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EUCHARISTIE


l’Eucliaristie. Cette constatation toutefois ne fait pas tomlter toutes les objections : pour ce mystère comme la plupart des autres, ce qui déconcerte le plus g^rand nombre d’esprits, c’est moins le fait de la révélation que l’objet de la révélation ; sans doute on soulève beaucoup de difficultés liistoriqvies, qu’il faut résoudre ; mais l’objection capitale, avouée ou tacite, se prend du mystère lui-même. C’est ainsi, par exem-I )le, qu’A. Ri’iviLLE écrh’Ait (Manuel d’instruclian religieuse, 200-25 1) : « Le dogme catholique, qui ne date

« sous sa forme arrêtée que du xie siècle, est aussi
« contraire au bon sens qu’aux textes. Il suppose

M que le même corps peut être présent en plusieurs

« lieux à la fois ; que la substance d’un corps peut
« totalement changer sans que les accidents (couleur,
« forme, dimensions, saveur, odeur, etc.) éprouvent
« le moindre changement ; que. Jésus-Christ présent,

K ses apôtres assis à la même table ont pris et mangé

« leur maître, etc., etc. El quelle inutilité dans ce
« miracle monstrueux ! » Cf. Calvix, Instit. chrét.,

IV, XVII, 2^ ; Grétillat, I. l., IV, 506 sq. ; Lobstf.ix, La doctrine de la Ste Cène, p. 163 sq. ; Mo.nxier, art. Cène, Encyclopédie des sciences religieuses, II, p.’j-g, etc.

Pour répondre à ces objections, il faut d’abord dissiper l’équivoque crééepar nos adversaires autour de la notion même de mystère. Autre chose est une doctrine mystérieuse, autre chose une doctrine contradictoire. Nous prétendons que, dans les dogmes chrétiens, et, en particulier, dans le dogme de l’Eucharistie, on ne peut démontrer avec certitude aucune contradiction, et sur ce point nous insisterons tout à l’heure ; nos prétentions ne vont pas plus loin ; nous croyons que l’objet de notre foi est mystérieux et que, par conséquent, nous ne pouvons en démontrer intrinsèquement ni l’existence ni même la possibilité. Volontiers nous répétons ce que saint HiLAiRE écrivait de l’Eucharistie (De Trinit., VIII, 1/4. P.L., X, 24 ;) : « yon est humano a ut sæculi sensu in’Dei rébus loquendum… Quæ scripta sunt legamus, et quæ legerimus inteliigamus. et tuniperfectæ fidei officio fungemur… »

Nous ajoutons même que le caractère mystérieux du dogme eucharistique confirme notre foi, loin de l’ébranler. Sans doute, si la Cène n’est qu’une commémoraison symbolique, comme le veut ZAvingle, elle n’a plus rien qui nous déconcerte, mais aussi elle n’a plus rien qui nous dépasse ; nul, sans doute, ne sera tenté de dire, comme àCarpharnaiim : Durus est hic ser.’HO ; mais nul ne comprendra, en présence d’une institution si familière, si simplement humaine, ni le trouble des disciples, ni l’accent mystérieux des paroles du Christ. Les hérétiques du xvi’siècle, moins rationalistes et plus religieux que ceux d’aujourd’hui, comprenaient pour la plupart ce caractère nécessairement mystérieux du dogme chrétien, et un des efforts principaux de Calvin a été de l’assurer à sa doctrine : Instit. chrét. IV, xvii, 2^ ; Dilucida explicatio sanæ doctrinæ de vera participatione carnis et sanguinis Christi (Genevæ 1561), p. 28 ; aujourd’hui ses disciples l’ont éliminé, condamnant ce qu’ils jugent non sans raison une « représentation fantastique » (Lichtenberger, art. Cène, Encyclopédie, II, p. 701). Ce n’est pas aux hommes, en effet, qu’il appartient d’introduire des mystères dans le dogme ; leur devoir est d’y reconnaître et d’y croire ceux que Dieu leur a révélés.

