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EVANGILES CANOxNIQUES

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le seul à raconter les incidents auxquels il avait été mêlé. On peut même penser que d’aiitres témoins étaient plus empressés que lui à relater son rôle dans les scènes évangéliques : les traits propres auxautres évangélistes doivent remonter à ces témoins particuliers, — Mais, ce qui semble bien accuser dans le second Evangile un accord tout spécial avec la prédication personnelle de saint Pierre, c’est que notre auteur s’abstient de relever ce que les autres racontent de plus glorieux pour le prince des apôtres, et que ses traits propres cadrent exactement, pour le caractère et la portée, avec les traits qu’il a en commun avec les deux autres Synoptiques, c’est-à-dire avec le fond de tradition qui doit provenir de la catéchèse même de Pierre.

2° Le second Evangile a été écrit pour des Romains. — Si maintenant nous recherchons, d’après la teneur générale du livre, les procédés didactiques de l’auteur et les pai’ticularités de son langage, à quels lecteurs l’ouvrage a été d’abord destiné, nous nous rendons compte qu’il a été composé pour des Gentils, plus spécialement pour des Latins et des Romains.

89. L’ouvrage a été composé pour des Gentils. — Il les suppose, en effet, ignorants de la langue, des mœurs et des coutumes juives.

Il reproduit des paroles du Sauveur, en araméen : Boanergès, iii, 17 ; talitha koumi, v, ^i ; corban, vii, 11 ; ephphata, vii, 34 ; Bartimee, x, 46 ; Abba, xiv, 31 ; Eloi, Eloi, lamma sabachtani, xv, 34 ; mais il a soin de les traduire aussitôt, sauf les termes, probablement plus connus, de rabbi, ix, 15, xi, 21, xiv, 45, et de rabboni, x, 51. — Est-il question du reproche adressé aux disciples de Jésus au sujet des ablutions qu’ils omettent, il prend la peine d’expliquer que les pharisiens et tous les Juifs ont, par tradition, coutume de se laver les mains avant de manger, de se baigner au retour du marché, de purilier leurs coupes, leurs ustensiles d’airain, leurs lits, vii, 3-4. Vient-il à parler de la Préparation, il spécifie que c’est la veille du Sabbat, xv, 42,

90. Ces Gentils, destinataires du livre, étaient des Latins et même des Romains. — On en trouve un premier indice dans les particularités linguistiques de l’ouvrage. Le grec de notre auteur est semé d’expressions et de tournures latines.

Un certain nombre, il est vrai, se retrouvent dans les autres Evangiles, et la raison en est qu’avec la domination de Rome s’était forcément produite une certaine infiltration de la langue latine, dans la langue des pays soumis. Cela est particulièrement vrai des termes militaires et administratifs, tels que orcjv.pio’j, xvîvaoç, /-ytojv, ~ py.Lr’J> piov, fpr/.’/e/jooi.

Mais, ce qui est à remarquer, c’est que le second Evangile renferme de ces latinismes un nombre plus considérable que n’importe quel écrit du Nouveau Testament, et qu’il en a de tout spéciaux. Tandis que les autres Evangiles et les Actes des apôtres appellent constamment l’oiricier commandant cent hommes k/.v-ojTv.pycç : ou ky.y-o-JTCf.pyt)-., notre auteur le désigne toujours par le mot xîvrv/siwv, c’est-à-dire centurie, xv, 39, 44. 45 ; comparer les passages parallèles, Matth., XXVII, 54 : = Luc, XXIII, 3^. Le garde auquel Hérode prescrit de lui apporter la tête de Jean-Raptiste, reçoit chez notre écrivain le nom de TTrszov/arw/î, c’est-à-dire spiculator, vi, 27. Les Aases que purifient les Juifs sont désignés sous le nom de f^T/ ;  ; , corruption du latin sextarius, vii, 4- Les expressions : èiXoiTUi ï’/ji->, V, 23, ixxvàv roisfv, XV, 15, sont calquées sur les expressions latines : in extremis esse, satis facere. Cf. vox Sodkn, Urchristliclie Lileraturgeschichte, p. 82-83.

