Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/614

Cette page n’a pas encore été corrigée

1211

DUEL

1212

mort ou blessé. Inutile donc d’insister et de rappeler que le droit de vengeance n’appartient pas aux simples particuliers. /’ow/- punir l’offenseur.’Mais punir, aussi bien que venger, appartient à la société et non aux citoyens, k II n’est guère de fléau », dit Lkon XIII,

« qui soit plus contraire à la discipline de la vie sociale

et qui détruise davantage l’ordre public, que cette licence accordée aux citoyens de se faire chacun, de sa propre autorité et de sa propre main, le défenseur du droit et le vengeur de riionneur qu’il juge outragé. » (Ibid., p. 87.)Et puis, encore une fois, étrange manière de punir, que celle qui met un oflenseur, souvent, on pourrait dire le plus souvent, plus fort, plus hardi ou plus l)rutal, sur le pied d’égalité avec celui qui doit le punir. C’est réduire le juge ou l’exécuteur de la justice à lutter à armes égales contre le coupable qu’il lui incombe de punir !

c) Reste donc, comme but dernier, la réparation de l’honneur blessé. Le duel, dit-on, est le moyen, c’est même le seul moyen, qui se présente à l’oflensé, de laver laffront reçu. Est-ce bien le seul moyen ? car s’il en est d’autres ellicaces, on n’a plus aucun droit d’exposer un bien aussi précieux que la vie propre, ni de rechercher la mort ou la mutilation d’autrui. Si c’est une injure grave, une diffamation, une calomnie, n’y a-t-il pas des lois et des tribunaux ? Mais on n’y recourt jamais en pareil cas. N’est-ce pas précisément à cause du préjugé mondain qui veut qu’on choisisse le duel comme luiique moyen de réparation ? A défaut de tribunaux, ne peut-on recourir à l’arbitrage d’hommes d’honneur qui jugeront des torts réciproques, décideront les réparations néces-’saires, et, par leur verdict, répareront l’outrage subi ? Et si ces moyens, tribunaux, arbitres, sont vraiment à la disposition de l’offensé, peut-on considérer comme légitime, licite, un moyen plus rapide peut-être, sujet à moins de formalités et qui vous attirera les api)laudissements de certains cercles mondains, mais qui n’en expose pas moins deux vies humaines au hasard d’un combat de rencontre ?

Oui, mais si le duel est le seul et unique moyen, si les lois de répression manquent ou ne sont pas appliquées, si en définitive celui qui a cherché par cette voie la réparation de son honneur, est sur de sortir du tribunal, vainqueur en droit et vaincu de fait, ayant obtenu une réparation d’argent sovivent dérisoire et souffert dix fois plus dans son honneur, des insinuations, des allusions malveillantes ou moqueuses de l’avocat de son adversaire, qu’il n’avait souffert du fait même de l’offense, ne sera-t-on pas en droit de dire que le duel devient im cas particulier de la défense légitime de sa personne et de ses biens dans une urgente nécessité ? Et nous nous retrouvons en face de la théorie soutenue par certains théologiens pour l’état de pure nature ou pom- une société mal réglée, et réprouvée par Benoit XIV (proj). 4 et 5). a II est permis à l lionime, dans létat de nature, d’accepter et de proposer le duel pour conserver son honneur et ses biens, quand il ne peut par une autre yoie en conjurer la perte. » Cette permission « s’étend au cas d’une société mal gouvernée où, par la négligence ou la malice des magistrats, la justice est ouvertement refusée ». (Cf. supra, col. 1264.) Et Léon XIII nous répète des duellistes, qu’ils s’efforcent, sans y être poussés par aucune nécessité, de tuer ou de blesser, qu’ils exposent témérairement leur vie, sans qu aucun motif de devoir ou d’héroïque charité les v invite. C’est en d’autres termes nier que le moyen employé soit apte à prodiiire l’effet proposé, nier aussi qu’il y ait proportion entre l’effet obtenu et la gravité du mal qui résulte du duel, péril certain et grave pour les deux adversaires.

