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EGYPTE

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çants. Le dieu qui prétendait les obligei- ù piocher, à labourer, à moissonner, à porter de l’eau et du sable, pouvait bien, pensaient-ils, animer un individu de terre, lui inspirer un souille de vie, et pourquoi ii’accepterait-il pas la substitution ? Il fallait donc emporter avec soi un nombre suflisant de ces remplaçants à bon marché, destinés à répondre au nom du vrai défunt et à exécuter tous les travaux commandés. Est-il nécessaire de faire remarquer que cette conception accuse une nouvelle chute dans la décadence morale et religieuse.

Sous les Ptolémées, cette décadence se précipite, malgré l’éclat et la pompe des cérémonies oilicielles. Les nouveaux souverains de rEgyi)te ont compris quel jiarti ils pouvaient tirer de la religion nationale pour étayer leur ^louvoir, et ils s’en font un instrument de règne. Non seulement ils lui laissent toute sa liberté, mais ils s’appliquent à eu rehausser le prestige. Ils respectent les prérogatives de la classe sacerdotale, prennent part aux processions et aux rites sacrés, restaurent les temples et les enrichissent des décors les plus somptueux. La plupart des sanctuaires encore debout en Egypte sont l’œuvre des Ptolémées. En retour le peuple ne ménage pas son respect à ces dignes successeurs des Pharaons, les prêtres leur décernent les honneurs divins comme au beau temps des Ramsès et des Thoutmès.

Et cependant ces brillantes manifestations ne sont qu’un mouvement de surface, il y manque cette spontanéité, cette sincérité qui vient de l’intime des âmes, les grandes idées religieuses ont décidément déserté les esprits. L’Egypte entière s’enfonce de plus en plus dans la fange du culte zoolâtrique. Par un renversement des rôles, l’animal n’est plus le serviteur de l’homme, c’est l’homme qui est le serviteur de l’animal. Il faut se laisser piquer par les serpents, dévorer par les crocodiles, plutôt que de leur causer le moindre mal en cherchant à se défendre. Un Romain tue un chat par mégarde, il est mis à mort par le peuple (Diouork, I, 84). Les habitants du nome cynopolite (Moyenne-Egypte) prennent et mangent un certain poisson vénéré par les habitants du nome d’Oxj’rrhynque, ceux-ci leur déclarent une guerre à mort, et prennent et égorgent le chien adoré par les cynopolites (Pi.utarque, De Iside et Osiride, ja). On nourrit à grands frais les crocodiles dans les lacs sacrés (Strabon, XVII, 38). L’auteur du liTe de la Sagesse, qui vivait à Alexandrie au milieu du second siècle avant Jésus-Christ, qui était donc lui-même témoin de pareilles horreurs, n’avait à faire aucun effort d’imagination quand il disait des Egyptiens : ft En punition des pensées extravagantes, fruit de leur perversité, qui les égaraient et leur faisaiejit adorer des reptiles sans raison et de A’ils animaux, vous lexir envoyâtes une multitude de bêles stupides ; pour leur a[)|)rendre ((ue ce qui sert à l’homme pour pécher sert aussi à son châtiment. » (Sap., XI, 15, iG.) Ces reproches, les générations contemporaines de l’Exode les avaient mérités, car elles aussi avaient un culte exagéré i)our les animaux, emblèmes des dieux, mais ils s’adressent à bien plus juste titre à ces Egj’ptiens des six <lerniers siècles, tjui s’abaissèrent aux pratiques les plus dégradantes du fétichisme animalier.

