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ESCLAVAGE

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du mariage des serfs. Ils se montrent même plus libéraux que les conciles de Tépoque barbare, qui, on s’en souvient, exigeaient aussi le consentement des maitres au mariage de leurs esclaves. Dans la pensée des philosophes du xii, du xiii'^, du xive siècle, ce consentement des maitres n’est point nécessaire, pour deux raisons : parce que le mariage est de droit naturel, par conséquent du droit de tous les hommes : parce que le mariage a été élevé par Jésus-Christ à la dignité de sacrement, et que tous les chrétiens ont droit aux sacrements. Hugues de Saixt-Yictoh (10971141 ; Suinina Tlieol., tract, vi, 14), Albert le Grand (i 193-1254 ; In IV, dist. 36, a. 4)> Uuxs Scot (In IV Sent., dist., 36, q. un, ), Vixcext de Beauvais (i 200-1274 ; Spec. hist., A’iii, 76), Saint Thomas (In IV Sent., dist. 36, q. i, a. 2, c), Pierre Aureolus (In IV Sent., dist. 36, q. un.), François de Mayronis (In IV Sent., dist. 36), Durand de Saint-Pourçain (~ 1334 ; In IV Sent., dist. 36, q. 2, §54), disent que les esclaves peuvent se marier, même iin’itis dominis, ou, selon l’expression de saint Thomas, dominis contradicentibus et invitis : l’esclave en cette matière, ajoute Albert le Grand, habet conditionein libertatis in se ipso ; le maître, déclare Pierre Aureolus, ne pourrait, sans pécher, mettre obstacle au mariage de ses esclaves, nec pertinet ad dominum prohibere eos, quiniino dojiiiniis peccaret impediendo. Duns Scot précise en disant que l’esclave peut même épouser une femme libre, pourvu que celle-ci contracte librement et en connaissance de cause. En décidant ainsi, les représentants de la philosophie chrétienne ne faisaient, du reste, que se conformer à la discipline établie par les décrétales des papes Adrien IV (11541159 ; Corpus juris canon., c. i. De conj. sen., IV, xLix) et Alexandre III (1159-1181 ; Corp. juris canon., c. 10, De cens., III, xlix).

Tel est, succinctement mais impartialement résumé, l’enseignement des scolastiques sur la servitude. Mais les penseurs du mojen âge l’ont aussi envisagée en moralistes et en mjstiques. C’est à ce point de vue que se place Alexandre de Halès (7 1245), quand il écrit : « La condition sei’vile est une excitation continuelle à l’humilité, qui est une des vertus fondamentales de la vie chrétienne, et nous fait méditer un plus haut degré de gloire dans la vie future », quia qiianto quis despectior est in hoc sæculo propter Deum, tanto magis exaltabitur in futurn (Sununa Theol., p. III, q. ! ^S, m. 2, a. 1). Ces explications elles-mêmes ne suffisaient peut-être pas à toutes les consciences. Dès le xii*" siècle, Hugues de Saint- Victor se demande s’il est permis à un chrétien de posséder un esclave. « Il serait mieux, répond-il, de n’exiger de personne la servitude, et l’Eglise ne l’accepte pas comme un bien, mais la tolère comme un mal », nielius esset hujusmodi sen’itutem non exigere, nec Ecclesia quasi bonuin recipit, sed quasimahini tolérât (In Ep. ad Ephes., vi). Il semble que la condamnation formelle de l’esclavage, quand les circonstances la rendront possible, soit en germe dans ce mot, (Voir dans S, Talamo, Il concetto délia Schiavitù da Aristotele ai dottori scolastici, le chap. vi, p. 158-202.)

a* Le servage dans les di’erses contrées européennes. — On n’attend pas ici une étude du servage. Ce serait dépasser les bornes de cet article. J’en tracerai seulement les lignes générales, renvoyant aux ouvrages qui ont traité en détail ce sujet si complexe, et m’attachant surtout aux points qui ont quelque rapport avec l’histoii’e religieuse.

