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ENERGIE


mette suffît à transformer en énergie caloriûque ; les gisements de charbon qui alimentent nos machines à vapeur proviennent eux-mêmes de végétaux fossiles ; et l’énergie qu’ils représentent et qui, chaque jour, s’épuise, est tout entière, elle aussi, empruntée à l’énergie des rayons solaires.

Les quelques transformations artificielles que nous observons dans ce passage de l’énergie de radiation à l’état d’énergie mécanique, ou d’énergie chimique, ou de toute autre forme élcvée de l’énergie, ne vont jamais sans une transformation naturelle incomparablement plus importante ; puisqu’il y a chute de chaleur tombant du soleil sur la terre, chaleur que la terre, à son tour, rayonnera vers les espaces célestes durant la nuit. Et, dans l’ensemble, l’énergie reçue journellement par la terre sous forme de chaleur venant d’un corps à température élevée éprouAC une énorme dégradation. Le rôle des êtres vivants : végétaux, dont la chlorophylle réduit l’acide carbonique,

— animaux, qui transforment en mouvement une partie de l’énergie provenant des combustions intérieures à leur organisme, — êtres raisonnables, qui, consciemment, utilisent les énergies natvirelles comme les chutes d’eau, — peut être de ralentir dans une certaine mesure cette dégradation d’énergie qu’ils ne sauraient arrêter.

Pour nous résumer, la terre n’est pas un système isolé : elle reçoit de l’énergie, et elle en cède. Au bout de l’année, il y a à peu près équilibre entre ce qu’elle a reçu et ce qu’elle a perdu. De l’énergie venue du soleil, on peut dire qu’elle ne garde i-ien ; elle la rend au fur et à mesure, mais elle la rend dégradée.

V. Objections à la loi d3 la dégradation de l’énergie. — La doctrine de la dégradation de l’énergie ne s’est pas imposée sans avoir soulevé des objections. En indiquer dès maintenant quelques-unes, sera le meilleur moyen de préciser le sens et la portée de la doctrine elle-même. On s’est demandé s’il ne peut pas y avoir reconcentration de cette énorme quantité d’énergie rayonnée en tous les sens. Les rayons envoyés par le soleil et par les étoiles, comme Sirius, ne peuvent-ils, dans les profondeurs de l’espace, se réunir quelque part, comme au foyer d’un miroir ardent, et reformer là un nouveau centre de radiation ? — Rankine a développé avec complaisance cette hypothèse de la reconcentration de l’énergie. Il regardait comme nécessairement limité l’espace immense que remplit l’éther lumineux ; sur les limites de cet espace, il imaginait cpie les rayons jirovenant de toutes les étoiles du ciel se réfléchissaient, et, revenant sur leurs pas, allaient former de nouveaux points à température très élevée ; un soleil éteint vient-il à passer en un de ces points, il peut y être porté à l’incandescence, et recouvrer la chaleur, la lumière et la vie.

Cette hypothèse, qui d’ailleurs met en cause beaucoup moins la loi même de la dégradation de l’énergie que son extension à l’ensemble de l’univers matériel, ne supporte pas l’examen, car il n’est pas possible qu’un foyer lumineux, qui est l’image d’un point, soit plus chaud que l’objet lui-même : jamais un soleil éteint ne pourra être ranimé ainsi, si ce n’est par un autre soleil plus chaud. On ne peut donc concevoir, dans cette voie, m terme à la dégradation de l’énergie.

Peut être dira-t-on encore, nous sommes, pour l’instant, à une période de l’histoire du monde où il y a dégradation de l’énergie. Qui peut dire qu’il en sera toujours ainsi ? Si le monde, parti du chaos, c’est-à-dire de l’absence d’équilibre, tend vers un état d’équilibre général et uniA-ersel, marqué par la transformation de toutes les autres espèces d’énergie en énergie calo rifique uniformément répartie, n’est-il pas loisible de supposer qu’une fois l’équilibre atteint, le monde retournera vers le chaos ? Ne pouvons-nous imaginer que le monde « une fois transformé en un tout homogène et sans mouvement, se trouverait dans un état de complète instabilité » ?

« C’est alors que l’efl’ort de tension qui limite l’activité

universelle jouera unrôle actif, en venant défaire l’œuvre accomplie par la vitesse initiale, et que commencera une lente évolution en sens contraire, qui ramènera l’univers…, par uneaugmentation graduelle des énergies utilisables, vers l’étal de chaos d’où il était sorti…

« L’éternité serait donc l’infini d’une série d’oscillations

grandioses entre le chaos et l’équilibre, entre le mouvement et la chaleur, l’infini d’un rythme à longue période… »

Ainsi s’exprime l’un des savants qui ont le mieux compris Carnot, M. G. Mouret. On retrouve une conception analogue chez Boltzmann et chez Herbert Spencer. Evidemment, il n’est pas logiquement contradictoire de construire uu monde où la chaleur se trouve être de l’énergie de qualité supérieure, et l’énergie mécanique de l’énergie de qualité inférieure. Rien pourtant ne nous permet de prédire que le monde, transformé en un tout homogène et à température uniforme, serait « dans un étal de complète instabilité ». Il y a plus : tout ce que nous savons permet plutôt de prédire le contraire.

Trempons dans l’eau bouillante l’extrémité d’une cuiller d’argent, puis retirons-la et laissons-la sur une table. L’extrémité chaude se refroidit, et l’extrémité froide s’échauffe, jusqu’à ce que la cuiller entière soit toute à la même température. Quand cet état d’équilibre est atteint, il n’est pas dépassé en sens inverse. La comparaison avec une pierre qui tombe et qui rebondit serait ici complètement en défaut ; et de même la comparaison avec un pendule oscillant autour de la verticale. Une fois la chaleur retombée du côté chaud au côté froid, elle n’a aucune tendance à rebondir, ni pour échauffer de nouveau la partie précédemment chaude, ni pour se porter en excès, par une sorte de vitesse acquise, sur la partie précédemment froide. La chaleur n’a aucune espèce d’élasticité. Une fois l’équilibre atteint, aucune différenciation nouvelle ne se produit. La cuiller, supposée seule, reste en équilibre thermique stable.

Il est difficile de voir comment cet équilibre thermique serait troublé par le fait que, au lieu de la cuiller toute seule, tous les corps qui l’entourent, et tous ceux que contient l’univers, seraient arrivés, eux aussi, au même état de repos et à la même uniformité de température.

Aussi bien, ce que M. Mouret reconnaît, c’est que le monde actuel marche du déséquilibre initial, c]ui était le chaos, vers l’équilibre final qui serait la mort. Cela d’ailleurs, si beaucoup de gens l’ignorent, personne, parmi les gens qui savent un peu de physique, ne le conteste.

L’ignorance de la loi des transformations de l’énergie, et la confusion sur le mot énergie.

Ce grand fait a pu être nié par les vulgarisateurs ignorants ; il n’est contesté par aucun physicien. On a discuté sur la portée à lui attribuer, non sur le fait lui-même : seulement le fait est souvent passé sous silence. Rankine, en 1867, se plaignait que le second principe de la science de l’énergie restât ignoré, alors que le premier, — celui de la conservation de l’énergie, — est vulgarisé à profusion, mais compris à faux. Ostwald répétait, en 1909, que les résultats auxquels a conduit le principe de Carnot « sont loin d’avoir pénétré aussi profondément et aussi complètement la conscience des hommes cultivés que l’a

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