Telle était la religion du peu|)le. Etait-elle aussi celle de la classe supérieure ? A Alexandrie et dans les autres villes où dominait l’élément grec, il semble bien que le monde pensant et lettré se délachait insensililemenl des anciennes croyances, ou plutôt qu’il tendait à les moderniser, c’est-A-dire à les gréciser. Les Grecs, c’était alors la science, la philosophie, la civilisation. L’attrait qu’on ressentait pour eux se portait aussi sur leur religion. Aussi voit-on

alors les dieux de l’Olympe entrer dans la société antique des dieux héliopolitains et thébains, Jupiter trôner dans les temples à côté d’Osiris et d’Amon, Aphrodite à côté d’Isis. Avec la marche des idées, on oublie même les anciennes divinités nationales, on n’en retient qu’un petit nombre, Osiris, Isis, Horus, Thoth, encore a-t-on soin de les transformer, de les dépouiller de leurs formes rigides et hiératicfues, de les délivrer de la gaine qui les emprisonnait, pour leur donner un peu de l’aisance et de la souplesse hellénique. Horus devient Harpocrate, sorte de bambino qui s’amuse à aller à cheval sur le bélier ou sur l’oie, les animaux sacrés d’Amon, qui aime à tenir le doigt sur la bouche, ce qui l’a fait surnommer le dieu du silence, qui se déguise pai"fois en homme vêtu à la grecque, portant un panier au bras ou la corne d’abondance. Sa mère Isis est également obligée, pour se faire accepter, de prendre les allures d’Aphrodite. Osiris doit s’effacer à Alexandrie devant le grand Sérapis ou se fondre avec lui. Sérapis est un dieu de Sinope, apporté à Alexandrie par Ptolémée II, sur la foi d’un songe, et richement installé dans un temple au milieu de la ville. Il reste le dieu favori des Alexandrins jusqu’à leur conversion au christianisme. Au premier siècle de l’ère chrétienne, la religion égyptienne est un mélange d’éléments grecs et égjptiens.

2. Rapports avec le Judaïsme. — Depuis la captivité de Babylone, l’Egypte fut i^our les Juifs le lieu de refuge. Déjà en 58^ ceux que Nabuchodonosor a laissés en Palestine commencent le mouvement. Après avoir misa mort le gouverneur Godolias, ils s’enfuient au delà du désert, pour échapper à la fureur du grand roi, et vont s’établir à Memphis, à Daphné, à Migdol, au pays de Phaturès (Jer., xxiii, "j ; XLiv, i). Les découvertes de ces dernières années nous ont fait connaître une puissante colonie juive lixée dès le sixième siècle au fond de l’Egypte, à Assouan. Avant même la conquête de Cambyse (525), cette colonie était assez développée et assez riche pour se construire un temple superbe dans l’île d’Eléphantine. Ce temple, détruit et incendié par les Egyptiens adorateurs du dieu Chnouni, l’an 14 de Darius (ôoy), fut réédilié quelques années plus tard. Sous les Ptolémées, le nombre des Juifs établis à Alexandrie s’élève à cent mille, et au temps de Vespasien il atteint un million dans l’Egyitte entière. Outre le temple d’Eléphantine, ils en ont un autre en Basse-Egypte, construit par le grand prêtre Onias avec l’aide de Ptolémée Philomélor II. probal )lcmeut à Tell-el-yahoudié, près de Chibin-el-Kanàter.

Quelles intluences religieuses s’exercèrent dans un sens ou dans l’autre, pétulant ces six siècles ? Se iit-il (pu hiue conqiéiiétration du judaïsme etdupaganisme, ou l>ien les deux religions restèrent-elles étrangères l’une à l’autre ? A vrai dire, nous n’avons aucun document précis sur cette question, et il faut la trancher surtout par des considérations générales. En effet, remar(pions d’abord qu’aucun des deux cultes n’était à cette époque en voie de fornuUion, qu’ils avaient leur doctrine et leurs cérénumies depuis longtemi)S déterminées et réglées, il est donc à présumer que chacun continua à garder ses propres usages.

Au reste, les Juifs u étaient i>as synqialhiques aux Egyptiens. C’est jiar jalousie ou rivalité que les prêtres du dieu Chnoum tirent détruire le temple d’Eh’pliantine. A Tell-el-Yahoudié, les fils d’Israël ne se mêlaient ])as aux païens, ils occupaient des quartiers à part. Ils n’avaient d’ailleurs pas l’esprit de prosélytisme et attendaient de Dieu sculcette conversion des nations que les prophètes avaient annon-