La condition des serfs subit en France l’influence de la situation politique. Elle semble, au commencement de la société féodale, avoir été, au moins pour la classe privilégiée que formaient les serfs ecclésias tiques, moins favorable qu'à lépoque caroUngienne. Telle est du moins l’impression que laissent plusieurs documents du x^ siècle, contenus dans le Cartulaire de Saint-Bertin, si on les compare au Polyptyque d’Irminon du siècle précédent. Ce^jendant la situation des serfs de l’Eglise demeure toujours enviable : on voit, au xi" siècle, un de ceux-ci, dont le père avait été frauduleusement cédé à un seigneur laïque par un abbé oublieux de ses devoirs, plaider pour rentrer dans la sujétion ecclésiastique, recourir même à la formalité encore en vigueur du duel judiciaire pour faii’e valoir son droit. On possède de nombreux exemples d’engagements contractés par des abbajes visà-vis d’hommes qui se donnaient à elles sous la condition de n'être jamais cédés à d’autres (Prou, dans Bull, de la Soc. des Antiquaires de France, 1893, p. 216-220). On voit même des serfs de seigneurs laïques se faire, à peine affranchis, serfs de l’Eglise, préférant ce servage à la liberté (Cartulaire de SaintPère, éd. Guérard, t. I, p. 189).

Sauf dans des cas de survivance locale et exceptionnelle, le servage disparut dans presque toute la France avant la fin du moyen âge. Dès le x' siècle, il n’existe plus dans une grande partie de la Bretagne (A. de CouRsoN, Cartulaire de Bedon, p. cclxxxiii ; A. delà Borderie, Du servage en Bretagne avant et depuis le ix* siècle). Au xi' siècle, il est très rare en Normandie (Léopold Delislk, Etudes sur la condition de la classe agricole et l'état de l’agriculture au moyen âge, 1849, p. 18 et suiv.) et en Touraine (Ch. de Grandmaison, Le livre des serfs de Marmoutiers) : à la même époque le nombre des « hommes francs » est considérable en Champagne (H. Sée, Etude sur les classes so-viles en Champagne aux xii*" et xiii* siècles, dans Bévue historique, noA'.-déc. 1894). On peut suivre le mouvement par de nombreuses chartes royales, princières, seigneuriales ou ecclésiastiques dans les diverses parties de la France jusqu’au xiv*^ siècle, où il est à peu près achevé : chartes inspirées par des sentiments divers, quelquefois de piété, quelquefois d’intérêt économique ou fiscal, et relatives soit à des affranchissements individuels, soit à l’affranchissement en masse des serfs d’une seigneurie, d’un évéché, d’un monastère, d’un bourg, d’une Aille ou même d’une province (Dareste de laChavannk, Histoire des classes agricoles en France, 1858, p. 220 et note 2). Par sa célèbre ordonnance de 1315, Louis le Hutin n’entendait pas donner la franchise gratuite aux serfs du domaine royal, il la leur vendait : « mais il n’en est pas moins certain, en principe, que le roi croyait devoir la leur vendre, en fait qu’ils étaient capables de l’acheter. » (Guizot, Hist. de la civilisation en France, t. IV, p. 126.)

Comme on vient de le voir, le sentiment religieux ne fut qu’un des mobiles des atfranchissements : des considérations d’un ordre différent y contribuèrent aussi. Mais dans le résultat général, le sentiment religieux cul certainement lapins grande part. « Il n’y a peut-être pas une seule charte datïranchissement qui n’y fasse au moins allusion, et qui ne présente la servitude et les droits qui la constituaient comme un des abus que la religion ordonnait de détruire. L'émancipation a été surtout prêchée, dirigée par les papes Adrien IV et Alexandre III. Les gouvernements laïques n’ont fait que suivre l’exemple qui leur était donné par le gouvernement religieux, et obéir, comme ils obéissaient alors dans la plupart de leurs actes et particulièrement de leurs réformes, à l’impulsion venue du Saint-Siège. » (Dareste de la Chavan.ve, ouvr. cité, p. 224-226.)

Depuis ce temps, la liberté fut, dans les campagnes, l'état le plus commun ; dans les parties anciennes et riches de la France, il n’y eut plus que des serfs