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au catholicisme de donner créance à des fables indignes, confondent à plaisir reml>lcnie et la réalité.

Mais à ne prendre que l’idée pure de la peine positive, dégagée de toute application burlesque ou barbare, est-il vrai que le feu de l’enfer soit incompatible avec l’idée que nous avons de la bonté divine ? Ceux qui s’imaginent que la peine du sens dépend d’un décret purement arbitraire pourraient le soutenir. Mais étant donné que cette peine ne contredit point la sagesse de Dieu et quelle répond à sa justice, à quel titre la luiséricorde serait-elle tenue d’intervenir en faveur des coupables pour alléger leur cbàtiment ? Sans doute, l’infinie bonté aurait pu remettre la peine, non seulement en partie mais en totalité : Dieu est le souverain niaitre de ses créatures et de ses dons, et l’usage, même illimité, du droit de grâce n’implicp^ie point ici évidente contradiction. Mais dire que la peine du feu ne pevit s’allier avec la bonté divine, c’est affii-mer que la divine bonté non seulement pouvait intervenir, mais qu’elle se devait à elle-même de remettre au pécheur cettepeine justement infligée. Aucuneraison humaine ne peut fixer des lois aux attributs divins, quand leur exercice n’aboutit point à un résultat contradictoire. Où serait, dans le cas présent, la contradiction ? Qui pourrait la signaler, la mettre en évidence ? A considérer exclusivement la miséricorde, en dehors de la sagesse et de la justice, on peut dire qu’elle tend, de sa natui’e. infiniment au bien du coupable, et que ce bien serait dès lors intégralement procuré, puisque l’action de la miséricorde ne pourrait être limitée par les exigences d’aucun autre attribut. Mais c’est considérer ainsi une pure abstraction, et dès lors une chimère. La bonté n’existe jias et n’agit pas en Dieu isolément ; elle existe et elle opère concurremment avec la sagesse et la justice, qui ont aussi leiu-s exigences ou leurs droits, et dont Dieu ne saurait se départir. Or imposera la bonté divine la remise d’une peine fixée par la sagesse et la justice. serait proprement nier en Dieu la sagesse et la justice. Ainsi s’éA-anouit dans la contradiction formelle l’objection qui déclare la peine du feu incompatible avec l’idée divine de bonté.

4° Quant à l’impossibilité pour la raison humaine de concevoir la nature et le mode d’action du feu de l’enfer, ce n’est point là un argument que l’on puisse inA’oquer pour rejeter l’existence de cette peine. Tous les théologiens s’accordent, à la suite de saint Augustin-, De cn’.Z)e/, XXI, x, /’.Z., XLI.’ ; 24sq., à reconnaître dans le supplice du feu un mystère dont la ré^élation seule nous révèle l’existence et dont l’intelligence échappe tout naturellement à notre esprit l)orné, si éloigné encore de pénétrer tous les secrets de la matière et du monde des esprits, et de se former une idée même lointaine des conditions de la vie dans l’au-delà. L’objection, pour être valable, devrait établir que la puissance de Dieu est incapable de donner au feu de l’enfer la faculté d’affecter douloureusement les esprits ou les corps ressuscites. Mais quelle philosophie pourrait fixer les limites infranchissables des rapports qui unissent ou qui peuvent unir la matière à l’esprit ? Assui-ément le feu de l’enfer ne peut exercer sur une substance spirituelle les effets identiques que le feu matériel opère devant nous sm- le bois ou le charbon. Mais poser ainsi la question, comme souvent elle l’a été, serait la dénaturer d’étrange sorte. Quelle sera la nature de ce feu, nous l’ignorons absolument. Quel genre de souffrance imposera-t-il au damné, nous l’ignorons encore, et ce n’est point là le problème à résoudre. Des données de la révélation nous pouvons seulement conclure à l’existence d’un feu mystérieux qui sera pour les réprouvés un instrument de supplice.