Réparer l’honneiu’, voici le but. Le duel est-il un

moyen efficace pour atteindre ce but ? Mais si l’injure est dirigée contre la probité, riionnêtcté, la dignité personnelle de l’offensé, que prouve le duel ? « Bien qu’il sorte en effet vainqueur du duel, l’outragé qui y a provoqué, l’opinion de tous les hommes sensés sera que l’issue d’un tel combat prouve sa supériorité de force à la lutte, ou son habileté plus exercée au maniement des armes, mais non pourtant sa plus gi’ande honorabilité. Et si lui-même périt, qui ne trouvera pas encore irréfléchie et tout à fait absurde cette manière de défendre son honneur ? » (Léon XIII, I. c, p. 87.) La réparation cherchée ne se trouve pas dans le duel aveugle, parce qu’un coup d’épée donné ou reçu ne prouve pas que la diffamation était mensongère ou l’injure imméritée.

On dira, il est vrai, que pourtant le monde juge ainsi, que celui qui ne défend pas son honneur les armes à la main, est perdu de réputation, que c’est souvent le moj’en unique de faire respecter ceux qu’on aime et vénère, et de se protéger soi-même et les siens contre des insultes et des calomnies contre lesquelles la justice humaine reste désarmée. Provoquer en duel l’insulteur de mon père, c’est faire éclater, aux yeux de tous les témoins de l’insulte, la conviction que j’ai de son innocence ; me taire, c’est confesser que je le crois coupable, et livrer sans défense sa réputation et son honneur à toutes les attaques.

Dans une lettre du 14 octobre 1907, le prince Alfonso de Bourbon poursuivait avec verve ces raisons plus spécieuses que solides (cf. liésumé de l’histoire. .. des ligues contre le duel, pp. 85-86). Si l’offenseur est vainqueur, il s’en va riant sous cape et peut-être se moquant tout bas de son adversaire trop impressionné pour savoir se défendre. Vaincu, il emporte une estocade qui le rend intéressant, tandis que la pointe de l’épée de l’insulté n’a pu enlever la calomnie ou l’injure dont l’autre l’avait couvert. Protection pour l’avcnir ? Mais « la crainte du duel n’empêchera personne de commettre une vilaine action. C’est au contraire une manière très commode de se permettre toute espèce de grossièretés et même d’infamies, puisqu’il est admis par la stupide convention sociale, que tout est pardonné pourvu qu’on croise les épées ou échange des balles au-dessus du fait en ((uestion… L’agression de l’offenseur est effacée, mais l’offensé n’est pas indemnisé du tort qu’on lui a fait… La calomnie reste empreinte sur sa personne, et qui dira : son duel prouve que ce qu’on lui impute est faux » ? S’agit-il de l’honneur de la femme, c’est bien pire encore. Ou bien on fait un duel de comédie, « il me semble que c’est humiliant de traiter cette affaire devant des témoins et de se donner pour satisfait avec deux gouttes de sang… Si au contraire il s’agit d’un duel à mort, je ne vois pas la raison pour laquelle l’outragé doit dire : c’est le sort qui décidera qui de nous deux doit expier avec sa vie le crime commis, moi qui en suis la victime ou vous qui en êtes l’auteur » ? Vive sensibilité à l’endroit du point d’honneur, dextérité à se servir de ses armes, audace à braver le danger, le plus souvent légèreté, vanité, parfois même brutalité, voilà ce que prouve le duel ; il ne prouve rien en faveur de la probité, de l’honnêteté, de l’honorabilité de celui qui l’engage.

d) En avons-nous fini avec les prétextes ou, si l’on veut, les raisons alléguées par les défenseurs du duel ? Non, et même beaucoup d’entre eux nous concéderont tout ce que nous avons dit. « Le duel ne prouve rien, dira-t-on, il est absolument inefficace à décider du fond même de la question, il ne prouve ni que j’aie raison, ni que l’on m’ait fait une vilenie, ni que mon père, ma femme ou moi, ayons été calom-