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siècles n’ont pas produit un seul changement appréciable dans la manière d'être ou d’agir des bêtes qu’ils ont obserA'ées.

Remontez plus loin encore ; traduisez quelques pages de l’histoire des animaux d’Aristote. D’une part, vous croirez lire un écrivain de notre temps ; et, d’autre part, aous constaterez que les détails fournis par le philosophe grec concordent de tout point avec ce que les anciens monuments de l’Egypte nous apprennent sur les animaux de l'époque la plus reculée. C’est donc un fait certain ; les animaux, pendant le long cours des siècles, n’ont pas réalisé un seul progrès notable.

Et, je vous prie de le remarquer, quand je dis « les animaux », j’entends « les plus intelligents », pour parler comme l’on parle aujourd’hui, et ceux qui, incontestablement, se sont trovivés dans les conditions les plus avantageuses pour le progrès. J’entends le singe, le chien, l'éléphant, le cheval. J’entends les plus belles races de chiens, de singes, d'éléphants, de chevaux, vivant sous le climat le plus heureux, sous le ciel le plus pur, et, au choix, suivant que l’une ou l’autre condition sera plus ou moins favorable au développement intellectuel, en société ou dans l’isolement, au sein de l’abondance, du repos et des plaisirs, ou au milieu des labeurs d’une existence besoigneuse et austère, dans la paix ou dans la guerre.

A quelque époque, en quelque lieu, en quelques circonstances qu’on les prenne, peut-on nous montrer une seule de ces bêtes s’acheminant dans la voie du progrès ? Non.

Une circonstance exceptionnellement favorable à ce progrès des animaux, et qui devait nécessairement le produire, s’il était possible, et dans les moyens de la nature, c'était le commerce avec l’homme. L’homme pensant, raisonnant, progressant devant l’animal, ne pouvait manquer d’entraîner l’animal dans le mouvement de sa pensée et de son action.

De fait, l’homme n’a probablement jamais vécu sans l’animal. Le chien, en tout cas, a été son compagnon dès les temps les plus reculés. Il a donc vu l’homme se créer des outils pour travailler la pierre, le bois, le fer ; passer, par son activité et son industrie, de la pénurie et de la gène à l’abondance et au confortable, puis au luxe ; il a pris place à sa table et à son foyer ; il l’a suivi à la chasse, à la guerre, dans les Aojages, dans les fêtes et les assemblées publiques. Il a été le compagnon, — et combien de fois n’a-t-il tenu qu'à lui d'être l’ami et le conlident, — non pas seulement du berger et du sauvage, mais de l’artiste dans son atelier, du savant dans son cabinet, du général sur le champ de bataille, du roi jusqu’en ses conseils.

L’homme ne s’est pas contenté d'étaler sous ses yeux les merveilles de son art et de ses inventions ; il a Aoulu l’instruire, et a mis tout en œuvre pour y arriver : caresses, friandises, coups, la faim, la soif, des encouragements, des menaces, des discours, des signes de toute sorte. El ces efforts, ces tentatives d’instruction n’ont pas eu pour objet des individus pris au hasard. L’on a choisi, au contraire, les sujets qui paraissaient offrir plus de ressources. El l’on ne s’est pas occupé seulement d’individus isolés et sans rapports les uns avec les autres, l’on a opéré sur les parents et l’on a essayé de tixer dans la race, en cultivant les produits d’une série de générations, les qualités précieuses que l’on s'était appliqué à développer dans les individus, par une édiunilion quelquefois séculaire. Les annales de la vénerie contiennent siu" ce chapitre les faits les plus curieux et les plus authentiques.

Eh bien ! avec tous ces essais, tant d’habileté et de patience, a-t-on fait luire un éclair de raison dans un

seul de ces cerveaux de chien ? A-t-on vu une seule race arriver à produire, en n’importe quel ordre de choses, des actions telles qu’elles ne puissent s’expliquer sans que l’on reconnaisse aux individus de cette race des concepts abstraits, des idées générales, universelles, dont ils se soient inspirés pour réaliser d’eux-mêmes « ex propria inquisitione » un seul progrès ? Si cette race existe, qu’on nous la montre ; si elle n’existe plus, qu’on nous dise où elle a existé. Qu’on nous montre, soit dans le présent, soit dans le passé, à Rome ou à Athènes, à Paris ou à Londres, l'œuvre de science la plus rudimentaire, la plus légère ébauche de civilisation, une ombre de théorie artistique, dont puisse se gloritier l’aristocratie canine la plus choisie.

L’honnne a agi sur l’animal, les divers milieux ont agi sur l’animal. Il a été modifié, il ne s’est pas modifié lui-même ; il a été changé et transformé, il ne s’est pas changé ni transformé lui-même. S’il est devenu quelquefois plus parfait, sous certains rapports, il n’a jamais témoigné qu’il eût ni la conscience ni la volonté du perfectionnement qu’il recevait, pas plus que ne le fait l’arbre dont le jardinier plie les branches ou fait varier les fleurs ou le feuillage. Ce n’est point en lui, mais hors de lui, que se trouve, non pas seulement l’occasion, mais la cause déterminante et la mesure des changements qu’il subit. Il ne marche pas ^ers la perfection « non progreditur », il ne s’y pousse pas lui-même « non se agit », il est poussé « sed agiiur » parce qu’il lui manque le principe général de tout vrai progrès, le concept général, l’idée.

De même, s’il se perfectionne, ce n’est que dans un genre déterminé, à l’exclusion des autres genres. L’araignée tendra mieux sa toile, l’oiseau bâtira mieux son nid, et le castor, sa cabane : jamais vous ne verrez un de ces animaux utiliser un des principes que supposerait le progrès qu’il réalise, si c'était un progrès intelligent, pour avancer dans un autre ordre d’activité, malgré tout l’avantage qu’il pourrait y trouver : preuAC que ce n’est point à la lumière d’un tel principe, universel et transcendant, qu’il a accompli son premier progrès. Le progrès propre à l’animal est un progrès unilinéaire, ce n’est pas le progrès en tout sens, le progrès rayonnant, le vrai.

Ce fait nous est donc absolument acquis : Les animaux les plus parfaits, placés dans les conditions les plus favorables, demeurent étrangers au progrès conscient, réfléchi et calculé, libre, universel.

Nous devons conclure :

Donc, les animaux ne pensent ni ne raisonnent, puisque, en bonne logique, nous ne devons admettre l’existence d’aucune force ou faculté, cpi’autant que nous y sommes obligés par la présence de phénomènes qui la supposent.

Vous le vojez, ce sont les principes et les faits qui nous amènent à cette conclusion.

En étudiant la nature et les propriétés essentielles de la pensée dans l'être qui raisonne, d’une façon abstraite, comme nous ferions la nature et les propriétés du cercle et du triangle, de la fibre musculaire ou de la cellule nerveuse, nous avons vu que le progrès en est tout ensemble la conséquence et la marque assurée, de telle sorte que l'être pensant et raisonnant, s’il est sain et intègre, et placé d’ailleurs dans des conditions propices, se perfectionne et avance dans le savoir, dans la manifestation libre et arbitraire de sa pensée et de ses sentiments, dans l’industrie et tout ce cpii fait la civilisation, par une loi aussi fatale que celle qui fait tomber la pierre dans l’air et couler l’eau sur les pentes.

D’autre part, il nous est constant que les animauxj qui, de l’aveu de tous, comptent parmi les plus Intel