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ÉVANGILES CANONIQUES

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une glose suggérée par la liturgie baptismale. Cf. Les Evang. syn., t. II, p. 762, note i.

Réponse. — Mais les citations anormales d’Eusèbe n’ont pas la signilication défavorable qu’on leur prête : ce sont des citations obrégées ; l'écrivain veut prouver la royauté et la puissance universelles du Christ ; il ne reproduit du texte de saint Matthieu que ce qui va à sa thèse. Il est certain que la partie omise est citée ailleurs par l'évêque de Césarée. Bien plus, elle se trouve chez des auteurs plus anciens : au milieu et au début du 111° siècle, elle figure dans Origène, Scholia in E^'. secundum Malt lia eu ni, xxviii, 18 ; dans saint Cyprien, Liber Testinioniuruni, lib. II, c.xxvi ; Ep.-s.iLii, n. 3 ; dansTertullien, Z)e baptisnio, xiii ; Liber de præscriptionihus, xx ; au dernier quart du 11' siècle, elle est citée par saint Irénée, Contra Ilæres., III, XVII, I ; enlin, on la rencontre jusque dans la Didacké, vii, i. Aussi M. Loisy lui-même a-t-il cet aveu. Les Es’ang. syn., t. II, p. 731 : « Son emploi est attesté par la DidacJié, vii, i, et l’on peut croire qu’elle était universellement reçue dans les Eglises au commencement du second siècle. »

D’autre part, le contenu de la formule n’indique aucunement une époque récente. La doctrine trinitaire qu’elle exprime se retrouve équivalemment dans la I" Epitre de saint Clément, vers g5 : I Clem., L.in, 2, et même dans saint Paul, II Cor, , xiii, 13 ; cf. I Peir., I, 2. Le fait que dans les Actes des apôtres nous voyons les fidèles baptisés au nom deJésus, Christ et Seigneur, n’empêche pas non plus que le premier évangéliste ait pu rapporter comme parole du Sauveur la sentence en question : la formule des Actes a pu n'être pas regardée dès les premiers jours comme devant être employée immédiatement et en toute occasion ; mais il est fort possible aussi qu’elle ait été dès lors réellement employée : la formule : « baptiser au nom de Jésus-Christ » ou de « Jésus Seigneur », indiquerait simplement que les baptisés faisaient profession de croire en la glorification messianique de Jésus et lui étaient désormais consacrés. Cf. H. B. Swete, dans VExposilor, oct. 1902 ; l’Iie LIoly Spirit in the vYeu' l’estament, 1909 ; ïh. Riggi : mîacii, l)cr Trinitarische Taufbefehl nacli seiner arspninglichen Textgestalt und seiner Antlieritie untersucht, 1908 ; F. E. Chase, The Lord' s command to baptize, dans le Journal of theological Studies, 1906, p. 481-521 ; J. Lebretox, Les origines du dogme de la Trinité, 1910, notcE.

46. L’attribution du Magnificat à Marie, Luc,

I, ! (j. — (Jb/i’ctioiis à l’authenticitf. — Dans ([uelques textes anciens, le Magnificat se trouve attribiu', non à Marie, mais à Elisabeth. Ainsi trois manuscrits de la Vulgate antérieure à saint Jérôme, a, b, l, ont la leçon : Et ait Llisabeth. On trouve la même leçon dans deux manuscrits tardifs (codex Claromontanus, ix' siècle, codex Vossianus, xiv' siècle) de la version latine de saint Irénée, Contra Hæres., IV, vii, i. A la fin du IV' siècle, saint Xicéla, évêque de Rémésiana en Dacie, nous montre le Magnificat chanté dans son Eglise comme canliiine d’EIisabelh : <i Cum Elisabeth Dominum aniiiui noslra magnificat. » Enfin. ; iu milieu du m" siècle, Origène, dans une de ses iiomélies sur saint Luc, In Luc. honi. au, conservées dans la traduction latine de saint Jérôme, fait allusion à un groupe de manuscrits où la prophétie de Marie est mise dans la bouche d’Elisabeth.

