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ESCLAVAGE

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dément d’axitriii, le fait en vertu de son libre arbitre, et que c’est en se gouvernant soi-même quil obéit à celui qui le gouverne (II » Il^e, q. 50, a. 2, c).

Voici Aristote laissé bien loin. Sur les faits qui constituent la légitimité de resclavage, les scolastiques s'écartent complètement de lui. Considérant

« les esclaves par nature » comme Téquivalent des

animaux destinés à servir, le philosophe grec décla- | rait justes tous actes qui les mettaient sous la dépendance du maître, admettait même les guerres faites en Aue de leur asservissement, la chasse à l’homme. Duns Scot, au sujet de l’esclavage proprement dit. c’est-à-dire de l’asservissement complet de l’homme à l’homme, tel que le pratiquaient les anciens, dit qu’il ne peut résulter légitimement que de trois causes : iMe don libre et volontaire de soi-même comme esclave, car, bien qu’il soit insensé, dit-il. et peut-être contraire à la loi naturelle, d’abdiquer ainsi sa propre libei’té, cependant, l’abdication une fois faite, il est juste de la maintenir ; 2° la servitude pénale, c’est-àdire prononcée comme châtiment d’un crime, les pouvoirs publics, qui ont le droit de condamner le criminel à la mort, ayant évidennnent aussi celui de le condamner à l’esclavage ; 3° la guerre, le vaincu, dont la vie a été épargnée par le vainqueur, pouvant être obligé par celui-ci à la servitude en échange de la vie qu’il lui a laissée. Cependant, pour ce troisième cas, Duns Scot hésite, car ici la justice ne lui apparaît pas évidente, non apparet manifeste justitia hic. Le vainqueur n’a i)as toujours été dans la nécessité de tuer le vaincu pour se protéger soi-même ; par conséquent il n’a pas toujours, eu l'épargnant, acquis le droit de le réduire en esclavage. Quant à la prescription, continue Duns Scot, elle ne saurait être jamais un principe d’acquisition des esclaves, car on peut acquérir par prescription des objets, non des hommes : elle ne le serait que s’il s’agissait de personnes que l’on pût présumer être jirimitivement devenues esclaves en vertu d’une des deux causes admises plus haut, don de soi-même ou châtiment prononcé par l’autorité compétente (fn IV Sent., dist. 36, q. un.).

Duns Scot résume sa pensée ])ar un jugement très remarquable, et sur la théorie d' Aristote, qu’il atténue jusqu'à la détruire, et sur la servitude elle-même, dont il dénonce la cruauté. « Ce que dit le pliilosop ! ie de cette maudite servitude (rfe se/*77 « fe illa maleclicta). i>ar laquelle l’esclave est assimilé à la bête, peut s’entendre au sens que l’esclave est possédé par le maître comme toute autre chose, non en ce sens que l’esclave est dirigé dans ses actes et ne se dirige I)as lui-même, car l’esclave, si esclave qu’on le veuille, est toujours homme, et toujours doué de liberté ; et par là se manifeste la grande cruauté commise dans le premier établissement de la servitude, qui abaisse jusqu'à la condition de la brute, prive de liberté morale, rend incapable de vivre vertueusement riiomme doué de libre arbitre, créé maître de ses actes, et fait i)our vivre selon la vertu, e.r (jtio patet magna crudelilas fuisse in prima inductione sen’itutis, quia hominem arl>itrio liberum et dominum suoruni actuum facii quasi brutum et libero aibitrio non utentem, ncc potentem agere irtuose. (In IV Sent., dist. 36, q. un.)

Sur un point, Aureolus se sépare de son confrère en saint François : c’est quand il admet comme indubitable ce qui avait semblé contestable à Duns Scot, la légitimité de la servitude fondée sur le droit de la guerre : mais il en donne une explication nouvelle en supposant que ce droit a été implicitement reconnu par les belligérants, et qu’il existe entre eux une convention tacite, les vaincus se soumettant d’avance à la servitude pour prix de la vie

sauve ; ce qui ramènerait la servitude à être une institution du jus gcntium (In IVSent., dist. 36, q. un., a. un.). Mais si Aureolus semble, ici, faire un pas en arrière, il prononce, en revanche, la parole la plus hardie qui ait encore été dite sur le sujet, quand (ibid.) il reconnaît aux esclaves maltraités le droit de secouer le joug, s’ils n’ont pas le moyen d’en appeler à une autorité supérieure : quando… nec est recursus ad alios superiores dominos, tune dico quod ser^'i possent excutere jugum sen’itutis.

