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comment concevoir que chacun des termes n’ait point le sens précis, clair, habituel, qui est le sien, et qu’une métaphore imprévue vienne cnlcA er au jugement suprême le caractère de rigoureuse précision, de vérité, de grave simplicité, qui est le caractère même de la justice et de ses actes ? En fait, rien de tel ne se constate et l’exécution même du jugement : Ibunt in. …Vaf., XXV, 46, l’antithèse qui s’établit si vivement entre le sort des élus et celui des réprouvés, xxv, 34. l’identité signalée entre le châtiment des démons, ignem qui paratus est diabolo, xxv, 41 (il ne peut donc s’agir d’une peine de conscience, essentiellement personnelle), démontrent nettement que le feu de l’enfer est bien un feu réel, et la tradition entière, sans faire de cette a érité un dogme de foi, l’a toujours entendue au sens propre, en réprouvant toute interprétation métapliorique.

B. Les objections. — Pour enlever à cette démonstration sa force probante, il faudrait que la raison put démontrera son toiu* l’impossibilité positive d’un pareil cliàtiment. Sans doute elle reste mystérieuse, impénétrable à notre intelligence, l’action de ce feu qui tourmente des substances spirituelles. Mais devant la claire allirmation d’un mystère, l’intelligence n’a qu’à s’incliner. L’autorité de la parole divine ou du magistère de l’Eglise est la seule garantie qu’elle puisse exiger de la vérité qu’elle admet, et cette garantie est aussi le motif le plus efficace qu’elle puisse jamais avoir de son adhésion. Là seulement où il lui apparaîtrait avec certitude que la doctrine proposée est en contradiction avec d’autres principes incontestablement établis, elle aurait le droit et le devoir de refuser son assentiment à une proposition qui porterait ainsi le caractère de l’erreur et ne pourrait dès lors provenir de Dieu. Mais c’est en vainque le rationalisme élève ses protestations contre l’enseignement ecclésiastique du feu de l’enfer : les objections qu’il allègue n’arrivent point à faire ressortir la moindre contradiction entre les données de nos croyances et celles de notre raison. Elles se réduisent à affirmer que la peine du feu est contraire à lasagesse, à la justice comme à la bonté divine, et que son efficacité ne peut être réelle. Mais l’existence du feu de l’enfer est assez solidement établie, soit par l’Ecriture, soit par la Tradition, pour que ces difficultés ne puissent prévaloir en rien contre cette vérité.

I » L’existence du feu de l’enfer ne compromettrait la sagesse de Dieu qu’autant que rapi)lication de cette peine aux damnés nous apparaîtrait comme manifestement inutile. Mais qui voudra scruter les desseins de la divine sagesse ? Si peu que nous puissions pénétrer les contenances du mjstère, nous voyons au contraire que la conduite de Dieu se justilie pour nous par les elfets salutaires que produit sur les âmes l’appréhension du feu de l’enfer. Il y a longtenq)s que les Pères de l’Eglise en ont fait la remarque : les hommes sont beaucoup plus sensibles à la crainte qu’à l’espoir. L’amour de Dieu n’agit efficacement, par sa seule vertu, que sur une rare élite. Pour l’ensemble des fidèles, la pensée du bonheur du ciel, de la « vision de Dieu », est un faible stimulant ; le caractère abstrait de la récompense laisse l’imagination inerte et froide, et la sublimité des joies du ciel dépasse de Iteaucoup les forces intellectuelles de la moyenne des fidèles. Il n’est pas rare de rencontrer des âmes pour qui la vie dans le ciel se réduit à un exercice de prière et de contemplation, médiocrement pourvu d’intérêt. Faible préservatif contre le mal, si la crainte d’un châtiment douloureux ne venait faire contrepoids à l’attrait du péché. Et l’expérience ne proclame-t-elle pas que c’est la peur du feu de l’enfer qui soutient les forces dans la tentation, qui ramène à Dieu les pécheurs

endurcis ? N’est-ce pas elle qui affermissait le courage des martyrs dans les rigueurs des tourments ? N’estce pas elle encore qui a mis tant de saints sur la voie du ciel ? Etant donnée l’intinie malice du péché, même si la peine du feu n’avait servi qu’à éviter un seul péché mortel, qui pourrait dire que cette peine ne serait point justifiée ?

Et que font les législateurs humains, sinon s’inspirer de ces mêmes principes ? « En général, la crainte du mal touche beaucoup plus que l’espoir du bien, de sorte que nous nous disposons beaucoup plus aisément à renoncer à l’un qu’à endurer l’autre. On sait qu’une grande crainte ôte la liberté, ce qui fait aussi qu’elle annule les contrats. La plus ie espérance n’opère rien de semblable. Les hommes, en admettant communément que la liberté est plus diminuée par la crainte que par l’espérance, admettent implicitement la souveraine efficacité de la crainte. Aussi quand les législateurs imposent aux citoyens quelque obligation, ils ne dénoncent pas comme sanction les récompenses, mais les châtiments. >) Gard. Pallavicini, Vart de la perfection chrétienne, t. I, p. g.

A ce double titre, la sagesse divine est parfaitement justifiée au regard de la raison humaine. Cf. saint Augustin, Confess., VI, xvi, P. Z., XXXIl, -82 ; saint Jean Chrysostome, In epist. ad Pliilem., iii, 2, P. G., LXII, 718.

2’^ La justice divine ne fait qu’user de son droit le plus strict en infligeant aux damnés une peine positive. Aucun châtiment ne réparera jamais l’offense infinie faite à la majesté et à la sainteté de Dieu. De plus, suivant la doctrine universellement admise de saint Thomas, tout péché contient en lui-même un double désordre : le pécheur se sépare de Dieu, dont il méprise les droits les plus saints, et il se tourne vers la créature comme vers sa fin dernière. A ce double désordre doit répondre une double réparation : la privation de Dieu, en punition de l’apostasie ; la douleur positive venue de la créature, en retour de la volupté criminellement ravie à la créature même. Ainsi se trouve satisfaite la justice divine relativement à la double interversion des rapports de créature à Créateurqui constitue le péché mortel.

3’^ L’objection Cqui se réclame de l’infinie bonté de Dieu repose sur une conception inexacte soit de la peine du sens, soit de la miséricorde divine. Il est évident que si l’on considère Dieu comme un tyran qui se plaît à tourmenter sa créature, si l’on accepte comme une réalité les descriptions eirrayantes qui se retrouvent sous la plume de certains mystiques ou sous le pinceau de certains artistes, la plus élémentaire réflexion aura vite fait de dégager la bonté divine de ces atrocités arbitraires ou de ces raffinements puérils. Mais tous ces jeux d’imagination ne sont que grossiers symboles. Artistes et mj’stiques n’ont d’autre but que d’exciter, par les faibles moyens qui sont à notre disposition, l’horreur dont nous devrions être saisis à la seule pensée de l’enfer, si cette pensée pouvait être adéquate à la réalité. Et si l’Eglise autorise tacitement ces descriptions et ces tableaux, ce n’est point qu’elle les regarde, ni qu’elle permette qu’on les regarde, comme l’expression fidèle de la réalité, mais bien comme une image quelconque d’un châtiment qui ne tondje point sous les sens et qui surpassera toujours en intensité de peine toutes les tortures que notre inuigination peut évoquer, de même que la béatitude éternelle ne sera jamais comparable aux joies les plus hautes de la terre et ne saurait être caractérisée en rien par ces symboliques banquets et ces tentes luxueuses que le christianisme primitif aimait à voir reproduits sur les parois des catacond)es. Les incrédules qui reprochent si souvent