La seule question dont la solution s’impose en l’esjjèce est de savoir si un agent matériel peut recevoir de la toute-puissance divine la vertu d’agir sur des substances immatérielles. Or rien ne prouve que Celui qui a pu, suivant le mot de saint Augustin, unir l’esprit à des membres corporels, ne pourra pas le soumettre à l’action d’un corps extérieur. De Civ., Dei. ibid. L’exemple de l’information du corps humain par l’àme n’est-il pas un indice positif et suffisant de la possibilité intrinsèque de cette action ? La raison la plus exigeante n’a pas le droit d’en demander davantage.

Les théologiens vont plus loin, cependant. Ils cherchent à expliquer en quoi le feu de l’enfer peut être pour le damné une cause de tourment. Scot ramène ce tourment à la simple perception de ce feu, perception qui s’impose en tout temps au damné et dont il ne peut se défaire malgré tous ses elTorts. In IV, d. 49. ^.^ 7- — SuAREZ, recourt à la production par le feu d’une qualité particulière, qui serait dans l’àme comme l’antithèse de la grâce, et dont la laideur serait pour le damné un objet de vive répulsion. De Angel, , 1. VIII, xiv, i. ! ^l. — Saint Thomas et la plupart des théologiens voient dans le feu de l’enfer une sorte de lien ou de prison qui retient captif le damné et le prive de ce qu’il a de plus cher, sa liberté d’action et d’esprit. Contra Gentes, 1. IV, c. 90 ; Suppl., q.’jo, c. 3 ; De Anima, 21. Tolet, in I, q. 64, a. 5. — Enfin Lessiis admet que le feu de l’enfer a le privilège d’atteindre l’àme directement et de produire en elle la même douleur qu’elle en ressentirait si elle était unie à son corps. De Perf, div., 1. XIII, c. 30. — Ces divers systèmes n’offrent rien en eux-mêmes de chimérique, bien qu’ils ne donnent pas la clef du mj’stère. Ce n’est pas non plus leur prétention. Mais ce A’aste effort delà science théologique suffit à démontrer — et cela seul importe — que la doctrine du feu de l’enfer n’est point de celles que la raison puisse condamner, même, et sm-tout, après exaiuen.

Quelle que soit notre manière de nous représenter les tourments de l’enfer, la gravité de la peine dépassera toujours l’idée que nous pourrons nous en former et ne correspondra jamais, d’autre part, à la gravité de l’offense faite à Dieu. La tendance qvii incline certains apologistes à concevoir ces souffrances comme aisément supportables est en opposition avec les données de la foi et l’enseignement traditionnel de l’Eglise. « C’est chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant », Heh., x, 31. Cf. Ps. 11, 5, 9 ; Lxxxix, 11 ; Joël, I, 15 ; Amos, viii, 8, sur la justice divine en général ; et Mal., iv, 1 ; Apoc, xiv, 10, 19 ; Mat., XVI, 26 ; Marc, IX, 42 sq. sur la peine de l’enfer. Aussi ne peut-on souscrire à cette conclusion formulée dans l’ouvrage de Mgr Bougaud : « Tout en reconnaissant la grandeur des peines de l’enfer, il ne faut pas les exagérer. C’est ce que recommandait le pieux et savant évêque de Boulogne, Mgr de Pressj-, mort en odeur de sainteté etleplus grand théologien du xviii siècle. Si douloureuses que fussent ces peines, il croyait que la vie, même avec elles, était préférable au néant, et, si on en excepte peut-être Judas et quelques autres, il estimait, a^ec saint Augustin, qu’il valait mieux pour chaque damné souffrir toutes les peines de l’enfer que de ne pas exister. » Le christianisme et les temps présents, t. V, p. 351. Cependant le texte de saint Matthieu est formel : Bonum erat ei si natus non fuisset homo ille, xxvi, 24. La pensée catholique est nettement exprimée dans ces paroles de saint Jérôme : « Omnia… mala quae veteribus historiis continentur… his suppliciis quae in die sunt reddenda judicii, non poterunt comparari. » In Il Joël, P. L., XXV, 966. Cf. saint Augus-