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ÉVANGILES CANONIQUES

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On comprend l’importance exceptionnelle de cette question. Si saint Jean n’est jamais venu en Asie Mineure, c’en est fait de la tradition qui lui rapporte la composition du livre. Mais si, au contraire, il y a passé les derniers temps de sa vie, c’est une présomption des plus solides en faveur du bien-fondé du témoignage qui, à Ephèse même et de si bonne heure, le présente comme l’auteur de notre document.

— Or, c’est ce qui peut être établi avec une véritable certitude.

I. La tradition a la fin du ii* siècle. — Que l’apôtre saint Jean soit venu et soit mort à Ephèse, c’est une crojance générale de l’Eglise au dernier quart du n’siècle, c’est-à-dire moins de cent ans après le fait en question. Et cette croyance n’existe pas seulement loin de la contrée où l’apôtre est censé avoir résidé, mais on la trouve fermement établie en Asie Mineure et dans la ville même d’Ephèse.

148. 1° Hors de l’Asie Mineure. — Hors de l’Asie Mineure, la tradition est attestée par Tbrtul-LiKX de Cartilage, Clément d’Alexandrie, et les Actes de Jean, dont le lieu d’origine est incertain.

TertuUien. — Tertullien, dissertant contre les hérétiques, en appelle au témoignage des Eglises fondées par les apôtres. Or, parmi elles, il mentionne spécialement l’Eglise d’Ephèse et celle de Smyrne, comme se réclamant de l’apôtre saint Jean. « Parcourez, dit-il, les Eglises apostoliques, où l’on voit encore à leur place d’honneur les chaires des apôtres… Pouvez-vous gagner l’Asie, aous avez Ephèse. » De præscript. hæret., xxxvi. « Voulons-nous connaître la tradition des apôtres ? II sullit de constater ce qui est regardé comme sacré dans les Eglises qui remontent aux apôtres… Or, nous avons toujours les Eglises filles de Jean ; car… c’est à Jean que, dans ces Eglises, aboutit la série des évêques remontée jusqu’à l’origine. » Adv. Marcion.^ IV, v. Que les hérétiques

« produisent les origines de leurs Eglises ; 

qu’ils déroulent la série de leurs évêques, et montrent, par leur succession ininterrompue, si le premier d’entre eux a eu pour garant et pour prédécesseur l’un des apôtres, ou un homme apostolique en relation avec les apôtres. C’est de cette sorte, en effet, que les Eglises apostoliques présentent leurs titres ; c’est ainsi que l’Eglise de Smyrne revendique Poljcarpe comme établi par Jean ». Be præscript., xxxii.

Clément d’Alexandrie. — Clément voit, lui aussi, en Jean l’apôtre le fondateur des Eglises d’Asie et il le représente résidant dans la région éphésienne jusqu’à la plus extrême vieillesse. A son sujet, il raconte une histoire bien connue : l’apôtre Jean, rcvcnu de l’ile de Patmos à Ephèse, après la mort de Domitien, visitait les Eglises voisines ; dans l’une d’elles, un jeune homme lui plut par sa figure avenante et la pureté de son regard ; il le recommanda à l’évêque du lieu. Mais le jeune homme, d’abord instruit et fait chrétien, se laissa séduire et devint chef de A^oleurs. Saint Jean, « rentré à Ephèse », ne l’eut pas plus tôt appris qu’il se rendit au repaire des brigands. En l’apercevant, le jeune homme cherche à s’enfuir ; mais Jean, « oubliant son grand âge », court de toutes ses forces après l’enfant prodigue et finit par le ramener au Seigneur. Liber Quis dives salvetur, xlii.

Actes de Jean. — Les Actes de Jean (n’^ 137) supposent expressément le séjour du fils de Zébédée à Ephèse. C’est à Ephèse qu’on voit l’apôtre saisi par les soldats de Domitien ; à Ephèse qu’il rcvient après l’exil de Patmos ; à Ephèse qu’il accomplit les miracles et prononce les discours qui remplissent la plus grande partie du livre. Lipsius-Bo.nnet, Acta apos- 1 tolorum apocrypha, II « part., t. I, p. 153-155.’149. 2° En Asie Mineure. — La tradition, ainsi constatée hors d’Asie Mineure, mérite déjà la plus sérieuse considération, à raison de son ancienneté et à raison des rapports intimes entretenus par les témoins qui la représentent avec les Eglises d’Asie. Mais c’est une tradition beaucoup plus précieuse encore, une tradition locale, que nous trouA’ons en Asie Mineure, à la même époque, et sans aucune contradiction.

