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ÉVANGILES CANONIQUES

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1° // doit y ai oh- un rapport réel d’origine entre notre premier Evangile et saint Matthieu. — On ne voit pas, en effet, en dehors de l’histoire, ce qui aurait pu perler les premières communautés chrétiennes à mettre l’écrit sous un tel patronage. Aucune donnée du livre n’invitait à lattribuer à saint Matthieu plutôt quà un autre. Sans doute, le premier Evangile ne se borne pas, comme les deux autres Synoptiques, à nommer Matthieu dans la liste des Douze, X, 3 = Marc, iii, i^ =^ Luc, vi, 15 ; il le mentionne encore sous ce nom dans le récit de sa vocation, IX, f), alors que les autres évangélistes parlent à cet endroit de Lévi, lils d’Alphée, Marc, ii, 14 =^ Luc, V, 2y. Mais ce récit est aussi impersonnel dans saint Mattiiieu que dans saint Marc et saint Luc ; pas un mot ninsinue que le publicain soit à identiiier avec l’auteur. On ne peut évidemment songer qu’une particularité aussi peu suggestive ait inspiré de mettre le livre au compte de saint Matthieu.

En réalité, cet apôtre n’a. dans l’Evangile même qui porte son nom, qu’une place insignitiante ; nombre d’autres personnages y jouent un rôle beaucoup plus important, à commencer par Pierre et les deux fils de Zébédée. Dans l’histoire de l’Eglise primitive, le personnage est encore plus effacé. Somme toute, nous avons affaire à un apôtre d’ordre secondaire. Jamais, semble-t-il, on n’aurait songé à lui pour patronner l’ouvrage, si l’on n’y avait été amené par la vérité du fait. Le sentiment pieux, l’intérêt doctrinal ou apologétique, auraient incliné naturellement à mettre l’Evangile sous le couvert d’un grand nom, par exemple sous celui de saint Pierre, qui est précisément en haut relief dans ce document. Seul un témoignage historique très spécial a dû motiver l’attribution à l’apôtre obscur qu’est saint Matthieu. JuELicuEH, Einleitung in dus S’. T., p. 268 ; Zahx, Einleit. in dus X. T., t. II, p. 264.

119. Objection. — M. Loisy insinue que cette attribution pourrait provenir du rédacteur lui-même. A l’entendre, la substitution de Matthieu à Lévi dans l’histoire du publicain indiquerait que l’évangéliste prenait un intérêt particulier à l’apôtre et trahirait une certaine intention de recommander son œuvre du nom de Matthieu. Pourquoi aurait-il choisi cet apôtre ? « Il est possible, dit M. Loisy, à la suite de Strauss, que Matthieu ait été publicain, ou qu’on ait raconté qu’il l’était ; cette seule circonstance, qui faisait de lui un demi-païen, pouvait lui faire donner la préférence sur les apôtres que leurs antécédents ne permettaient guère de présenter comme auteurs d’un livre composé en grec. » Les Evang. syn., t. I. p. 142 ; cf. Stracss, Souv. vie de Jésus, t. I, p. 102 (n’J 211).

Réponse. — Mais ce sont là des suppositions gratuites, et de plus invraisemblables. — La manière dont saint Matthieu est représenté dans le premier Evangile, le fait qu’il n’y joue pas d’autre rôle que dans saint Marc et saint Luc, si l’on excepte le récit de son appel, d’ailleurs tout à fait impersonnel, rendent impossible d’imaginer que le rédacteur ait eu l’intention de faire prendre cet apôtre pour auteur du livre. Voulait-il justiUer la langue grecque de cet Evangile ? Il aurait songé beaucoup plutôt à tel apôtre important, André, Philippe, dont précisément le nom était grec et pouvait suggérer l’idée de familiarité avec la langue grecque. A supposer qu’il eût, pour un motif quelconque, préféré le nom de Matthieu, n’aurait-il pas eu soin de mettre cet apôtre fréquemment en scène, de souligner son personnage, d’insinuer de quelque façon son identitication avec l’auteur du livre ? « La première précaution des écrivains pseudonymes, a écrit fort justement M. Loisy lui-même, Le qnatr. Evang., p. 126, est de mettre en

plein jour le nom dont ils se parent. » Cf. Tu. Zahx, Einleit. in das A’. T.. t. II, p. 204.

