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DUEL

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l’institution des jurys d’honneur qui souvent curent pour elTet de multiplier plutôt que d’empêcher les rencontres. Signalons encore, comme inconséquence nouvelle des gouvernements, l’Ordre de Guillaume I" (2 mai 1874), et celui de Guillaume II (i" janv. 1897) au sujet des duels d’ofliciers : « Quand le tribunal d’honneur ne peut arranger les choses, le duel s’impose. Je ne souffrirai pas davantage dans mon armée nn officier qui blesse à la légère l’honneur d’un camarade qu’un officier qui ne sait pas défendre son honneur. »

Le seul pays d’Europe où le duel, après avoir sévi, et même, à certaines époques, particulièrement au commencement du xix’siècle, avcc plus de rage qu’ailleurs, ait été réprimé ellicacement, est l’Angleterre. La loi de 1803, qui punissait de mort tout duelliste, n’empêchait pas les premiers personnages de l’Etat de s’y livrer, sûrs qu’ils étaient de l’impunité. Seul un revirement dans les idées pouvait amener le résultat désiré. Un duel de Wellington en 1829 commença à le déterminer. Le bon sens britannique trouva absurde qu’un premier ministre, sauveur de l’Angleterre, ne pût défendre son honneur sans exposer sa vie dans une aventure illégale et sans courir le risque de devenir criminel. Un soulèvement populaire provoqué par un duel retentissant en 1 843, et surtout par les efforts habiles et persévérants du prince Albert, époux de la reine Victohia, amenèrent dans les idées un revirement, manifesté par le rapide succès d’une ligue contre le duel qui réunit de suite 500 lords ou membres des Communes, 80 généraux ou amiraux. Un duel entre officiers, le 20 mai 1845, est le dernier exemple que l’on trouve à citer, et le duel est maintenant regai’dé outre Manche comme une coutume barbare, depuis longtemps déracinée. Le code militaire lui-même renferme une disposition qui punit le duel dans l’armée de la peine de cassation et poursuit comme meurtrier celui qui aurait tué son adversaire. L’histoire du duel en Angleterre a été exposée d’une manière fort intéressante au Congrès de Budapest par M. Maurice Théry, avocat à Paris. (Compte rendu, p. 172, ss.)

Appendice. Les ligues antiduellistes. — En 1 900, un ollicier autrichien, le marquis Tacoli. ayant, au nom de ses convictions religieuses, refusé de se battre en duel, fut cassé de son grade, comme l’avait été auparavant le comte Ledochoavski. Dans une lettre ouverte, le prince Alfonso de Bourbon et d’Autriche-EsTE, infant d’Espagne, exprima son admiration et son estime à l’oflicier qui avait mieux aimé se laisser mettre au ban et perdre sa carrière f|ue de manquer à son devoir de catholique. Bientôt l’initiative généreuse et l’infatigable ardeur du prince provoquaient en Allemagne, en France, en Autriche, la création de comités préparatoires, puis de ligues nationales antiduellistes. Ce mouvement, entravé en France parles rivalités politiques et les disputes religieuses, bien qu’il eût été conçu avec une extrême largeur et placé en dehors de tout parti politique et de toute confession religieuse, prit en Allemagne, en Autriche, plus tard en Italie, Belgique et Espagne, un prompt et vaste essor. En moins de huit années, l’Allemagne comptait 20 comités antiduellistes, l’Autriche groupait 15 à 20000 membres dans ses diverses ligues ; l’Espagne, où le mouvement n’avait commencé qu’en 1906, comptait, trois ans après, 12.000 membres groupés dans 10 ligues régionales et 82 comités locaux. Les rois d’Esjjagne et d’Italie acceptaient la présidence d’honneur ou le haut patronage de la ligue, et les personnages les plus distingues tenaient à honneur d’en faire partie.

Au congrès international tenu à Budapest, du 4 au

6 juin 1908, les nombreux délégués venus de presque tous les pays d’Europe ont pu se féliciter des résultats obtenus. En plusieurs pays, notamment en Espagne et en Galicie, le duel a presque entièrement disparu, de nombreux jurys d’honneur créés non pour réglementer et souvent en pratique multiplier les duels mais pour les empêcher en faisant rendre satisfaction à l’olTensé, ont réussi à régler à l’amiable nombre de différends ; plusieurs chefs militaires ont fait des elTorts pour diminuer, sinon encore interdire, le duel dans l’armée ; enfin en Espagne, où peut-être l’influence des ligues s’est fait le plus heureusement sentir, un projet de loi contre le duel a été déposé en juin 1908 au Sénat espagnol, et dans ce pays, chose inouïe jusqu’alors et qui est plus signilicative encore des progrès de l’opinion, celui qui dit carrément :

« Je ne me bats jamais », est applaudi et ajiprouvé de

tous.

Parmi les résolutions votées au congrès, notons les principales : obtenir une juste et efficace sauvegarde de l’honneur, ce qui doit être la tâche principale des ligues contre le duel, parce que c’est le moyen le plus efficace pour rendre le duel superflu et le faire disparaître ; — créer ou entretenir le courant d’opinion contre le duel par tous les moyens possibles : instruction de l’enfance et de la jeunesse dans ce sens, en famille et dans les écoles, concours, manuels à rédiger ; — user de l’influence de la presse pour répandre ce courant d’idées ; — ol)tenir d’elle aussi le silence sur le duel pour supprimer par là

« l’espèce de réclame donnée par la publicité aux soidisant

affaires d’honneur » ; diriger dans chaque pays, simultanément, et par des efforts consciencieux, inlassables, une campagne pour l’étude, la rédaction et la proposition aux divers gouvernements de projets de loi contre le duel et contre les insultes d’honneur,

« stipulant des mesures sévères et efficaces pour les

insviltes d’honneur » et punissant les délits de duel

« par de fortes amendes, par détention, perte de

liberté, etc. », peines qui seront appliquées sévèrement à quiconque aurait eu la moindre ingérence dans une affaii’e de duel. — Enlin le dernier vœu est que « les chefs suprêmes des armées fassent valoir leur autorité pour empêcher le duel entre militaires ». (Cf. les deux très intéressantes brochures : Résumé de l histoire de la création et du développement des ligues contre le duel et pour la protection de l honneur, par S. A. R. don Alfonso de Bourbon et d’Autriche-Este, A’ienne, 1908. — Compte rendu du /’^" Congres international contre le duel, Budapest, 1908. Au siège de la Ligue contre le duel et pour la protection de l’honneur, 54, rue de Seine, Paris.)

IIL Jugement sur le dueL — Premier argument.

— Le premier argument contre le duel est l’argument d’autorité. L’Eglise l’a constamment et rigoureusement interdit. Après les papes Jules II, Léon X, Clément VII, le concile de Trente réprouve cet « usage détestable, introduit par la malice du démon » et lance l’excommunication contre quiconque prend part à un duel ou le favorise ou l’autorise sur ses terres, fût-il prince, roi ou empereur. Dans les âges qui suivent, les souverains Pontifes, fidèles à la même ligne de conduite, déjouent les prétextes imaginés pour tourner les prohibitions de l’Eglise, ou réfutent les raisons plus spécieuses proposées pour justiiier le duel dans certaines circonstances ou entre certaines personnes. Ainsi Grégoire XIII (Constitution « Ad tollendum » 5 déc. 1682) ; Clément VIII(Const. « Illius vices » 17 août 1592), par laquelle il déclare tomber sous les censures le duel au premier sang ou limité à un nombre déterminé de coups) ; Benoit XIV (Const.

« Detestabilem » 10 nov. 1752 ; voir plus haut col. 1204.