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EUCHARISTIE

du Seigneur (j : y.rii’jy.Zo> y-ô tîv z^kî./) ; d’où M. Loisy, comme nous l’avons vu, conclut que cette tradition prétendue n’a d’autre source qu’une vision, c’est-à-dire, d’après lui, une autosuggestion. Certains historiens répondent que saint Paul n’entend pas signifier par là qu’il ait connu les i :)aroles delà cène par révélation immédiate, mai^^eulement que ces paroles, qu’il a connues par la tradition, viennent en elTet du Seigneur ; ils ajoutent que, s’il dit « -î et non -v.r.y., c’est sans doute pour exi)riiner une nuance d’éloignement et indiquer un intermédiaire (Batiffol, p. 6-~ ; G. Van Crombrugghe, I)e soteriologiæ fhutihus, l^. 151-155). Cette interprétation ne semble pas la plus probable : la langue bellcnistique n’établit pas entre àrs et -ry.py. la distinction si nette que l’on suppose (cf. J. MouLTOx, Grammar of N. T. Greek, I, p. 287 et 2^6 ; E.Brohse, Theol. Stud. und Krit., 1898, p. 351-36o), et l’allirmation emphatique de l’Apôtre (i/6j-/ko r.y.pi’j’y.^o-j) semble bien impliquer une révélation qu’il a reçue personnellement. C’est ainsi que, dans Gal., i, 12, saint Paul rapporte à une révélation l’origine de « son évangile » ; d’ailleurs cet autre texte nous aide à comprendre quel est l’objet propre de la révélation de l’apùtre : ce ne sont pas les faits historiques, qui font partie de la catéchèse commune, c’est leur signification intime ; ces faits cependant ont été reçus par l’apôtre et transmis par lui, comme appartenant à son évangile (I Cor., xv, i sqq.). Ainsi en est-il du récit de la cène : il contient des récits, il rapporte des paroles qu’on retrouve presque textuellenuMit chez les sj-noptiques ; tout cela dérive d’une traditioncolleclive, non d’une révélation personnelle ; mais le sens intime de ces faits, leur portée mystérieuse ont été révélés par le Seigneur à saint Paul. Cf. Berxixg, /. /., p. 52-G4.

Il faut donc admettre que, antérieurement à saint Paul, la célébration de l’Eucharistie est rattachée à une institution du Seigneur, et ceci s’entend sans peine, si l’on veut bien ajouter foi aux récits de saint Paul et des évangélistes. Au contraire, si l’on repousse leur témoignage, on se crée à plaisir des dillicultés insolubles : pour accepter le système de M. Jiilicher, il faut supposer sans aucune preuve, ou plutôt contre tous les textes : que l’action du Christ à la Cène n’était qu’une parabole ; que les disciples l’ont instinctivement répétée ; qu’ils ont instinctivement attribué cette répétition à un préceiîte du Christ. Si l’on suit MM. Hoilmann et Goguel, la dilVuultè est plus grande encore : on ne peut comprendre comment un repas de corps s’est transformé si rapidement en une commémoraison de la cène du Seigneur, et comment cette commémoraison a été censée voulue et instituée par le Christ.

h) I.ea textes des synoptiques.

Il est éviilcnt que le texte do saint Luc, tel que nous le lisons anjoiU’d hui, corrobore le témoignage de saint Paul, mais on met en question l’aiithenlicité des versets 19-20, où on lit les paroles de l’institution : ces versets sont omis pa ; - le cude.r liezæ { D) et qucl<jiies manuscrits de l’ancienne version latine (n d //- il) ; les versions syriaques du Sinaï, de Curoton et la Peshilto ont toutes trois diverses lacunes on trans])Osi lions (v. Go( ; ukl, p. 110, 111). En conséquence, Wi ; sTcoTT-HoKT et, après eux, la plupart des édilouis anglais regardent l".t-"20 comme interpolés. Celte condamnation semble injustifiée : l’omission de ces deux versets est proj)re au te :  ; tc dit occitlental ; elle s’explique assez aisément par le désir di- supprimer la didiculti- apparente que crée la doublr- mention de la coupe (17-18 et 20). Au contraire, ces deux versets se trouvent dans tons les giands manusci-its grecs (sauf I), ijui est bilingue) : ils sont exigés ))ar le parallélisme du récit |20 répond à l’.l, comme 17-18 à 15-l(ii : enfin on no saurait expliipicr leur insertion dans ce passage : s’ils ont été, comme on le jirétend, empruntés à S. Paul, d’où vient l’addition de ~i J-’ip jit.wi

