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EUCHARISTIE

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que l’Eglise des premiers siècles reconnaît dans l’Eucharistie le corps du Christ. Qu’il faille entendre cette exi)ression au sens propre, on le verra plus clairement encore par les textes et les faits qui nous restent à considérer ; mais, dès maintenant, il faut avouer que seule la foi en la présence réelle explique ces expressions universellement étaJjlies dans la liturgie, la prédication, la controverse apologétique, la vie chrétienne entière. Plus tard, il est vrai, on retrouvera parl’ois des expressions sendilables même dans des églises réformées qui ne verront plus dans l’eucharistie qu’un symbole du corps du Christ ; mais ce ne seront que des survivances, d’ailleurs bientôt éteintes, d’un long passé chrétien qui impose encore quelque temps ses pratiques et ses formules liturgiques à des communautés qui ont déjà perdu sa foi. On ne saurait expliquer de même l’origine spontanée de cette langue chrétienne, dans une Eglise qui n’eût pas été dès l’abord pénétrée de la foi en la présence réelle du corps du Christ.

Au reste, la pratique religieuse des chrétiens répond elle aussi à cette foi : dès l’origine l’eucharistie est la chose sainte par excellence, « sanctum », rô ur/i’.-j {Didache, ix, 5 ; Tertull., De spectac, xxv ; Cypr., /Je laps, xxv ; Denys d’Al., ap. Ecseb., //. e., VII, ix, cf., dans les liturgies postérieures, « sancta sanctis ») et elle est traitée comme telle : Tertullien remarque déjà le soin qu’on apporte à ne rien laisser tomber des éléments consacrés : « Calicis aut panis etiam

« nostri aliquid deculi in terram anxie patimur » 

(De corona, m) ; Origèxe de même : « Xostis qui divinis mj’steriis interesse consuestis, quomodo, cum

« suscipitis corpus Domini, cum omni cautela et
« veneratione servatis, ne ex eo parum quid décidât, 
« ne consecrati muneris.iliquid dilabatur. Reos
« enim vos creditis, et recte creditis, si quid inde
« per negligentiam décidât. » (fn Exod. Iioin., xiii, 3.)

S. Cyrille de Jérusalem fait aussi à ce sujet les recommandations les plus pressantes : Catec/i., v, 21. Ainsi cjud’a remarqué DoELLtNGER(Z)te Eucharistie in deii ersten drei Jahrhiinderten (Mainz, 1826), p. G4, cf. Struckmaxx, /. /., p. 162), on ne constate aujourd’hui ce respect et ce souci que dans les Eglises qui croient encore à la présence réelle ; et en effet les autres ne voient dans ces textes patristiques que des témoignages d’une « antique superstition » (Har-NACK, Dogmengeschiclite, I, p. 476, n. 1).

La même foi s’exprime encore dans le culte rendu à l’Eucharistie : au témoignage de saint Augustin {Kiuirr. in ps. xcviii, g. P. A., XXX VII, 1 26/1) on ne reçoit jamaisle corps du Christ sans l’adorer ( « nemo illam

« carnem manducat, nisi prius adoraverit »), ne pas

l’adorer serait pécher ( « peccamus non adorando ») ; cf. Episl. c.y., 66-67 (^ ^". XXXIII, 666-567) ; on trouve des attestations semblables chez S. Ammroise, f)e Spir. Sanctu, III, 79 (/ /-, XVI, 796) ; S. Cyrille de Jérusalem, Calccli. v, 22 ; S. Jean Ciirysostome, In Malllt. Itoni. vu (/-. (7., LVII, 78) ; Théodoret, Eranistes, 11 (A G., LXXXIII, 168).

Ces formules et ces pratiques de l’Eglise sont par elles-mêmes assez claires ; si cependant on en veut une interprétation authentique, ou la trouve dans les instructions adressées par les évêques aux nouveaux baptisés ; il sudit de rappeler les Catéchèses inystagogiqiies iv et v de S. Cyrille de Jérusalem et le De niysteriis de S. Ambroise ; ce sont précisément les documents les plus formels et les plus explicites de toute la tradition patristi(pie(cf. iiifru, col. b~j ! -ib-b). M. Looi"s(art. Ahendmahl, I{ealencYklup(idic, l, i).53) voit dans le langage de S. Cyrille unccondescendance pour la foi des simples, et plus bas, citant Catech. iv, 9, il écrit : « On ne peut parler dune manière plus

« massive ; si l’on prenait ces paroles à la lettre, on’( y trouverait la transsubstantiation. Mais Cyrille
« parle en catéchiste. » Pour nous, ce qui donne plus

de poids à ses paroles, ce qui nous les fait entendre à la lettre, c’est précisément qu’elles sont un catécliisme, adressé à des simples.

