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Dans des termes sinon identiques, du moins équivalents, les théologiens catholiques, saint Thomas, SuAREZ, etc. les auteurs modernes, enseignent la même doctrine sur la lin de la société civile. Léon XIII résume cet enseignement : « Par nature, dit-il, Ihonime est fait pour vivre dans la société civile. En effet, dans l’état d’isolement, il ne peut ni se procvirer les objets nécessaires au maintien de son existence, ni acquérir la perfection des facultés de l’esprit et de celles de l’àme. Aussi a-t-il été i)ourvu par la divine Pi’ovidence à ce que les hommes fussent appelés à former non seulement la société domestique, mais la société civile, laquelle seule peut fournir les moyens indispensables pour consamnier la perfection de la f/e présente. » Et dans l’Encyclique yobilissima Gallorum :

« Comme il existe sur la terre deux sociétés

suprêmes, la société civile dont la fin consiste à procurer au genre humain le bien temporel et de ce monde… »

Le bien pidilic, dont il est ici question, n’est pas la somme de la prospérité ou du bonheur temporel de tous les individus pris séparément. La prospérité i)ublique ne consiste pas à rendre immédiatement et directement cliaque famille heureuse, riche et prospère. Non, le bien social ne diffère pas des biens particuliers comme la gerbe diffère des épis, mais il les domine comme un bien supérieur, comme un bien appartenant à un ordre spécifiquement différent du Itien privé ijarticulicr. Tel est l’enseignement de Léon XIII dans l’Encyclique Reruni yavarutn : « L’expérience quotidienne, dit-il, que fait l’homme de l’exiguïté de ses forces, l’engage et le pousse à s’adjoindre une coopération étrangère. De cette propension naturelle, comme d’un même germe, naissent la société civile d’abord, puis, au sein de celle-ci, d’autres sociétés, qui, pour être restreintes et imparfaites, n’en sont pas moins des sociétés véritables. Entre ces petites sociétés et la grande il y a de profondes différences qui résultent de leur fin prochaine. La fin de la société civile embrasse universellement tous les citojens, car elle réside dans le bien commun, c’est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. Au contraire, les sociétés qui se constituent dans son sein, sont tenues pour pi’ivées et le sont en effet, car leur raison d’être immédiate est l’utilité particulière et exclusive de leurs mend)res. La société privée est celle qui se forme dans un but privé, comme lorsque deux ou trois s’associent pour exercer ensemble le négoce. » En résumé, d’après la doctrine du Pape, 1° toute société privée a pour fin immédiate l’utilité particulière et exclusive de ses membres ; 2° la société civile n’a pas pour fin prochaine l’utilité particulière et exclusive des citoj’cns ; 3" mais elle a pour fin un bien commun, c’est-à-dire un bien auquel tous et cliacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle.

Le bien commun, qui est la fin naturelle de la société civile, comprend deux éléments : A) la tutelle juridicpie, B) l’assistance accordée à l’activité privée des citoyens.

./) /. « tutelle juridique. — Etant données les passiftns et les inclinations mamaises des hommes, il se produit fatalement parmi eux des aggressions contre les droits qu’ils tiennent de la loi nalnrelle. De là procède la nécessité de défendre, de sauvegarder ces droits essentiels, tels ((ue le droit à l’existence, à la dignité, à l’indépendance, à la vraie liberté. Mais connue les individus ne peuvent se faire justice à eux-mêmes sans tond)er dans la l)arl)ai’ie. il est nécessaire qu’ils soient soumis à une autorité chargée de protéger leurs droits et d’assurer la justice jjarmi eux. Or la société créée dans ce but n’est autre que

la société civile, l’Etat. Toutes les autres sociétés, ayant des fins particulières, seraient inaptes à réaliser ce but.

Mais les hommes n’ont pas seulement besoin que leurs droits menacés soient défendus ; il sera encore nécessaire, dans un grand nombre de cas. de définir, de déterminer le droit. Des doutes, des conflits pourront s’élever en matière de droit ; il faudra les trancher. La loi naturelle laisse indéterminés un grand nombre de droits qui, de leur nature, sont variables et contingents, elle laisse dans le vague un certain nombre de points : il faudra établir des règles fixes pour déterminer le droit dans ces modalités contingentes. Tout cela fait partie de la tutelle juridique, il est évident que sans elle les hommes ne sauraient avoir ni paix, ni stabilité, et se trouveraient ainsi dans l’impossibilité d’atteindre leur fin temporelle. D’ailleurs, comme on l’a montré plus haut, la tutelle juridique ne peut être réalisée que par une autorité supérieure à laquelle tous seront obligés de se soumettre, c’est-à-dire dans et par la société civile.

B) L’assistance aux initiatives privées. — La prospérité temporelle publique exige une certaine abondance de biens matériels et moraux mis à la disposition des citoyens, de telle façon que chacun puisse se les procurer, s’il en a le désir. Parmi ces l)iens il en est que l’on peut obtenir, sans le concours de la société civile, par la seule activité et la coopération des familles. Il n’en demeure pas moins cju’en dehors du înilieu social, ces biens ne sauraient parvenir à leur complet développement. Sans la société civile, sans la tutelle juridique qui en est la conséquence, il n’y aurait ni paix, ni sécurité, ni stabilité, et dès lors la division du travail, le progrès, la prospérité se trouveraient gravement compromis.

D’autre part, il y a des institutions qui ne sauraient être fondées sans l’initiative et la direction du pou-A’oir suprême, parce qu’elles surj^assent la capacité ordinaire des activités privées, indivitluelles ou collectives. Telles sont : la création des voies de communications nationales, certains établissements scientifiques, l’échange des correspondances par les postes et télégraphes, etc. Dans ces cas et d’autres semblables, la société civile apparaît comme un facteur nécessaire de progrès.

3) Caractères de la Société civile. — Les caractères de la société civile sont au nombre de trois : A) elle est une société nécessaire, B) organique. C) inégale.

A) Société nécessaire. — Parce que l’homme est perfectible et ne peut atteindre son perfectionnement intégral en dehors de la société civile, il est clair que la nature même de l’homme, et donc la loi naturelle, postulent cette société comme une nécessité. Toutefois cette nécessité, qui alfccte le genre humain en général, ne s’inqiose pas à chaque homme en particulier ; exceptionnellement, l’homme peut se soustraire à la société civile et vi re en ermite ou en sauvage. Que la société civile soit nécessaire au genre humain, cela résulte a posteriori du fait de son existence chez tous les peuples, dans tous les temps et dans tous les lieux, affectant les foi mes rudimentaires de la horde ou de la tribu, ouïes modalités plus parfaites des grands Etats nu)dernes.

B) Société organique. — On appelle organique une société qui n’est pas le résultat immédiat de l’union d’individualités, mais qui est constituée par le groupement de sociétés inférieures. A l’origine du genre humain, c’est la famille cpii se forme la première, puis, par suite de la multiplication des familles, celles-ci se groupent et s’unissent dans une société I)kis vaste : l’Elat. Cependant, en s’incorporant à la société civile, les familles ne perdent pas leur être