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siirde et ridicule autant qu’inhumain préjugé… n’a pu se maintenir jusqu'à nos jours que grâce à la lâcheté du grand nombre de ceux qui, se craignant mutuellement, n’osent faire Aoir qu’ils peuvent avoir une idée non confectionnée dans le grand moule appelé l’opinion publique. » (Résumé de la ligue, p. 64.) Cette opinion, il faut le dire, tient beaucoup à l’influence des joiu-naux. des romans, du théâtre surtout. Depuis Corneille et le Cid jusqu’au moindre vaudeville de nos jours, il semble qu’on ne puisse se passer de ce procédé pour nouer ou dénouer l’intrigue, et le préjugé s’ancre d’autant dans l’esprit des spectateiu’s.

« Et c’est ce préjugé » dit magistralement

Mgr d’Hvi-ht (Carême de N.-D., 1896, 3e conf.), « que le monde entretient et cultive aA^ec un soin jaloux ! Il en fait une religion qu’il place au-dessus du culte de Dieu ; une loi d’honneur qu’il place au-dessus de la morale. Par la faute du monde, le malheureux qui viole ce code artiliciel, est voué au méiiris, désigné à l’insulte, banni du commei-ce des honnêtes gens. Et quand on a créé cet ensemble de conditions oppressives, on vient dire qu’il y a là un cas de légitime défense et qu’il est permis de racheter son honneur au prix du sang ? Mais qui donc a chargé des hommes frivoles de retoucher le Décalogue ? Qui leur a donné le droit d'élever une convention humaine audessus de la loi éternelle ? Qui leur a permis d’inventer une catégorie nouvelle de meurtres innocents ? Qu’on en fasse autant demain pour le aoI, aprèsdemain pour l’adultère, et aous Acrrez dans peu ce qui restera de la société et de la morale ! » Et Léon XIII :

« S’il fallait mesurer les deA^oirs des hommes aux

fausses opinions de la foule et non d’après la loi éternelle de la justice et de la chai’ité, il n’y aurait aucune <li(rérence naturelle et A-éi-itable entre les actions honnêtes et les faits honteux. » (Lettre citée, p. 89). Aussi est-ce aACc justice que le formulaire de déclaration pour les adhésions à la ligue antiduelliste en France, publié à Paris le 9 mars 1901, s’exprime ainsi : « Ils déclarent regarder comme l’expression d’un A’ulgaire préjugé la qualification de lâche, appli<jviée à quiconque ne se bat pas en duel ; et ils considèrent celui qui, par conAÎction sérieuse, refuse un duel, comme un homme d’honneur, pour lequel ils professent la plus ijrofonde estime. » (Résumé de la ligue, p. 68.)

En résumé, il ne s’agit donc plus, en acceptant le duel, que de sacrifier à un Aain préjugé, de s’attirer les applaudissements de la foule ; et ces avantages, on les achète en risquant sa propre Aie et en laisant tous ses efforts pour tuer ou blesser son prochain ; quelle proportion peut-il y avoir entre un tel mal, de si évidents dangers, et un effet aussi misérable à obtenir ? Le duel reste par suite condamnable, et même, conmie le disent les moralistes, revêt la malice du suicide et de Vhomicide : du suicide puisqu’on expose gravement sa vie sans raison sérieuse de deA’oir ou de charité, d hvmicide puisqu’on s’efforce de tuer ou de blesser, sans y être poussé et sans être justifié par aucune nécessité.