Pareillement, notre auteur se représente ses lecteurs comme plus au courant de la monnaie romaine que

de la monnaie grecque. Dans l’épisode de la veuve aux deux liards, saint Luc, xxi, 2, qui a ce passage en commun avec lui, dit que la pauvre femme glissa dans le tronc du temple oùo /.smv.-, notre écrivain dit la même chose, mais en ajoutant que les deux menues pièces de monnaie grecque équivalent à un quadrans romain, le quart d’un as : / « nrà ous, S ^artv xo^oavTrjç, XII, l-2. — Quand il vient à parler de la résidence du procurateur, il la désigne par son nom vulgaire, « v>/ ; mais a soin d’indiquer aussi le nom spécial, sous lequel la connaissent plutôt les Romains, î iiri-j T.cy.izdipio-J, XV, 16.

Enfin le second évangéliste suppose ses lecteurs familiarisés avec des personnages qu’il nomme, et que nous avons de bonnes raisons de croire des Romains. Simon de Cyrène, dit-il, est le père d’Alexandre et de Rufus, xv, 21. Ces deux personnages sont censés bien connus des destinataires de l’Evangile. Or, l’un d’eux, Rufus, a un nom essentiellement latin ; d’autre part, c’est à un chrétien du même nom que saint Paul adresse un salut particulier, dans son Epltre aux Romains, xvi, 13 : « Saluez Rufus, élu dans le Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne. » Comme l’apôtre n’avait pas encore visité Rome, lorsqu’il écrivait cette lettre, il avait donc connu Rufus et sa mère ailleurs. La chose s’explique bien, si le Rufus établi à Rome vers l’an 56 s’identifie au Rufus dont le second évangéliste mentionne le père à Jérusalem vers l’an 30 ; saint Paul aura été en relations avec lui et sa inère, en Palestine. S’il en est ainsi, les lecteurs de l’Evangile, qui sont supposés bien connaître ce personnage, quelques années après que saint Paul signale sa présence à Rome, sont donc des Romains. Th. Zaiix, Einleitung in das N. T., t. ii, p. 241-242.

Cette particularité même tend à corroborer notre conclusion précédente, à savoir que l’Evangile rédigé pour les fidèles de Rome a été composé d’après la tradition du chef des apôtres.

Ainsi le témoignage interne du livre confirme le témoignage de la tradition sur deux points importants et très caractéristiques : le second évangéliste s’adresse à des Romains et il dépend de la tradition de saint Pierre.

Mais l’étude de l’ouvrage nous permettra de préciser encore davantage.

91. 3° L’auteur du second Evangile est un Juif palestinien, et même biérosoliimitain. — Cest un Juif d’origine. — La langue de notre évangéliste, en eflet, trahit un Juif d’origine. — On trouve d’abord sous sa plume des hébraïsmes assez nombreux. Un certain nombre, sans doute, lui sont communs avec les autres évangélistes et peuvent être attribués aux sources utilisées ; mais d’autres lui sont propres, comme àvo 3ùo, vi, ’j ; r.py.- : i^/t npy.71v.t, vi, !  ; , S/ry.7yr, uiy.i ii).(/.7yr, aiïv^ III, 28. L’emploi habituel de la conjonction yy.i, pour relier ses phrases et introduire ses récits (80 sur 88), doit être également mis à son compte personnel et accuse un auteur familiarisé avec la manière simple et rudimentaire du style hébreu. — Chose plus significative, nous avons vu que l’évangé liste aime à citer des paroles du Sauveur dans leur langue araméenne et qu’il sait en donner l’interprétation exacte à ses lecteurs (n° 89).

98. Ces diverses particularités autorisent à penser que l’auteur du second Evangile était Juif. La façon dont il parle des Juifs en plusieurs endroits, vii, 3, XII, 9, s’explique par le doul)le fait qu’il s’adresse à des chrétiens étrangers au judaïsme, et que lui-même n’appartient plus au judaïsme, étant devenu chrétien. On trouve un langage tout semblable chez saint Paul : I Cor., 1, 22 sq. ; ix, 20 ; II Cor., xi, 24 ; Gal.,