Eglise chrétienne ; ni dans la démarche au tombeau, xx, 2-10, où il est averti par Marie-Madeleine, laisse Pierre pénétrer le i)remier dans le sépulcre, ne croit à la ])arole de Marie qu’après avoir constaté de ses yeux l'état des linges et du suaire, et ne semble pas songer encore aux Ecritures qui prédisent la résurrection. — C’est sans doute encore le bien-aimé qu’il faut voir dans le disciple qui participe à l’appel d’André, i, 35-40, et dans celui qui accompagne Pierre dans la cour du grand-prêtre, xviii, 15-16 : or, dans le premier épisode, il paraît en anonyme et ne joue aucun rôle ; dans le second, il est appelé simplement « l’autre disciple », et se contente de négocier avec la portière l’entrée de Simon dans la cour du palais. Un personnage ainsi présenté n’est évidemment pas conçu par l'évangéliste comme un type figuratif.

Il faut donc, avec le plus grand nombre des criti ques, maintenir comme certaine la réalité historique du disciple bien-aimé. Qui était ce personnage ?

177. 2'^ Le disciple bien-aimé est un des apôtres.

— Quelques critiques ont prétendu y voir, non un apôtre, mais un simple disciple du Sauveur. Hugo Delff, Bas vierte E’angelium wiederhergestellt^ 1890, p. 12 sq. ; BocssET, Die Offenbarung Johannis, 1896, p. 44-47 ; ^'ON SoDEX, Urchristliche Literaturgeschichte, igoô, p. 217-220.

C’est là une hypothèse sans probabilité. Le bienaimé est présenté, soit dans l’appendice, soit dans le corps de l’Evangile, comme ayant participé à la dernière Cène. Or l’examen du quatrième Evangile, comme des Synoptiques, montre que seuls les apôtres assistèrent à ce dernier repas : Marc, xiv, i^, 20 ; Mat t h., -s.-Kyi, 20 ; Luc, xxii, 14, 'io ; Jean, xiii, 16, 18 ; XV, 16 ; XVII, 18, 20 ; cf. VI, 71. D’ailleurs, le bienaimé n’occupe pas une place quelconque au Cénacle : il paraît à côté de Pierre, tout auprès du Sauveur. Dans tous les autres épisodes où il figure, on le voit en relation spéciale avec les principaux d’entre les apôtres, comme faisant partie du même groupe, et se trouvant sur le même rang, dans la compagnie la plus intime du Maître. Il nest pas possible qu’un tel personnage ait été un simple disciple, demeuré par ailleurs complètement inconnu.

A considérer donc les données les plus profondes du livre, aussi bien que les premières apparences (n° 148), le disciple aimé de Jésus ne peut être qu’un apôlre, et même, pour être associé de la sorte à Simon Pierre, un apôtre éminent.

178. 3° Ce doit être un des fils de Zébédée. — Or, on ne voit que les fils de Zébédée sur qui le choix puisse se porter. Ils sont, avec Pierre, au premier rang dans l’histoire synoptique : Marc, i, lô-rg ; iii, 16 ; v, 37 ; IX, I ; X, 35 ; xiii, 3 ; xiv, 33, et parallèles. Dans le quatrième Evangile, ils ne sont nulle part nommés, si l’on excepte la mention coUective : « les fils de Zébédée », au chap. xxi, 2, tandis qu’on y voit figurer expressément les principaux apôtres, Pierre, André, Philippe, Thomas. Ce double fait invite à chercher notre disciple dans l’un ou l’autre de ces deux apôtres.'

Ce qui y invite également, c’est l’association probable du bien-aimé à André, lors de leur appel, i, 35-40. Les premiers disciples de Jésus, en effet, paraissent en relation d’origine les uns avec les autres : André trouve en premier lieu son frère Simon et l’amène au Sauveur, i, 4 ' ; il trouve en second lieu Philippe, qui était du même village de Bethsaide, i, 44 ; à son tour, Philippe trouve Nathanacl, qui était de Cana de Galilée, i, 45 ; xxi, 2. Cela donne à penser que l’anonyme lui-même était en relation étroite avec André, et sans doute aussi son compatriote. Tout s’explique, s’il est un de ces fils de Zébédée qui avaient coutume de pêcher sur le lac de Galilée, en compagnie d’André et de Pierre, Marc, i, 16-20.

Le récit final de la pêche miraculeuse donne une impression semblable. Le bien-aimé est représenté, expressément cette fois, dans la barque de Pierre. D’autre part, l’auteur énumère en tête de son récit les divers personnages de la scène : ce sont Simon Pierre, Thomas, Nathanaël, « les fils de Zébédée », et « deux autres disciples » anonymes, xxi, 2. Dans cette énumération doit sûrement être compris le personnage qui joue avec Pierre le rôle principal, savoir le disciple que Jésus aimait. Or, il n’est pas vraisemblable qu’il faille le chercher parmi « les deux autres disciples » anonymes : on ne comprendrait pas que l’auteur l’ait renfermé dans cette fornmle générale, associé à un autre disciple inconnu, au lieu de le pi'ésenter séparément et dès l’abord avec le titre spécial sous lequel il figure dans la suite du récit. Il est