£/ ; ^-j>yo’/ ; v5> ? d’où vient l’omission du second ordre de répétition (tîvtî t : o(S(tî) ? Ils sont maintenus par Tische.ndcIkf et Nestlé ; pour une discussion plus complète de leur authenticité, v. Berxing, p. 25-47 ; Batiffol, p. 22-28 : J. Réville, p. 98-102 ; Gogue’l, p. 108-117.

L’authenticité intégrale du texte de S. Luc, ainsi établie, contirme ce qui a été dit plus haut de la valeur du témoignage de S. Paul : on s’accorde en eiî’et unanimement à reconnaître que l’évangile de S. Luc est indépendant des épîtres de S. Paul ; son récit s’appuie donc sur une tradition antérieure, celle-là même dont saint Paul aussi dépend.

A cette tradition, qui mentionne explicitement l’institution de l’Eucharistie par Jésus, on oppose les textes de S. Marc et de S. Matthieu. Cette opjjosition est gratuite : rien chez ces deux évangélistes ne contredit le fait de l’institution ; Mgr BatilTol remarque justement (/. /., p. 69) : « Nous ne pouvons vraiment pas ne pas souligner ce qu’a d’arbitraire le ])rocédé

« par lequel on fait taire les témoins qui atlirment, 
« pour n’écouter que ceux qui ne disent rien. » 

Il faut aller plus loin : le rapprochement cjui est fait par S. Marc et S. Matthieu entre le repas pascal et la Cène du Seigneur montre assez que Jésus a voulu instituer une Pàque nouvelle et pas seulement prendi-e avec ses disciples un repas d’adieu ; la remarque est d’un protestant libéral : « Le fait décisif, cjui tranche

« la question (de l’institution) dans le sens affîrmatif, 

est moins la formule de Paul et de Luc que

« l’attitude générale de Jésus, qui voulut évidemment’( maintenir la Pàque, mais en en renouvelant le sens. » 

(LoBSTEix, La doctrine de la Sainte Cè « e(Strasl)ourg. 1889), p. 80.) Cf. G. B. Stevens, The Theology of tlic N. T. (Edinburgh, 1901), p. I25.

c) L omission du récit de la cène par S. Jean.

L’objection qu’on tire de cette omission est extrêmement fragile ; au temps de Gfrorer, on y attachait beaucoup d’importance ; aujourd’hui les critiques la mentionnent à jieine. En elfet il est hors de doute que, quand S. Jean écrivit son évangile, l’Eucharistie était regardée depuis longtemps comme instituée par le Christ, et le récit de cette institution était familier à tous. Dès lors on conçoit sans peine que S. Jean ne l’ait pas reproduit (cf. Calmes, L’évangile selon Saint Jean (Paris, igo^), p. 370). D’autre part, le fait de l’institution est certainement supposé par le discours eucharistique rapporté au ch. vi : les menaces et les promesses du Christ visent, par delà ses auditeurs de Capharnaiim, tous ses futurs disciples et elles supposent que, pour eux tous, l’Eucharistie, qui sera instituée par Jésus, sera la source indispensable de la vie.

Conclusion. — Les textes évangéliques, même si on les supposait isolés, seraient déjà de nature à produire la conviction ; mais si on considère leur coliésion étroite, non seulement avec le témoignage de S. Paul, mais avec la pratique de l’Eglise primitive, ils acquièrent une force irrésistible : suj^primer le fait de l’institut ion de l’Eucharistie par Jésus-Christ, ce n’est pas seulement faire violence aux textes, mais c’est introduire gratuitement dans les faits des contradictions insolubles.

II. — L’Eucharistie d’après le Nouveau Testament

Le fait de l’iiislilulion étant établi, il reste à déterminer l’objet de cette institution. L’enseignement du Nouveau "Teslamont est, sur ce point encore, très explicite, et il y a avantage à le considérer en lui-même avant d’étudier le témoignage delà tradition. Pour rendre la discussion plus claire, nous distin-