Cette leçon excci)tionnelle a été approuvée par quelques critiques : IIarnacic, Das Magnificat der Elisabeth, dans les Sitzun^sberichte der koniglichen preussischen Akademie der IVisscnschaft, 1900, p. 538-556 ; A. Loisv, lievue d’histoire et de littérature religieuses, 1897, p. 424-^32 ; Les Evang. syn., 1907, 1. ! , p. 302-303.

Réponse. — Au point de vue de la critique externe. — Il semble cependant certain que la leçon authentique doit être la leçon commune. En efi’et, au point de vue de l’histoire critique du texte, la leçon exceptionnelle est au moins sensiblement inférieure en jtrobabilité à la leçon ordinaire.

Même à l'époque la plus ancienne où nous trouvons attestée la leçon : Et ait Elisabeth, nous voyons que cette leçon est constamment, par rapport à la leçon : Et ait Maria, une leçon exceptionnelle, généralement négligée et rejetée. Ainsi, auxv et iv’siècles, les principaux Pères de l’Eglise latine, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jérôme, attribuent invariablement le Magnificat à la Sainte Vierge et semblent ignorer la variante dont témoigne saint Nicéta. Il en est de même des Pères de l’Eglise grecque, à la même époque, saint Epiphane, saint Basile, saint Athanase. Les manuscrits grecs, conservés de ce temps, N, A, B, C, D, portent la leçon commune, comme tous les manuscrits grecs postérieurs, sans exception. Même unanimité chez les Pères de l’Eglise syriaque, saint Ephrem, saint Apliraate.

Si du IV* siècle nous nous reportons au 111°, nous constatons un phénomène semlalable. Origène, qui est seul à nous parler des manuscrits portant la leçon divergente, traite cette leçon comme anormale et négligeable : toute son homélie viii n’est qu’un commentaire du Magnificat présenté sans restriction comme cantique de Marie.

Au delà d’Origène, nous ne rencontrons plus aucune allusion à la leçon disparue. En revanche, nous trouvons des témoignages très formels en faveur de la leçon ordinaire : dansTertuUien, Lib. de anima, XXVI ; en deux endroits incontestablement authentiques de saint Irénée, Contra Hæres., III, x, 2 ; IV, VII, I ; enfin dans le /Jiatessaron de Tatien.

Au point de vue de la critique interne. — Si maintenant nous considérons le rapport avec le contexte, c’est-à-dire avec la situation respective d’Elisabeth et de Marie, telle que la décrit saint Luc, la leçon ordinaire s’impose véritablement. Envisagé à ce point de vue, en efi’et, le Magnificat choquerait étrangement, placé dans la bouche d’Elisabeth et contredirait toute son altitude dans la scène. Rien de i)lus remarquable que la manière dont Elisabeth s’humilie et s’anéantit en présence de Marie, s’oubliant et s’elTaçant elle-même devant la Mère de son Sauveur ; or, tout à coup, par un complet changement d’attitude, elle passerait à louer Dieu de la faveur personnelle qu’elle a reçue ! Ses pensées cesseraient de converger vers Jésus et sa Mère pour se porter sur elle-même ! Elle vient de saluer Marie bénie entre toutes les femmes, elle s’est abîmée devant la Mère de son Seigneur : et brusquement elle s’appliquerait à elle-même, en renchérissant encore sur les expressions, ce qu’elle vient d’adresser à l’auguste Vierge, en parlant des grandes choses que le Tout-puissant a accomplies en elle, et du concert de louanges que feront retentir en son honneur toutes les générations ! Une telle attitiule ne siéerait point à Ellisabcth dans la circonstance ; un tel langage détonnerait sur son petit discours antérieur, il ne serait point dans la situation. — Au contraire, le Magnificat coin ient tout à fait dans la bouclie de Marie et s’harmonise exactement avec le reste de la scène.

Cette observation a une portée décisive : il s’agit (le l'économie fondamentale du récit évangélique. Jointe aux argiuuents fournis par l’histoire critique du texte, elle oblige à conclure à l’authenticité de l’attribution du Magnificat à Marie. Cf. A. Durand, L’origine du Magnificat, dans la Revue bibl., 1898, p. 74-77 ; O.BAiu)EMiEWKn, Ist Elisabeth dieSangerin des Magnificat.' dans les Liiblische Studien, t. VI,