La scission entre Aristote et les scolastiques parait toujours plus évidente à mesure qu’on approfondit le sujet. On vient de voir comment ils se séparent de lui sur l’origine de la servitude ; on va voir maintenant comment, sur la nature de la servitude, ils l’abandonnent tout à fait. Selon Aristote, le maître est tout pour l’esclave, et celui-ci n’a d’autre but, d’autre loi, d’autre destinée, d’autre règle du bien et du mal que la volonté du maître : il lui appartient corps et âme. Saint Thomas déclare, au contraire, qu’un homme ne peut être la lin d’un autre homme et absorber ainsi toute une créatm-e raisonnable : anus Jiumo natura sua non ordinatur ad alterum sicut ad fînem (fn IV Sent., dist. 44> q. i, a. 3, c. et ad i). Le franciscain François de Mayroxis (-7 1327) ajoute que la parité de nature ne permet pas à un homme de se faire obéir sei’vilement d’un autre homme, comme il se ferait obéir d’un être de natui’e différente, paritas naturæ arguit ut non principetur homo homini sei’iùliter, sicut jumento impari sibi, secundum naturam (Quodlib., q. xii).

Par conséquent, dit saint Thomas, le corps seul est soumis au maître ; mais les services corporels exigés de l’esclave ne doivent pas excéder les droits de la puissance patronale : l’esclave doit avoir le temps non seulement de subvenir à ses propres besoins, mais même d’exercer la charité envers autrui {Summa TlicoJ., l^ lla<^, q. 5^, a. 3, ad 13 ; a. 6, ad 1 ; q. 122, a. 4, ad 3 ; 11 » II' », q. io4, a. 5, c. ; In II Sent., dist. 44. a. 2 ; In IV Sent., dist. 36, q. i, a. 2 ; Quodlib., II, a. 7). Avant tout, doit être respectée la liljerté de conscience. Saint Thomas est sur ce point très énergique. Ni les Juifs, ni les infidèles ne peuvent être contraints à embrasser la foi chrétienne, nuUo modo sunt ad /Idem cogendi, quia credere rohuitatis est (II » 11 » ^, q. 10, a. 8 ; Quodl., iii, a. 11). Mais leurs enfants mêmes ne doivent pas être baptisés in’itis parentibus, car il y aurait ià une offense au droit paternel et par conséquent à la justice. Qu’on laisse l’enfant grandir jusqu'à l'âge où il pourra se décider librement et venir à la foi non coaciione sed persuasione ; alors seulement il sera permis de le l)aptiser même contrairement à la volonté des j)urents (11 » Ila<", q. 10, a. 12 ; Quodl., 11, q. 4 » a. 7). Saint Thomas répond ainsi à Duns Scot qui prétendra quc, sans doute, il n’est pas licite à une personne privée d’administrer le baptême à des enfants juifs contre la volonté de leurs parents, mais que cela est liciteet même méritoire aux princes, en vertu de l’autorité publi<pie qui leur est commise (In IV Sent., dist. 4, q- 9)- Les Juifs étaient, au moyen âge, considérés, au moins théoriquement, comme les esclaves ' des princes, Judæi sunt scr-i principum (lia llae, q_ 106, a. 3, ad 4) : les principes soutenus à Icurégard par saint Thomas s’appliquent é idemment à toute espèce d’esclaves, qui tous, pour eux et pour leurs enfants, ont droit à la même liberté de conscience.

Aux yeux des docteurs scolastiques, la liberté de contracter mariage, avec ou sans le consentement des maîtres, existe pour les esclaves. Ils sont très alïirmatifs sur ce point, et fort en avance sur les lois de leur temps, plus ou moins restrictives de la liberté