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ÉVANGILES CANONIQUES

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2. D’après la critique interne

Au témoignage de la tradition, le second Evangile a été composé, à l’intention des chrétiens de Rome, par saint Marc, disciple de saint Pierre. S’il est vrai, comme il est tout à fait probable, que ce personnage est identique au Jean Marc, cousin de Barnabe, dont la mère, nommée Marie, possédait à Jérusalem une maison, où Pierre s’abrita au sortir de la prison d’Hérode, Act., xii, 12(n°73), l’auteur de noire Evangile aurait donc été un Juif d’origine palestinienne. Dans quelle mesure ces divers renseignements sont-ils conlirnics par l’examen interne du document ?

83- 1° Le second Evangile a été rédigé par un disciple de saint Pierre. — Passages relatifs ù saint Pierre, communs au second Evangile et aux deux autres. — Si l’on examine le second Evangile, en le comparant aux autres au point de vue de la manière dont la personne de saint Pierre se trouve représentée, on constate d’abord que la plupart des passages où figure le chef des apôtres lui sont communs avec les deux autres Synoptiques : Marc, i, 16 sq. ; 29 sq. ; iii, 16 ; v, 87 ; viii, 29, 32-33 ; ix, i sq. ; X, 28 ; XIV, 29, 33 sq., 54, 66 sq. — Ces passages, nombreux, montrent que saint Pierre a, parmi les disciples, joué un rôle prépondérant ilans l’histoire évangélique, et que ce rôle était particulièrement souligné dans la catéchèse primitive, qui se trouve à la base de nos Evangiles actuels. — Cependant il est digne de remarque que ces récits ne font pas précisément valoir la i^ersonne du chef des apôtres.

£4. Lorsqu’il est l’objet d’un privilège de la part de Jésus, comme à la résurrection de la fille de Jaïre, v, 37, à la transliguration, ix, i sq., à l’agonie de Gethsémani, xiv, 33 sq., il est associé à deux autres apôtres, Jacques et Jean, et son rôle n’a rien de bien glorieux : dans le premier épisode, aucun trait ne le met au-dessus de ses deux compagnons ; à la transfiguration, il exprime le désir que l’on établisse trois tentes sur la montagne, et l’évangéliste note que le saisissement l’empêchait de bien savoir ce qu’il disait, IX, 5 ; à Gethsémani, il s’endort comme les autres, et c’est à lui que Jésus adresse le reproche de n’avoir pu veiller un moment avec lui, xiv, 3^.

85. Dans les autres circonstances, le rôle qu’il joue est, le plus souvent, loin d’être àson honneur : ainsi, lorsqu’il veut contrarier le dessein de la Passion et se voit repoussé par le Maître comme un satan, viii, 32-33 ; lorsqu’il fait valoir que les Douze ont tout quitté pour suivre le Sauveur et demande quel sera leur salaire, x, 28 ; lorsqu’il proteste, avec présomption, (le sa fidélité, xiv, 29 ; qu’il se borne à suivre son maître de loin, xiv, 54, et le renie par trois fois, XIV, 66 s([.

Ailleurs il est parlé de lui très simplement : il fut appelé par Jésus, en compagnie d André, son frère, I, 16sq. ; sa belle-mère fut guérie par le Sauveur, 1, 29 sq. ; il reçut le surnom de Piei-re, iii, 16 ; dans la circonstance même où, parlant au nom des Douze, il exprime leur foi commune au sujet du Christ, on ne rai)i)orle pas l’accueil fait par le Sauveur à sa déclaration, VIII, 311 ; t<)nq)arcr à Mullli., xw, 18-19.

86. Cette faç<m de décrire le lôle de Pierre, avec une juste impartialité, et même, semble-t-il, un certain soin à mettre en luiui< re ses défauts, sans qu’il y ait là cependant de paili pris et sans ([ue l’apôtre laisse d’être maintenu au picmier rang qu’il a eu dans la réalité, se comprend pailicnlièrement bien de la part du chef des apôln-s lui-même. Il est même tel récit, i)ar exemple celui du reniement, qui n’a pu être fourni ([ue par Pierre en personne et n’est entré dans la tradition que par lui.