Polycrate, évêque de la ville d’Ephèse, et saint Irénée, originaire d’Asie Mineure et demeuré en relations très particulières avec son pays d’origine, nous fournissent à ce sujet des témoignages formels.

Polycrate. — Polycrate, évêque d’Ephèse, écrit au pape Victor, Acrs igo, au nom des évêques d’Asie, , une lettre destinée à défendre l’usage qu’ont les Eglises asiates de célébrer la Pàque au 14’jour du premier naois lunaire, comme les Juifs, au lieu de la renvoyer au dimanche suivant, comme les chrétiens de Rome. A l’appui de cet usage quartodéciman, Polycrate fait valoir au pontife qu’on le tient de haute tradition, car l’Asie se réclame des personnages les plus recommandables. « C’est, dit-il, Philippe d’entre les douze apôtres, qui s’est endormi à Hiérapolis, avec deux de ses filles, qui ont vieilli dans la virginité ; son autre fille, qui a vécu selon l’Esprit-Saint, dort à Ephèse. C’est encore Jean, celui qui reposa sur la poitrine du Seigneur, qui fut prêtre, portant la lame d’or, martyr et docteur ; lui aussi repose à Ephèse. » Dans Eusèbe, H. E, , V, xxiv.

150. S. Irénée. — Saint Irénée, dans sa controverse avec les hérétiques, en appelle, de son côté, à la tradition des apôtres : elle est facile à constater, , dit-il, dans les Eglises dont les listes épiscopales se rattachent manifestement aux apôtres. Telle est, en premier lieu, l’Eglise de Rome, fondée par saint Pierre et saint Paul. Telle est aussi « l’Eglise d’Ephèse^ fondée à la vérité par Paul, mais où Jean est demeuré jusqu’à l’époque de Trajan ». Contra Ilæres., III, iix^ 4. C’est là que « Jean, le disciple du Seigneur, celui qui reposa sur sa poitrine, publia son Evangile »., m, I, i.

Les garants de S. Irénée : Polycarpe et ses autres auditeurs. — En parlant ainsi, saint Irénée ne prétend pas seulement faire écho à la tradition générale : il déclare avoir entendu jiersonnellement saint Polycarpe, évêque de Smyrne, se réclamer de Jean et des autres qui avaient vu le Seigneur. C’est ce qu’il rappelle à un compagnon d’enfance, nommé Flori-Nus, comme lui auditeur de Polj’carpe, et qui s’est laissé gagner à l’hérésie. « Ces opinions, lui écrit-il^ ne sont pas celles que te transmirent les anciens qui nous ont précédés et qui avaient connu les apôtres. Je me souviens mieux des choses d’alors que de ce qui est arrivé depuis, car ce que nous avons appris dans l’enfance croît avec l’àme et s’identifie avec elle ; si bien que je pourrais dire l’endroit où le bienheureux Polycarpe s’asseyait pour causer, sa démarche, ses habitudes, sa façon de vivre, les traits de son corps, sa manière d’entretenir l’assistance, comment il racontait la familiarité qu’il avait eue avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur. Et ce qu’il leur avait entendu dire sur le Seigneur, sur ses miracles et sur sa doctrine, Poljcarpe le rapportait, comme l’ayant reçu des témoins oculaires de la vie du Verbe, le tout conforme aux Ecritures. Ces choses, par la bonté de Dieu, je les écoutais dès lors a^ec application, les consignant, non sur le papier, mais dans mon cœur, et toujovu-s, grâce à Dieu, je me les remémore fidèlement. Or, je peux attester, en présence de Dieu, que si ce bien-heureux et apostolique vieillard avait entendu quelque chose de semblable à tes doctrines, il se fût.