D’autre part, si la raison est déconcertée par le mystère eucharistique, elle n’j-constate avec certitude aucune contradiction. Pour mettre ce lîoint en lumière, nous exposerons brièvement l’interprétation rationnelle du dogme, telle que S. Thomas la proposée (1II « , ([. ; 3-83).

Cette doctrine suppose que le monde matériel est autre chose qu’un réseau d’apparences sensibles et qu’il est formé aussi de réalités sous-jacentes que l’esprit seul peut percevoir ; elle suppose de plus que non seulement ces deux ordres de réalités sont distincts, mais que, malgré la relation transcendantalc qui les unit, ils peuvent être miraculeusement séparés l’un de l’autre. Partant de la conception péripatéticienne des accidents absolus (cf. Aristotk, Métaph. , IV, 3, 1029 a 13), S. Tuomas montre qu’on ne peut prouver que Dieu ne puisse soutenir miraculeusement dans l’existence la quantité et, par elle, les autres accidents, après que la substance du pain a été convertie au corps du Christ (III'>, q. 77, a. 1, 2). D’autres théologiens, partant du dynamisme de Leibniz, distinguent entre la substance conçue comme principe d’énergie (îvjo/îik) et l’impression qui en émane (hip-/r, y.y.) (ainsi Fraxzelix, JDe eucharistia-, II. 290). Quelle que soit la conception philosophique à laquelle on s’attache, on devra maintenir la distinction des objets sensibles et des objets intelligildes, et la séparation possible, — par miracle, — des uns et des autres.

A. — La présence réelle et la transsubstantiation

Le catéchisme du concile de Trente (n. 26 sq.)j énonce ainsi les traits essentiels du mjstère de l’Eucharistie : « Dans ce sacrement il y a trois vérités

« souverainement admirables, que la foi catholique
« croit et confesse sans aucune hésitation. La première

est que le corps véritable du Christ, celui-là

« même qui, né de la Vierge, siège aux cieux à la
« droite du Père, est contenu dans ce sacrement. La
« seconde est que rien de la substance des éléments
« ne reste dans le sacrement… La troisième est que
« les accidents restent sans svijet d’une façon admirable

et inexplicable. »

Ces trois traits du dogme eucharistique ont déjà été reconnus dans la doctrine scripturaire et traditionnelle ; l’étude théologique en fait apparaître la cohésion.

Elle ne Aise pas d’ailleurs à en effacer le mystère ; loin de là : ce n’est qiie par la considération attentive du mystèrequ’onpeutparvenir à une conception rationnelle du dogme chrétien et, en particulier, du dogme de l’eucharistie. Les doctrines héréti({ues se reconnaissent en général à ce qu’elles présentent d’abord à l’esprit des conceptions accessibles, parce que purement humaines, mais l’engagent ensuite dans des contradictions insolubles ; tout au contraire, la doctrine catholique met d’abord le fidèle en face d’un mystère qui le déconcerte ; mais ensuite la confession du mjstèrelui fait saisir tout le reste ; et par là encore se vérifie la maxime augustinienne : Credo ut intelligam. Ainsi en est-il de l’Eucharistie : rien ne dépasse plus nos idées humaines que le dogme de la transsubstantiation ; c’est par là cependant que tout s’éclaire : la présence du corps du Christ dans l’hostie, en tant de lieux différents ; sa présence totale en chaque parcelle ; la permanence des apparences sensibles du pain et du Ain, tout cela est sapi par le théologien catholique dans la confession de la transsubstantiation ; mais, s’il al^andonne ce dogme primordial, toute la synthèse dogmatique se disperse en un chaos de propositions contradictoires.

Le concile de Trente définit la transsubstantiation une convcrsion admirable et singulière de toute la substance du pain en toute la substance du corps du Christ, et de toute la substance du Ain en toute la substance de son sang, les apparences sensibles du pain et du A’in continuant d’ailleurs à exister. Ces paroles marquent assez ce qui distingue la trans-