Appendice I. Le duel dans l’armée. — C’est à l’armée surtout, au moins dans beaucoup de pays, que règne le plus tyranniqtiement le préjugé en faveur du duel. Les soldats y sont parfois contraints sous peine de fortes punitions, comme il arrive en France, illégalement d’ailleurs ; les officiers, dans plusieurs des armées d’Europe, s’exposent à perdre leur grade en refusant le duel. « Je ne souffrirai pas davantage dans mon armée un officier qui blesse à la légère l’honneur d’un camarade qu’un oflicier qui ne sait pas défendre son honneur. » (Guillaume II,

Ordre du 1 1 jauvier 1897.) Là où de semblables règlements n’intei’Aiennent pas, par exemple en France, la position de l’oflicier qui refuse un duel deA’ient souA’ent intolérable. Quelques-uns, nous l’avons dit précédemment, se sont a’us moralement obligés de quitter leur régiment ou même de partir pour les colonies. N’y a-t-il pas là des raisons suffisantes de légitimer le duel des officiers ? perdre sa position et son rang, encourir le mépris ou tout au moins la défaA’eur de ses camarades et de ses chefs, entraîner dans sa ruine et dans son déshonneur ceux dont le sort dépend du Apôtre, n’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour qu’on ait le droit d’exposer sa Aie et de mettre en péril celle de son adversaire ? ^A’on, car les raisons alléguéesne perdent rien de leur Aaleur quand les adA’ersaires sont militaires : 1e duel entre officiers ou soldats n’est pas plus apte par sa nature à lavcr une injure ou une calomnie, ni à prouver un A'éritable courage ; au contraire, entrepris souvent avec tant de légèreté et de facilité, pour un oui ou pour un non, pour le bon plaisir de quekpies camarades qui décident de cela, comme d’une partie de sport quelconque, le duel militaire manifeste encore plus éAidemment l’audace, la témérité, souvent une folle légèreté et, chez plus d’un, une brutalité qui abuse de son habileté à tirer l'épée jiour tyranniser des camarades plus jeunes ou plus réservcs. Et alors, que reste-t-il pour légitimer le duel dans l’armée ? Un préjugé plus fort qu’ailleui’s, et dont les conséquences sont beaucoup plus tristes et plus funestes, mais toujours un pur préjugé. Le comte Estèa’e (Le duel des’unt les idées modernes, ch. a') réfute aA’ec A’ivacité et humour les prétextes en faveur du duel militaire, comme si le même acte pouvait être licite ou illicite suiA’ant le lieu où l’on se trouAC et Vhahit qu’on porte, comme si les militaires, même en temps cle paix, n’avaient plus à compter parmi /es êtres moraux, ou s’il y aA’ait iweqe profession où la dignité humaine n’eût pas les mêmes exigences et put se trouver abaissée pour avoir reculé devant une mauA’aise action ou reconnu ses torts.

Le duel dans l’armée, — et c’est le dernier et croiton le plus invincible argument, — est une école de courage et d’intrépidité. Il donne au militaire l’habitude de se serA’ir de ses armes, il lui apprend à compter sur elles pour la sauvegarde de sa Aie et de sa dignité personnelle, il tient sa bravoure en haleine, l’habitue à la hardiesse comme au mépris du danger, lui assure le respect de ses camarades. Supprimez la perspective de rencontres à main armée, et les casernes deviennentde suite des théâtres de boxe et de pugilats perpétuels, etc.,. « Voulez-Aous, répond justement le comte Estèa’e, aouIcz-aous enlcvcr à la guerre son droit, sa dignité? Faites intervenir l’iilée du duel ; laissez-nous entendre que l’honneur et le salut de la patrie ne sont pas sans accointances aACc les misérables intérêts des querelles priA'ées ; dites-nous qu’on peut se faire gloire de tirer furtiA ement l'épée pour un débat frivole, comme on se fait gloire de combattre au grand jour pour le salut de tous, sous l’inspiration de sentiments généreux. » (Oinrage cité, p. 36 1.) Cette fermeté du Ai-ai courage, où la.voie-i-onl avant, on cède au qu’en dira-t-on ; après, on se dérobe souA’ent par la fuite au ressentiment des parents de la Aictime ou aux poursuites judiciaires.

Et qui peut être meilleur juge du Arai courage militaire que « ces peuples jaloux entre tous de l’honneur attache à la profession des armes, qui durent à d’incessantes conquêtes de devcnir les maîtres du monde » ? Or les Romains n’avaient pas le duel. Et s’ils ont aimé à 'oir les combats corps-à-corps, les assauts de hardiesse et de vigueur, ils les réserA-aient