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Dans la théorie de l’Etat païen, la fin particulière (les individus ne joue aucun rùle, elle n’existe pas, ou plutôt elle se fond dans l’activité collective de l’Etat. Il s’ensuit que l’Etat domine et embrasse tovite la vie des citoyens, que rien n’échappe à son action et à sa compétence, que devant lui disparaissent les droits individuels innés ou acquis. C’est le despotisme le plus absolu et le plus radical.

Sans doute, assagi par l’expérience de la vie, Pla-Tox distingue l’individu de l’Etat. Son ouvrage des Lois tient compte des inclinations de la nature humaine ; mais lorsque, dans la i ?é/ ;  ; </ ; //(/ « e, il décrivait l’organisation de la cité, Platon éliminait tous les droits naturels. La famille peut détourner le citoyen des devoirs envers sapatrie, il supprimait la famille ; la propriété individuelle abaisse à des soucis A’ulgaires, il décrétait le communisme. Sous prétexte que la vie privée, pour être saine et féconde, a besoin de discipline, le législateur pénétrera dans les maisons, y réglera jusqu’aux moindres détails domestiques et exercera partout une inquisition minutieuse et oppressive. Alors le citoyen, dirigé par les sages qui sont les pliiloso[)hes et dégagé de toute sujétion terrestre, entrera dans la cité idéale, asile de perfection morale et de bonheur parfait !

A la méthode intuitive qui avait conduit Platon à la pure utopie, Aristote substitue l’observation et l’analyse. Pour le Stagirite, l’Etat est encore à lui-même sa propre liii, les individus n’existent que pour lui, leurs droits sont entièrement à la discrétion du Pouvoir. S’il laisse subsister la famille et la propriété, c’est qu’il trouve dans ces institutions des moyens favorables à la fin de l’Etat. Par suite, le mariage, l’éducation des enfants, le travail manuel deviennent l’objet du gouvernement direct et absolu de l’Etat. Aussi, dès le commencement de la Politique, Aristote établit la nécessité sociale de l’esclavage. On le voit, l’organisation de la cité par le Philosophe grec .il)outit à l’absolutisme de l’Etat, et il importe assez peu que cet absolutisme soit plus habilement dissimulé et moins repoussant que celui du divin Platon.

Système de Locke. — Ce philosophe écossais écrivit en 16f)o un Essai sur le goin’er/iement civil où le sensualisme et la méthode enqjirique se concilient avec certaines idées de détail très élevées et une foule d’aperçus qui dénotent un rare talent d’oljservation. Le principe fondamental de sa politique est que les hommes naissent égaux, libres et indépendants les uns des autres. De là la nécessité d’un contrat social qui soumet toutes ces libertés à une loi d’ordre général pour réprimer et éviter les conflits. Naturellement, les hommes ne veulent faire au pouvoir pul)lic, dans lefjuel s’incarne ce principe d’ordre, que les sacrifices strictement nécessaires. Or, comme Locke est optimiste, il réduit ces sacrifices et les droits de l’autorité à peu de chose : la répression des délits et des abus. Ce systènu’, par son <)] » timismc et son recours au contrat social comme fondement cl mesure des droits de l’autorité, constitue une théorie du libéralisnu’i)()litique, qui a iciicontré grande fa^ cur en Angleterre.

Théorie de J.-J. lloussr.AU. — L’auteur de V Emile > est inspiré Aisiblement d(^ Locke, tout en poussant ><in système social et politi((uc dans une a oie dilFéiinte. Laissant de côté ce qui concerne le contrat sorial et hi souveraineté du peuple (voir l’article 1’ouvoiii|Ori{ ; ink di|), nous nous borncronsà la théorie de l’Etat.

D’après le philosophe de Genève, l’Etat c’est « la volonté générale », source de t<jus les droits, et à laquelle tous les citoyens doivent pleine obéissance. Malgré certains aveux très rares, où il semble admel-Ire ([ue le jugement du peuple est sujet à se tronqier

et que « si on veut toujours son bien, on ne le voit pas toujours », Rousseau regarde cette volonté générale comme infaillible ou impeccable. Il n’accorde aux supériorités naturelles et sociales que des devoirs, sans droits ni privilèges. Déjà, dans sa préface de Xarcisse (où l’on pressent l’auteur du Discours sur l inégalité), il disait que « dans un Etat bien constitué tous les hommes sont si bien égaux que nul ne peut être préféré aux autres, comme le plus savant, ni même le plus habile, mais tout au plus comme le meilleur : encore cette dernière distinction est-elle souvent dangereuse, car elle fait des fourbes et des hypocrites ». Il condamne d’une façon absolue la concurrence, dont il fait le plus sond^re tableau, et ne permet la propriété qu’en vertu d’une loi d’Etat ; mais pour en rendre les applications moins inégales, il fait appel à l’impôt progressif.

Son despotisme politique le lîorte, lui qui affecte la tolérance en philosophie, à mettre la religion entre les mains de l’Etat. Il oblige tous les citoj’ens à atlmettre une religion publique, dont il énumère les principaux dogmes : l’existence de la Divinité puissante, intelligente, prévoyante et ijourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social. Il menace de l’exil quiconque refuse de prêter serment à ces dogmes.’( Que si quelqu’un, ajoute-t-il. ayant admis cette profession de foi, se conduit après comme n’y croyant pas, qu’il soit puni de mort, il a commis le plus grand des eiùmes, il a menti devant les lois. » C’est cette idéologie féroce qui a pénétré l’école jacobine de la llé’olution française, dont Rousseau a été l’un des principaux inspirateurs.

L’Etat kantien. — Kaxt sépare la loi morale — subjective et indépendante — du droit. La morale ou l’éthique embrasse à la fois les actes intérieurs et les actes extérieurs, car le motif du devoir peut nous déterminer à accomplir les uns et les autres. Au contraire, le droit ne s’applique qu’aux actions extérieures, parce que seules elles peuvent être l’objet de la contrainte.

La condition du droit est la liberté, le but du droit est l’accord de deux libertés dans l’ordre. « Est conforme au droit toute action qui permet à la liberté de chacun de s’accorder suivant une loi générale aA ec la liberté de tous. » La notion du droit est donc limitée aux relations extérieures des hommes ; tout acte interne y échappe, et par conséquent une action, tout immorale qu’elle soit, doit être tenue pour juste — c’est-à-dire conforme au droit, — pourvu qu’elle n’empiète pas sur le domaine de la liberté d’autrui. De cette notion du droit, résulte immédiatement la notion de contrainte. Car si c’est un principe de la raison tpie la liberté de chacun doit s’accorder avec la liberté de tous, toute action qui s’oppose à une liberté est contraire au droit, c’est un acte injuste. Aussi, la contrainte employée pour l’écarter est conforme à la loi générale des libertés, donc cette contrainte est juste. « Le droit, dit Kant, et le pouvoir <le contraindre signifient une seule et même chose ; cette contrainte est tout extérieure et en général n’est possible que dans l’Etat. » {Œuvres. édit. von Ilartenstein, t. V, ^. 82.)

Ceci posé, voici comment le philosophe allemand l)asse de la théorie du droit à celle de l’Etat. « Les rapports juridiques privés, dit-il. peuvent exister entre des personnes privées, mais d’une manière provisoire et précaire. Une sécurité générale, telle ipie chacun respecte d’une manière convenable la liiierlé des autres, ne peut exister quc si, au-dessus des individus, existe une jinissance plus élevée, qui ait le pouvoir de juger des contestations et de faire exécuter par la coercition les décisions rendues.