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ne prennent pas naissance par le seul fait qu’elles résultent d’une société antérieure — la l’aniiîle i)ar exemple — ou d’un groupement ; mais par la volonté que manifestent les associés de vivre ensemble et de tendre d’un commun accord à la prospérité temporelle publique. Cette volonté sociale peut se manifester soit en termes exjirès, soit d’une manière tacite. La société politique, en effet, suppose certains liens juridiques qui rattachent l’individu au bien commun de la société, et par conséquent à l’autorité suprême qui a la charge de ce l)ien commun.

L’ensemble de ces liens juridiques forme ce qu’on appelle la justice légale, élément constitutif de la société civile. Or — ainsi raisonnent les défenseurs de cette théorie — le lien de justice légale ne peut se former que par le consentement des associés. Vivre en société, n’est-ce pas vouloir d’un accord unanime tendre au l^ien connnun temporel, et partant se soumettre aux obligations qui découlent du but social ?

Il serait souverainement injuste d’assimiler à la doctrine de Rousseau la thèse du consentement social. Les deux systèmes dilïèrent radicalement. D’après Rousseau, la société naît d’une corruption de la nature ; d’après les théologiens catholiques, elle est voulue comme une perfection de la nature. Ceuxci admettent, à la vérité, qu’un consentement explicite ou tacite est la cause prochaine et immédiatement efficace du lien social, consentement la plupart du temps indirect et commandé par des faits antécédents, mais ils professent en même temps que ce consentement n’a pas pour effet l’aliénation totale à la communauté de la personne et de tous les droits de chaque associé ; qu’il n’est point la cause des lois de la morale et de la justice, et qu’il engage, non seulement les associés primitifs, mais encore leur postérité. (Conf. SuAREz, De Legibiis, 1. III, c. 3, n. 554 ; De Opère sex dienun, 1. V, c, "j et 1. III, c. 8 ; Costa RossETTi, Institutiones etliicæ et juris naturalis, p. 54 i, i"édit.)

On comprendra mieux la théorie en l’apijliquant à la formation historique des Etats.

La première forme historique des sociétés politiques est la forme patriarcale, où la famille se trouve unie à la société politique. Elle est la résultante de la multiplication des familles descendant d’une même souche et reconnaissant comme autorité suprême un ascendant commun, ou le membre de la famille qu’il s’est substitué. Le consentement, cause prochaine de la formation de ces sociétés, se produit d’une façon tacite, en ce sens que chacun des individus se soumet aux actes de véritable autorité exercée par le patriarche. Comme il arrive dans la plupart des œuvres de la nature, le passage de la société purement domestique à la société politique est le plus souvent insensible.

Une autre forme historique de l’origine des Etats, aussi bien dans l’antiquité que dans les temps modernes, a été celle du consentement exprès. Les mêmes motifs qui ont donné naissance à l’émigration, ont produit de tout temps la séparation de groupes nombreux de familles, qui ont cherché un territoire nouveau et des moyens de subsistance. Ces groupes ont ainsi créé une nouvelle société politique, dont l’organisation était fixée par le consentement exprès de ses fondateurs.

D’autres fois, des tribus ou des populations indépendantes et voisines, mues par le besoin d’une assistance mutuelle, ont également fondé une société politique basée sur leur consentement unanime. La fondation de Rome dans les temps antiques, et celle de l’empire germanique au moyen âge, après la dissolution de la monarchie des Francs, sont des exemples de ce mode de formation.

t’inalement, il n’est jias rare de rencontrer dans l’histoire le fait de peuples vaincus et subjugués par une race conquérante, qui ont établi, sur un point inaccessible et non conquis du territoire, une petite société politique destinée à servir de base à la re construction de la société détruite. C’est ainsi qu’en Espagne, après la conquête des Maures, les débris des populations sul)juguées formèrent le rojaume des Asturieset ensuite celui d’Aragon.

Quant aux sociétés politiques créées par la force, comme sont celles qui ont pour origine la conquête, il y a même chez elles un certain consentement tacite bien que celui-ci ne soit pas complètement libre. Assurément la force ne saurait être le fondement du droit, et cependant ceux qui la subissent peuvent avoir l’obligation morale de ne pas lui résister et de lui ol)éir : ce devoir peut résulter de la justice, quand le fait de la force est juste. C’est le cas d’une guerre entreprise pour repousser l’attaque injuste d’une nation voisine, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen que la conquête pour réparer les torts et les dommages causés par la nation vaincue. La charité envers soimême peut aussi imposer l’obligation de ne pas i-ésisterà la force, lorsque cette résistance devrait amener déplus grands maux, et serait dès lors inutile ou impossible.

III. Fonctions de l’Etat. — i) Nature de l’autorité politique. — a) Itôle de lEtat en général. — 3) Bàle de l’Etat en particulier.

)yatnre del’auturité politique. — Jusqu’à présent, nous avons considéré l’Etat sous la forme de société ; dans ce qui suit, nous envisagerons l’Etat-pouvoir, l’autorité.

^) Définition de l autorité. — D’une manière générale, l’autorité est le droit de diriger efficacement les membres d’une société dans leur action commune pour la réalisation de la fin sociale. Un principe d’unité et de conservation, une force directrice, telle est l’autorité. Dès lors l’autorité politique n’est autre chose que le principe directeur de l’action collective des citoyens dans leur tendance au bonheur temporel. Toute société humaine est soumise à une autorité suprême, dont le droit a pour mesure l’importance de la fin et l’importance delà direction unitaire requise par les exigences de cette fin.

En toute société, l’autorité est une, bien que celle-ci puisse résider dans un sujet multiple. En effet, l’unité morale de la direction, qu’implique la poursuite rationnelle de la tin propre de la société, implique l’unité morale de l’autorité directrice. Il y a une différence essentielle entre le droit qui constitue l’autorité à exercer sur des volontés humaines, et les droits qui s’exercent sur des choses matérielles. Celles-ci ont été soumises par Dieu, d’une manière générale, à la domination de l’homme et pour le profit de l’homme : au contraire, les volontés humaines, étant naturellement indépendantes, n’ont pas été soumises à un homme déterminé, pour l’avantage personnel de celui-ci. Cette subordination ne jieut être établie formellement que par Dieu, ou par le libre consentement de celui qui la subit.

£) Nécessité de Vautorité politique. — L’auto’rité est un élément indispensable à la société politique. Comment en effet, dans un groupement nombreux, de longue durée, composé d’éléments divers, où les intérêts entrent souvent en conflit, comment le concours simultané des efforts, la variété des démarches, l’union des intelligences et des volontés, absolument nécessaires pour atteindre le but social, seraient-ils obtenus, si un pouvoir ne dirigeait efficacement les associés, orientant dans une même direction leurs efforts et leurs actions’? « Il n’y a point, dit Bossuet,