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ÉVANGILES CANONIQUES

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les expressions et tournures laissent transparaître moins nettement l’original sémitique et offrent un cachet plus spécitiquement grec qu’en saint Marc, par exemple, cela peut se comprendre même dans l’hypothèse d’une traduction : pourquoi un traducteur direct de lEvangile araméen n’aurait-il pas fait subir immédiatement aux expressions et tournures de l’original une transformation littéraire, analogue à celle que la parole de Jésus a certainement subie dans les sources grecques dont on veut que nos Evangiles dépendent ? — Et, si l’Evangile araméen lui-même se trouvait basé sur des documents antérieurs, identiques ou parallèles à ceux qui ont été exploités par les deux autres évangélistes, pourquoi notre traducteur n’aurait-il pas utilisé ces documents primitifs, dans les versions ou recensions grecques qui en avaient été publiées antérieurement à la rédaction des Synoptiques ?

Par ailleurs, ce traducteur a pu être, ou un disciple de saint Matthieu, travaillant avec l’approbation de son maître, ou saint Matthieu lui-même, qui, en sa qualité de chef d’octroi dans la ville cosmopolite de Gapharnaiim, devait bien connaître le grec, et, après avoir écrit pour les chrétiens de langue araméenne, aura ensuite adapté son œuvre à d’autres communautés, plus familiarisées avec le grec qu’avec l’hébreu.

183. S’objection et réponse. — Finalement, on trouve étonnant, si l’auteur du premier Evangile est saint Matthieu, que son récit soit généralement moins circonstancié que celui de saint Marc ; qu’on y trouve fréquemment, au lieu de renseignements précis, des indications générales et vagiies ; que les discours, au lieu d’être rattachés à des occasions déterminées, soient souvent détachés de leur contexte historique et groupés suivant un ordre piu-ement didactique.

Mais ces particularités se conçoivent sans peine de la part de l’apôtre, pour peu qu’on lui accorde une méthode personnelle et un l)ut particulier. Il est visible quel’évangéliste a eu un dessein principalement didactique : sauf dans les derniers chapitres, xxvixxviii, relatifs à la passion et à la résurrection, il glisse rapidement sur les faits, s’abstient de préciser leur chronologie, groupe ceux qui sont analogues, réduit leurs détails au strict nécessaire, pour mettre, au contraire, en pleine évidence les discours du Seigneur. On ne voit pas pourquoi ce dessein et cette méthode n’auraient pu convenir à tin apôtre tel que saint Matthieu. L’intérêt des premières communautés se portait de préférence sur les enseignements du divin Maître ; ses sentences et ses discours faisaient l’objet principal de la catéchèse des Eglises : quoi d’étonnant si l’apôtre Matthieu a conçu le plan d’une œuvre, mi-historique, mi-doctrinale, où l’intérêt de l’histoire se trouve subordonné à celui de l’enseignement ? Tu. Zaux, Einleit. in das N. T., t. ii, p. 303-305.

124. B) Le témoignage traditionnel doit s’entendre de la rédaction proprement dite de notre premier Evangile canonique par saint Matthieu. — La critique interne ne fournit donc pas de raisons péremploircs qui interdisent d’attribuer notre premier Evangile à saint Matthieu. Le témoignage traditionnel doit être apprécié en toute iiidcix’udance. — Or, à envisager ce témoignage en lui-même, il paraît certain qu’il entend ai)pli([ucr à notre premier Evangile, dans son ensemble, le bénélice de la composition par saint Matthieu.

Les plus anciens Pères, qui avaient en mains le premier Evangile grec et gardaient le souvenir d’un Eangile hébreu ou araméen, n’ont jamais fait de distinction entre l’un et l’autre, au point de vue de

l’origine directement apostolique : ils disent que saint Matthieu a écrit d’abord en hébreu, et c’est notre Evangile grec qu’ils citent sous son nom, comme si cet Evangile grec était l’équivalent de l’Evangile hébreu et procédait aussi complètement de l’apôtre saint Matthieu. Le témoignage même de Papias n’autorise pas à restreindre le travail de l’apôtre à la rédaction d’un simple recueil de Logia : nous avons vu que lui aussi se rapporte beaucoup plutôt à notre premier Evangile dans son état actuel (n° 117). Cf. Zaun, Einleit. in das JV. T., t. II, p. 206 sq.

133 C) Ce témoignage offre de sérieuses garanties de vérité. — Tout bien considéré, le témoignage traditionnel du u* siècle doit donc s’entendre de la composition proprement dite de notre premier Evangile canonique par l’apôtre saint Matthieu. — Or, ce témoignage olïre de sérieuses garanties de vérité. Dans l’hypothèse, en effet, où saint Matthieu serait seulement l’auteur des Logia, on ne s’expliquerait pas bien que la tradition du II’siècle lui ait attribué notre premier Evangile, et non le troisième, étant donné que, d’après les critiques, le recueil de Logia se trouve exploité aussi largement, sinon plus largement, dans le troisième que dans le premier (n°’39, 61).

126. On ne s’expliquerait pas, non plus, très bien que ce recueil, s’il était l’œuvre de saint Matthieu, se soit aussitôt perdu. Le cas n’est pas le même que pour les documents que nous avons supjjosés à la base de nos Evangiles synoptiques (n° 69) : ces documents, rédigés pour la catéchèse ordinaire, devaient circuler sans nom d’auteur dans les Eglises ; leur fortune a été absorbée par celle des écrits nouveaux. Evangiles complets que garantissaient des noms autorisés. Ici il s’agirait de l’écrit d’un apôtre, de l’apôtre saint Matthieu : cet écrit n’a pas été purement et simplement inséré dans le premier Evangile, comme le montrent les emprunts qu’a pu lui faire encore saint Luc ; on ne comprend pas qu’il ait été éclipsé si complètement par l’Evangile nouveau, à moins que celui-ci n’ait été également garanti par l’apôtre.

127. Pris en lui-même, le témoignage de la tradition a tout ce qu’il faut pour inspirer confiance.

— Au temps de saint Irénée, à l’époque plus ancienne de Papias, on était à peu de distance de l’âge apostolique. Cet espace de moins d’un siècle était couvert, dans les diverses Eglises, par les attestations des presbytres, dépositaires de la tradition laissée par les fondateurs de ces chrétientés, eux-mêmes disciples, souvent directs, des apôtres. Cette chaîne traditionnelle n’avait qu’un petit nombre d’anneaux : il était facile de les compter et d’en vérifier la solidité. L’attribution si ancienne du premier Evangile à saint Matthieu a donc toutes chances de reposer sur des renseignements bien établis, c’est-à-dire svu- une attestation de l’apôtre lui-même ou de ceux qui reçurent son ouvrage et le mirent en circulation dans les Eglises.

128. Le témoignage de Papias offre, en j)artuulier, une garantie de premier ordre, si, comme il est hautement probable, l’évèquc d’IIiérapolis tenait son information touchant l’origine du premier Evangile, comme touchant celle du second, de Jean l’Ancien, lequel ne doit pas se distinguer de l’apôtre saint Jean

(n"82).

Contrôlons ce témoignage de la tradition par rcxamen interne de notre Evangile.

2. D’après la critique interne

An témoignage de l’aïuiennc tradition, le premier Evanyile est donc l’œuvre de saint Matthieu, apôtre direct de Jésus, et il a été composé à l’intention des