Il faut donc le reconnaître, l’attribution du premier Evangileà saint Matthieu requiert un rapport authentique entre l’apôtre et l’œuvre qu’on lui attribue. — Ce rapport est-il celui d’une composition directe et intégrale ?

150. 2° Ce rapport consiste dans la rédaction proprement dite de n.itre premier Evangile par saint Mattiiieu. — Opinion contraire de beaucoup de critiques. — Un grand nombre de critiques, estimant, pour des raisons d’ordre interne, que notre premier Evangile ne peut être l’œuvre immédiate de saint Matthieu, pensent qu’à la base de la donnée traditionnelle doit se trouver seulement ce fait que l’apôtre aura rédigé un document primitif, simple recueil de Logiu, ou Evangile rudimentaire en araméen, entré plus tard dans la composition de notre Evangile grec. — Ainsi, d’une façon générale, les auteurs déjà mentionnés comme partisans de la théorie des deux sources (n°S9, cf. 53 lin). En outre W. C. Allex, A critical and excgetical Commentarr on the Gospel according to St. Matthe^v (International Critical Commentarr), 1907, p. lxxix-lxxxiii ; A. Plummer, An exegetical Commentarr on the Gospel according to St. Matthci’, 190g, p. vii-xi.

Quelques auteurs, comme MM. Schmiedel et Loisv, contestent même que le recueil de Logia, utilisé par le premier évangéliste, ait été l’œuvre directe de saint Matthieu, et pensent qu’il était tout au plus basé sur un ancien document comi>osé par cet apôtre (n° 61).

Voyons d’abord si les raisons opposées à la rédaction proprement dite de l’ouvrage pao" saint Matthieu s’imposent a priori.

151. A) // n’y a pas de raisons péremptoires qui interdisent d’attribuer notre premier Evangile à saint Matthieu. — 1" objection et réponse. — Il n’est pas vraisemblable, dit-on. qu’un apôtre, pour écrire la vie du Maitre dont il a été le témoin, se soit servi de documents déjà écrits et ait même basé son travail sur celui d’un simple disciple comme Marc.

Mais il n’est pas certain cpie notre premier Evangile soit basé sur le second : il semble [)lutôt, nous l’avons vu, que l’un et l’autre exploitent des sources communes. Or, que des sources écrites aient été utilisées par l’apôtre aussi bien que par le disciple, cela tlevient moins surprenant quand on réllèchit que ces documents primitifs, ensemble de récits et recueil de discours, formaient déjà la base de la catéchèse des Eglises et représentaient comme la substance consacrée de la tratlition apostolique (n°^ 69 et 86). Pourquoi saint Matthieu n’aurait-il pu s’emparer de ces premiers documents et les compléter, suivant son dessein propre, à l’aide de ses souvenirs et de ses autres renseignements, pour en former un Evangile suivi ?

ISS.’2"= objection et réponse. — On objecte encore que notre premier Evangile a dû être écrit directement en grec : il ne peut être la traduction d’un original araméen ; et, comme l’assertion la plus caractéristique du témoignage traditionnel porte sur le fait que saint Matthieu aiu-ait rédigé son Evangile en hébreu, la valeur de ce témoignage, en ce qui regarde le rapport essentiel de l’ouvrage avec l’apètre, est par là même grandement diminuée.

Mais rien n’autorise à a llirmer d’une façon absolue que notre premier Evangile ne peut être la traduction grecque d’un original sémitique. Il est certain qu’une partie considérable de son contenu, les discours et sentences de Jésus, a existé à l’origine dans la langue araméenne, parlée par le Sauveur : on le devine encore à maintes expressions et tournures spéciales du texte grec actuel. Qu’en d’autres endroits