Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/772

Cette page n’a pas encore été corrigée

1527

ETAT

1523

Ijropre et leur Un spéciale. Ne sont-eîles pas une institution nécessaire, destinée à la conservation et à la jiropagation du genre humain ? Pour remplir ellicacement cette mission, la famille doit conserver une certaine autonomie et des droits lirojires qu’elle ne reçoit pas de l’Etat.

La société civile est donc une société organique. C) Société inégale. — Une société inégale est celle qui se compose de personnes jiu’idiquement inégales. Ceci posé, l’inégalité juridique dans la société civile découle nécessairement du caractère organique de celle-ci. La société civile étant une union de familles qui conservent dans son sein leur être etleurs droits essentiels, il s’ensuit que les pères de famille gardent leur autorité et leurs droits de supériorité sur les mend)res de la famille. Mais si le i)ère de famille exerce ses droits dans la société civile, il est manifeste qtiecette dernière n’est pascomposée de personnes égales endroit et réciproquement indépendantes, mais bien de membres juridiquement inégaux et dépendants mutuellement : en d’autres termes, la société' civile est une société inégale.

En outre, il existe dans la société différentes classes sociales, qui se forment naturellement. C’est ainsi que la similitude de la profession et des intérêts groupe les hommes en classes professionnelles, par exemple : la classe des employeurs et des employés. Chacune de ces classes jouit de certains droits appropriés à sa nature et au but qu’elle poursuit. La conséquence de ce fait naturel, c’est que l'égalité absolue ne saurait exister dans la société. L’inégalité des fonctions sociales entraîne nécessairement l’inégalité des droits. L’harmonie et la vie de la société ne supposent-elles pas une certaine diiférenciation dans les droits de ses membres ?

Et cependant cette inégalité organique dans la société ne détruit pas l'égalité civile des citojens. L'égalité civile, c’est la reconnaissance et la défense égale des droits innés de tous les citoyens, et la possibilité égale pour tous — moyennant, bien entendu, l’exercice de leur activité — de jouir des droits acquis. Il est clair que l'égalité civile dont nous parlons n’est pas une égalité qtiantilati’e, mais uniquement qualitative. En bref : c’est l'égalité de l’inviolabilité des droits. Exemple : le droit de propriété dont jouit un pauvre siu" sa miséi-abie cabane mérite autant de respect que celui d’un riche sur son palais. L'égalité civile n’est donc pas lésée par l’inégalité organique, je veux dire par les inégalités de droit que la nature réalise soit au sein delà fauiille, soit en dehors d’elle, par la diversité des positions et des fonctions sociales. Ainsi, l’antinomie apparente entre l’inégalité organique el l’inégalité civile se résout en cette formule : égal respect de droits inégaux.

IL Origine de l’Etat. — i) Théories de l’origine contractuelle. — 2) Théories de l origine naturelle.

1) Théories de l’origine contractuelle. h) Exposé des théories de Jlobhes et de Rousseau. — B) Réfutation de ces théories.

A) Hohbes et Rousseau. — Ces deux philosophes contestent que la société humaine, sous quelque forme qu’eliese manifeste (famille, corporation. Etat, etc.), ait une origine naturelle ; ils aliirmenl au contraire qu’elle a été inventée par l’homme el établie en vertu d’un pacte. Leurs théories diffèrent en ceci : que Rousseau suppose un état extra-social, c’est-à-dire un état dans lequel l’homme était réduit à la condition des bêtes ; tandis que Hobbes place l’homme primitif dans un état antisocial, c’est-à-dire dans un étal de guerre de tous contre tous.

Thomas Hobbes (1088-1679) développa sa théorie

sociale dans un livre célèbre ayant pour litre : Elcmenta philosophica de cive. Il y dit que l’homme, dans l'état de nature, était régi par une double tendance : celle de l'égoisme et de la convoitise illimitée de tout acquérir et de jouir de tout, el celle du souci de se préserver de la mort et de se conserver. — De l'égoïsme, dans cet état de nature, est issue la guerre de tous contre tous, puisque la nature a donné à tous droit sur toutes choses. Iloino honiini lupus. Bellum omnium contra omnes. — De la crainte, ou du désir de la conservation, est née la tendance à sortir d’un pareil étal et à chercher des compagnons. En conséquence de cette conception, la société humaine, d’après Hobbes, doit être envisagée, à son origine, comme une convention de paix réciproque, provenant, non pas de la bienveillance, mais de la crainte et de la nécessité. Mais pour avoir une paix stable, il faut, d’après lui, que tous n’aient plus qu’une volonté unique, ce qui ne saurait s’obtenir à moins que chacun ne soumette la sienne à une autre Aolonté unique. De cette sorte, tout ce que cette volonté unique aura résolu en vue de la paix commune, sera tenu pour être la volonté de tous el de chacun. Hobbes attribue à cette volonté publique le même pouvoir sur tous les citoyens avant la formation de la société, c’est-à-dire un pouvoir souverain ou absolu, auquel il va même jusqu'à subordonner la conscience morale.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) prétend, dans son Discours sur l’origine et l’inégalité parmi les hommes, et dans son Contrat social ou principes de droit politique, que l’iiomme, tel qu’il dut sortir des mains de la nature, était un animal moins fort et moins agile que les autres, quoiqu’il fût doué d’une organisation supérieure à la leur. Dans cet étal, l’homme n'était dirigé que par son seul instinct, ses fonctions étaient purement animales el ses désirs ne dépassaient pas ses besoins physiques. Aussi était-il heureux, n'éprouvant aucun des maux qui l’affligent au sein de la société.

A la suite de cette première période, dont il sérail ditlicile de fixer la durée, il y en eut une autre, qui fut celle du développement des facultés de l’homme. Quand la raison et les autres facultés de l’homme se furent insensiblement développées en vertu de son pouvoir de perfectionnement, commença la communication entre les hommes, et la parole fui inventée. C’est dans cette seconde période encore que la famille fut instituée. Chaque famille devint une petite société, dans laqueUe les liens uniques étaient l’affection réciproque et la liberté. Aussi bien, elle ne se maintenait que par une convention toujours révocal)le.

Dans une troisième ])éi’iode, les hommes s’appliquèrent davantage à cultiver leurs facultés : ils invenlèrent les arts mécaniques et acquirent la propriété ; mais comme du même coup ils développaient la variété de l’intelligence el des caractères, l’inégalité commença à apparaître parmi les hommes, qui à l’origine étaient égaux. L'égalité rompue, les plus effroyables désordres s’ensuivirent, les passions ne connurent plus de frein : les hommes devinrent avares, ambitieux, mauvais, et des conflits perpétuels surgirent entre le droit du plus fort el celui du premier occupant. Cet étal de choses fit que la société naissante dut se trouver en proie à la guerre la plus horrible. Alors les hommes, pour ne pas périr, pour obtenir la paix et la sécurité, se décidèrent à conclure un pacte social, c’est-à-dire à former une société qui défendit et protégeât, à l’aide de la force commune, la personne el les biens de chacun.

Le pacte social, considéré dans son essence, consistait donc, d’après Rousseau, en ceci : que chacun mît en commun sa personne el tout ce qu’il possédait »