La conclusion doit être que la tradition fondamentale, placée à la base de nos trois Synoptiques, se trouve en rapport étroit avec saint Pierre, et sans doute reproduit sa catéchèse, devenue promptement la catéchèse habituelle, et en quelque sorte ollicielle, des Eglises (n" 69). Cf. Loisy, Les Es’ong. syn., t. I, p. 114. Or, on conçoit bien que Marc, disciple de saint Pierre, ait basé son Evangile sur cette catéchèse, sauf à la compléter et préciser d’après l’enseignement recueilli par lui de la bouche même de son maître.

87. Traits spéciaux du récit de saint Marc dans les passages communs. — Si l’on compare effectivement le second Evangile aux deux autres Synoptiques, pour la partie qui leur est commune, on remarque d’une façon générale que ses récits sont plus détaillés et plus circonstanciés : l’auteur précise les temps, les lieux, l’impression produite sur la foule par les actes et les paroles de Jésus, les dispositions des disciples et celles des adversaires, les sentiments du Maître lui-même. Or, on n’a pas de peine à s’expliquer ces détails particuliers, ces traits pittoresques, dans l’hypothèse où notre Evangile s’inspire des renseignements personnels du j^rince des apôtres. Renan s’en exprimait justement en ces termes : « Il est plein d’observations minutieuses, venant sans nul doute d’un témoin oculaire. Rien ne s’oppose à ce que ce témoin oculaire, qui évidemment avait suivi Jésus, qui l’avait aimé et regardé de très près, qui en avait conservé une vive image, ne soit l’apôtre Pierre lui-même, comme le veut Papias. » Vie de Jésus, p. lxxxiii.

« La forte impression laissée par Jésus s’y retrouve

tout entière. On l’y voit réellement vivant, agissant ». Les E’angiles, p. 116. « Tout est pris sur le vif ; on sent qu’on est en présence de souvenirs ». Ibid., p. 118.

88. Passages relatifs à saint Pierre, propres au second Evangile. — Dans la partie qui est spéciale au second Evangile, trouve-t-on, par comparaison, des indices plus positifs d’un rapport particulier avec le chef des apôtres ?

Marc a quatre passages propres, où figure saint Pierre : i, 36 ; xi, 21 ; xiii, 3 ; xvi, 7. Dans les quatre passages, l’apôtre est mentionné d’une façon indifférente : il paraît à la tête du collège apostolique, mais sans que rien de particulier soit signalé à sa louange.

De leur côté, les autres évangélistes ont maints récits où il est question de Simon-Pierre, indépendamment des parties communes à saint Marc. Ainsi, Matth., XIV, 29 sq. ; xv, 15 ; xvi, 17 sq. ; xvii, 28 ; xviii, 21 ; Luc, v, 3-9 ; viii, 45 ; xii, 41 ; xxii, 8, 31 ; XXIV, 12, 34 ; Jean., 40-42 ; vi, 68-70 ; xiii, 6-9, 24, 36 ; XVIII, II, 1 5 ; xx, 2-6 ; xxi, 2, 7, 11, 1 5-2 1. Or, l’on constate que la plupart de leurs traits particuliers sont à l’honneur du chef des apôtres. Ainsi, la manière dont Jésus lui impose d’abord son surnom, Jean, i, 40-42 ; la pêche miraculeuse, qui signale son appel définitif, Luc. v, 8-9 ; le privilège que Jésus lui confère après sa confession à Césarée, Matth., xvi, 17 sq. ; sa marche sur les eaux, Matth., xiv, 29 sq. ; sa pêche du poisson au statêre, Matth., xvii, 28 sq. ; son rôle à la dernière Cène,./< ?^// ?, xiii. 6-g. 2^ ; le privilège quc le Christ lui renouvelle, à son apparition auprès du lac, et la prédiction qu’il lui fait ensuite, Jean, xxi, 2 sq.

Conclusions. — Cette teneur respective des documents semble favorable à la thèse de la composition du second Evangile par un disciple de saint Pierre.

— Que ce disciple, en effet, ait omis un certain nombre de traits concernant son maître, comme il s’en rencontre dans les autres Evangiles, cela n’a rien de surprenant : ce n’est pas seulement à Rome que l’on s’intéressait au chef des apôtres, et Pierre n’était pas