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sous la direction de la A-olonté générale, et que tous réunis, formant un seul corps, reçussent chaque membre comme une portion indivisible du tout. Il substitua la justice à l’instinct, et donna aux actions de riiomme le caractère de moralité dont elles étaient auparavant dépourvues. L’homme, en vertu de ce contrat, perdit, à la vérité, la liberté naturelle et le droit illimité à tout ce qui lui plaisait et à tout ce qu’il était capable de saisir, il y gagna la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il jiossédait.

B) Réfutation des théories contractuelles. — Le système de Rousseau n’est qu’un tissu d’hjpothèses chimériques et de contradictions.

L’Iiypothèse de la sauvagerie primitive n’est qu’une fal>le. Cet homme sans parole, sans raison, libre cependant et perfectible, heureux dans son isolement et menant je ne sais quelle existence béate, c’est tout simplement un mythe.

Qu’est-ce que cet animal qui émerge peu à peu d’une demi-animalité? D’ailleurs si l'état de société est contraire à l'état primitif et heureux de nature, n’est-ce pas le droit, même le devoir de l’homme, de travailler à la dissolution de la société, pour revenir à sa condition première et naturelle ? Vanarcliie est le terme logique de la doctrine de Rousseau.

L’invention de la moralité, la nécessité d’un consentement unanime et toujours renouvelable, l’aliénation totale de soi-même à la société conduisant à un absolutisme sans limite, ce sont-là autant de rêves chimériques d’une imagination malade.

Sans doute, Rousseau déclare que chacun acquiert sur les autres le pouvoir qu’il leur donne sur luimême, qu’il reçoit l'écjuivalent de tout ce qu’il aliène, et qu’en iin de compte il n’obéit qu'à soi-même et reste aussi libre qu’auparavant. Mais c’est là une affirmation dépourvue de tout fondement.

Pour que les associés eussent un pouvoir égal les uns sur les autres, il faudrait de deux choses l’une : ou que chacun eîit acquis le droit d’obliger tous les autres par sa seule volonté, ou que l’unanimité seule des citoyens eût reçu le pouvoir de commander. Dans le premier cas, chacun pourrait tenir en échec les injonctions de ses concitoyens par des injonctions contraires ; dans le second, chacun pourrait empêcher par sa seule alislention les lois qui lui déplaisent : dans les deux cas il serait également vrai de dire que tous les citoyens ont un pouvoir égal les uns sur les autres, et surtout que chacun n’obéit qu'à soi-même. Mais dans les deux cas aussi il serait certain que le contrat social est une démarche dépourvue de sens et deffet, qui laisse subsister tout entière l’anarchie dont elle devait être le remède.

Le système de Hobbks, sujet aux mêmes inconvénients que celui de Rousseau, formule encore d’une manière i)lus absolue la théorie du despotisme. Ajoutons qu’il y a une contradiction singulière à dire que la société est contraire à la nature de l’homme, et à reconnaître ensuite qu’elle est pour ce dernier le seul moyen d’assurer sa conservation et son bonheur. Il n’est pas vrai non plus que tous les penchants de l’homme soient égoïstes : l'égoïsme est combattu en nous [lar le sentiment et par l instinct <(ui nous porte naturellement a ers nos semi)lal)Ics. Enlin il est absurde de dire que dans l'état de nature tout homme a droit à tout : il aurait droit seulement — si tant est qu’il pût y avoir un droit là où il n’y aurait de devoir |)our personne — à ce qui ne serait pas déjà approprié.

En opposition aux systèmes de Hobbes et de Rousseau, la doctrine catholique (voir les textes de Lkox XIII cités plus haut) enseigne que la société civile a une origine naturelle.

La famille est une société naturelle, une associa tion voulue par la nature et par elle pourvue d’une constitution déterminée et immuable dans ses traits essentiels. Or l’organisation politique est le développement nécessaire des familles, et par conséquent la société civile tire son origine de la nature de l’homme, moins immédiatement toutefois que la famille. Pour obtenir la prospérité temporelle à laquelle elles sont portées par une pente naturelle, l’union et la coopération des familles sont absolument nécessaires. D’autre part l’union des familles ne sera ni efficace ni durable, si elles ne consentent à se soumettre à une autorité supérieure qui puisse leur assurer la tutelle juridique. A cet instant, la société civile prend naissance.

Dire que la société civile est naturelle, c’est affirmer qu’elle a Dieu pour auteur, et Dieu est l’auteur de la société politique parce qu’il est l’auteur de la nature humaine, parce que lui-même a déposé en l’homme le germe de cette société. Ainsi, l’origine divine de la société ne jjostule pas une intervention surnaturelle ou une révélation de Dieu, elle n’amène pas à sa suite le gouvernement théocratique, elle ne supprime pas le libre exercice de l’autorité humaine dans le choix de la forme du gouvernement ou du sujet de l’autorité.

Ces épouvantails doivent être écartés, car la société civile est tout à la fois une institution divine par son principe éloigné, et un produit naturel et humain par son origine immédiate et son évolution historique. 2) Théories de l’origine naturelle. — Pour expliquer l’origine immédiate des sociétés civiles, deux théories catholiques sont en présence. Toutes deux admettent, contre Hobbes et Rousseau, que la société civile a une origine naturelle el n’est pas le résultat d’un pacte révocable à volonté. Une étude détaillée de ces deux sj’stèmes sera faite à l’article : Pouvoir (Origine du) ; on peut aussi voir, plus haut, l’article : Droit divix des rois. Nous nous bornerons ici à un exposé sommaire.

A) Théorie organique. — La première théorie, qu’on peut appeler théorie organique, explique l’origine de la société par des faits naturels, mais étrangers à la volonté et à la liberté de l’homme. Le fait principal donnant naissance à la société civile, c’est la propagation et la multiplication des familles : on peut ajouter le voisinage de territoire, le domaine territorial, le fait de la force. Ce n’est que dans certains cas et par exception que la théorie organique admet l’intervention de la volonté humaine. Des groupes de familles habitant le même territoire tendent à se rapprocher, sous l’impulsion d’un instinct raisonnable qui leur montre, dans une société plus élevée, le milieu nécessaire pour assurer leur existence et leur plein développement.

Sans doute, la volonté est cause du rapprochement, mais une fois ce rapprochement opéré, la société civile, qui seule peut le rendre salutaire et vraiment fécond, se forme, de plein droit, indépendamment de la volonté de ceux qui deviennent ses membres. Ainsi la cause e'.liciente immédiate de la société, c’est la juxtaposition, le groupement des familles, la volonté des membres n’est qu’une cause occasionnelle formant ou maintenant le groupement. Parmi les auteurs qui soutiennent cette théorie on peut citer : T.viwrelli, de Vaueilles-Sommières, de Pascal, (Lmureix, etc.

R) Théorie du consenlemeut, — La seconde théorie est celle de plusieurs grands théologiens scolasliques : SuAREZ, Bei.laumin. Luc ; o, etc.

Les hommes étant, par la tendance de leur nature, destinés à vivre dans la société civile, la vie civile et politique leur est naturelle, et non pas seulement libre, comme le prétend Rousseau. Les sociétés civiles