Les catéchèses de S. Augustin que nous possédons (.s’e/m. ccxxvii, ccxxix, cclxxii) sont bien plutôt des exhortations que des instructions ; S. Augustin suppose la doctrine eucharistique déjà enseignée, il la rappelle d’un mot ( « panis est corpus Christi »…), et il passe delà aune exhortation sur l’unité de l’Eglise, le corps mystique du Christ (cf. K. Aoam, Die Eucharistielehre des hl. Augustin (Paderborn, 1908), p. 87).

Dans ce qui précède on s’est attaché à montrer la foi commune de l’Eglise primitive à la présence réelle, et à l’atteindre dans son expression collective et sociale ; il est facile de conlirmer ces données et de les enrichir par l’étude des docteurs de l’Eglise ; on trom-e chez eux non seulement l’allirmation du dogme, mais l’exposé rationnel de ses éléments constitutifs et de ses relations avec les autres dogmes chrétiens ; nous n’avons pas à entrericidans le détail de cette théologie ; mais, restant sur le terrain apologétique qui est le nôtre, nous emprunterons seulement aux anciens Pères deux considérations très propres à conlirmer le dogme de la présence réelle et aussi à le faire mieux entendre.

L’Eucharistie et V Incarnation. — On a étudié plus haut (col. 1 56 1) le rapport de ces deux mystères d’après le discours de Notre-Seigneur tel qu’on le lit chez S. Jean (ch. vi). Les Pères, ceux surtout qui sont plus pénétrés de la doctrine johannique, se sont attachés à cette doctrine et l’ont développée. S. Ignace, déjà, marque, à propos des docètes, les rapports de la christologie et de l’eucharistie (Sniyrn., vii, i) ; S. Justin les accentue davantage (l Apol., lxvi, 2) : « De même

« que par la vertu diu Verbe de Dieu, Jésus-Christ
« notre Sauveur s’est incarné et a pris chair et sang
« pour notre salut, ainsi cet aliment consacré par la
« prière… est la chair et le sang de ce Jésus incarné. » 

Les Pères du iV siècle reprennent souvent cette comparaison, et la complètent en montrantcomment, par l’eucharistie, le Christ poursuit l’œuvre commencée par l’incarnation en sunissant à chacun de nous : S. H1LAIRE, De Trinitate, VIII, 13 (P. Z., X, 2^6) ; S. Grégoire de X’ysse. Orat. catechet., xxxvii. 3, 4. 10 (P. G.. XLV, 93-97) ; S. Jean Chrvsostome. /n Matth. liant, lxxxii (LA’III, 744> cf. 739, 740). xxv LVII, 331). S. Cyrille d’Alexandrie surtout insiste sur les relations de l’incarnation et de l’eucharistie ; ses textes on tété réunis en grand nombre par J.Maiié. L’Eucharistie d après S. Cyrille d’Alexandrie (liew d’hist. eccL, VIll (1907), p. 677-696^ surtout 690 sqq.). Cette comparaison traditionnelle met en lumière deux cléments très inq)ortants du dogme eucharistique : la réalité du corps du Christ dans l’eucharistie, et son identité avec le corps historicpie du Seigneur ; la réalité est évidente : c’est elle qui justilie la comparaison des deux mystères, de l’incarnation et de l’eucharistie, et c’est elle aussi qui fait comprendre comment l’œuvre d’union, commencée par l’incarnation, se poursuit et se consonune par l’eucharistie. L’identité du corps historique du Christ avec son corps eucharistique n’est i)as moins claire : le principe, en effet, d’où parlent les Pères, est que seul le corps que le Christ a pris à l’incarnation peut nous vivitier ; tout leur elTort est donc d’expliquer comment

« ce cori)s unicjue », ri h ixûvo s’S>uc/., comme dit

S. Grégoire de Xysse (/. /., xxxvii, 4) peut atteindre tous les lidèles et s’unir à eux.

L’union du Christ et des chrét’ens par l’Eucharis 50