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puljlique, en réprimant les infractions par des sanctions cllicaces. Tel est le rôle du pouvoir coercitif.

B) Fonction d’assistance. — La seconde fonction de l’Etat se rapporte à la prospérité temporelle de la société. Celte prospérité elle-même comprend deux éléments : a) la prospérité économique ou matérielle, h) la prospérité morale et inlcllcctuelle.

a) La prospérité mtitérielle ou économique consiste dans une certaine abondance de biens matériels, de richesses, nécessaire à l’existence, à la conservation, au bien-être et au perfectionnement de l’homme. Or la production de la richesse dépend principalement de l’activité privée des citoyens isolés ou associés. Par conséquent l’intervention du pouvoir civil dans la sphère des intérêts économiques doit avoir pour objectif principal d’enlever les ol)stacles qui s’opposent au développement de cette activité. Parmi ces obstacles, citons les impôts écrasants ou répartis sans équité. Entin l’Etat a le devoir d’aider et au besoin de stimuler l’initiative privée,

h) Mais tout importante qu’elle soit, la prospérité matérielle n’a de valeur qu’autant qu’elle sert au véritalile progrès, à la vraie civilisation, qui consiste principalement dans le développement moral et intellectuel de la société. Que le pouvoir civil ait la mission de promouvoir la morale piiblique et de protéger la Religion, c’est unevériléqui ressort avce évidence de la considération de l.a tin naturelle de l’Etat et de la Société. L’une et l’antre, en effet, sont des moyens donnés à l’homme poiu" l’aider à accomplir sa destinée sur la terre, c’est-à-dire à se préparer au bonlieur éternel.

Aussi bien, la prospérité matérielle, dépouillée de la grandeur morale, ne serait digne ni de l’homme, ni d’une société humaine. Celte société fondamentale, LÉON XIll n’a cessé de la rappeler en maintes occasions.

« Parmi les principaux devoirs du chef de

l’Etat, dit-il, se trouve celui de protéger et de défendre la religion, car il importe à la ijrospérité sociale que lés citoyens puissent librement et facilement tendre à leur On dernière. » (Inimorlale IJei, § /lac ralione.)

— « Ceux qui gouvernent le peuple doivent à la chose publique, non seulement de procurer les biens extérieurs, mais encore de s’occuper, par une sage législation, des biens de l’àine. Mépriser dans le gouvernement les lois divines, c’est faire dévier le pouvoir politique de son institution et de l’ordre de la natixre ^i (Encyc.Piæstantissiniam, ^Mifiores aliquanto).

— « La nature n’a pas fait l’Etat pour que l’homme y trouve sa fin, mais pour qu’il y trouve des moyens aptes à sa perfection. Par conséquent, un Etat qui ne fournirait à ses membres que les avantages extérieurs d’une vie facile et élégante, qui, dans le gouvernement de la société, laisserait décote Dieu et la loi morale, un tel Etat ne mériterait plus ce nom, il ne serait qu’un A-ain simxilacre, qu’une institution trompeuse. » (Enc3"cl. Sapientia christiana, % Qiiod autem.)

Ici deux remarques s’imposent :

La première c’est que l’Etat intervient uniquement dans l’ordre public, et nullement dans la morale et la religion pri’ées des individus. L’autorité civile, en clfet, n’a pas la mission de conduire directement les hommes à leur lin dernière, et donc la religion et la morale individuelles sont affranchies du contrôle de l’Etat.

La seconde remarque est que l’Etat, dans son rôle de protecteur de la religion publique, doit respecter les droits de l’autorité suprême de la société à laquelle appartient la vraie religion, c’est-à-dire de l’Eglise catholique.

C) Comparaison des deux fonctions de VFAat. — La tutelle juridique affecte l’existence même et assure

la conservation de la société politique. Le devoir d’assistance concerne le développement de la prospérité temporelle pvildique, dès lors il est manifeste que la mission de conserver l’ordre social prime le devoir de diriger et d’exciter les énergies sociales. En outre, la protection du droit ne peut être obtenue sans une autorité qui le définisse et l’inqjose, tandis que la prospérité temporelle publique pourrait à la rigueur et dans certains cas être réalisée sans l’intervention du pouvoir civil, ou du moins avec la plus faible ingérence de celui-ci. L’autorité publique, lorsc {u’elle protège les droits, exclut toute autre action : la paix sociale étant impossible quand chacun se fait justice par soi-même. Au contraire, quand elle vient en aide aux intérêts, l’action i^ublique ne fait que s’associer à l’action privée individuelle ou collective, ou suppléer à l’absence de celle-ci.

Il s’ensuit que le devoir de protection des droits existe toujours et que celle-ci doit nécessairement être réalisée, tandis que la contribution aux intérêts sociaux est variable et supplétive. En d’autres termes : protéger les droits, c’est la fonction pr//H « />e ; aider les intérêts, c’est la fonction secondaire de l’Etat.

Limites du pom-oir de l’Etat. — D’une manière générale, le pouvoir de l’Etat ne doit pas s’exercer directement sur le bien privé des individus, son action a pour limite le bien commun de la société. L’Etat n’a pas le droit de tout faire par lui-même, mais il doit céder le pas à l’initiative privée et se borner à un haut contrôle, toutes les fois qu’une intervention particulière n’est pas nécessaire. Ainsi l’Etat doit laisser faire lorsque l’initiative privée est sullisante, il doit aider à faire lorsque l’initiative privée se trouve insuirisante, enfin il ne doit faire par lui-même que ce qui concerne les services publics qui par leur nature dépassent les forces et les ressources privées.

En outre, l’intervention du Pouvoir dépend des conditions particulières où se trouvent les divers Etats. Il faudra tenir compte i" de la structure administrative du paj’s, suivant que domine la centralisation ou la décentralisation ; 2° du degré de civilisation et du génie national de chaque peuple ; S de la constitution politique de la société. Dans un régime politique fondé sur le sidTrage imiversel, la liberté politique est étroitement liée à la liberté du vote. Or cette dernière liberté est considérablement diminuée dans les fonctionnaires de l’Etat D’autre part, la liberté religieuse dépend de la liberté politique : la centralisation est souvent une machine de guerre contre la liberté de l’Eglise, comme on peut aisément le constater dans les conflits politicoreligieux qiù sévirent en France depuis la fin du siècle dernier.

Tous ces motifs inclinent à restreindre plutôt l’intervention de l’Etat. A un gouvernement de parti, plus soucieux de son intérêt propre que du bien social, on ne demandera que le minimum d’intervention absolument indispensable à la conservation de l’Etat.

IV. Fausses théories de l’Etat

f.’Etat païen. — La philosophie greccpie considère l’Etat comme un tout, dont les citoyens sont les parties constitutives. Mais comme la partie existe pour le tout, et non le tout pour la partie, l’Etat n’existe pas pour les citoyens ; ce sont au contraire les citoyens qui existent pour l’Etat. Les meniltres de la société n’ont de valeur et de raison d’être que par la onction qu’ils remplissent dans l’Etat ; comme hommes, ils ne comptent pas, ou plutôt ils sont absorbés par l’Etat.