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DUEL

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barras, d’autre moyen que le duel. Y voyait-on une pure application du droit de guerre, au cas où sont restés incflicaces les autres moyens de trancher le différend ? Dans quelle mesure s’y joignit l’idée d’une intervention divine, et, si l’on veut, d’une sorte de sommation faite à Dieu d’indiquer la vérité par un miracle à défaut des preuves ordinaires ? C’est ainsi qu’on regardait alors les ordalies par le fer, l’eaii, etc., qui n’étaient considéi’ées comme légitimes que lorsque l’autorité jiuliciaire, et non le caprice des parties y avait fait recourir : cette manière de concevoir les épreuves du jugement de Dieu s’étendit sans doute au duel judiciaire. Jusque là nous ne voyons aucune preuve de l’intervention de l’Eglise dans l’introduction du duel judiciaire. Bien plus, il est l)anni des lois qui se ressentent davantage de son influence, chez les Goths, chez les Anglo-Saxons. Mais comment a-t-elle laissé faire de telles lois chez les peuples germaniques ? Remarquons d’abord que l’Eglise n’a pas pour mission de flétrir toutes les erreurs, tous les abus qui se glissent dans les lois ou la conduite des pouvoirs laïcpies. Puis c’est se faire une étrange illusion, bien démentie par l’étude des faits, que d’attribuer à l’Eglise l’omnipotence sur ces nations à peine converties. Peut-on ignorer quelles diflicultés et quelles entraves elle rencontra, quelle énergie persévérante elle dut déployer, pour y faire pénétrer les idées et la civilisation chrétiennes ? D’ailleurs il s’agissait là d’une question fort délicate. Quand une affaire ne pouvait se trancher par voie juridique, ne valait-il pas mieux recourir à ce procédé, qui rappelle la guerre, que de laisser sans auc ; in frein l’astuce et la violence ? Et cet appel à la justice de Dieu pour trancher le dilTérend, quand la justice humaine reste à court, pouvait-il paraître extraordinaire à des hommes d’une foi A’ive bien qu’insuHisamment éclairée ?

Objectera-t-on que les gens d’Eglise ont eux-mêmes recouru à cet expédient dans leurs contestations et revendications de biens ? Mais il faut remarciuer qu’ils agissaient là comme propriétaires, ou mieux comme usufruitiers et administrateurs des biens qui constituaient le patrimoine de leurs églises, et de la conservation desquels ils se regardaient comme responsables en conscience. Pour défendre leurs droits ils recouraient aux moyens que leur donnait une loi qui, d’après les idées du temps, ne leur paraissait pas évidenunent mauvaise et répréhensible. Ils avaient tort de l’apprécier ainsi : c’était un reste de superstition et de barbarie ; du moins faut-il convenir qu’en y recourant ils agissaient en simples citoyens cpù usent du bénéfice de la loi, et nullement en qualité de docteurs et de pasteurs de leurs peuples. L’eussent-ils fait qu’on n’en saurait tirer un argument contre l’Eglise elle-même : la grossièreté des idées ou des mœurs, les erreurs de doctrine de quelques-uns de ses membres, fussent-ils parmi ses ministres et ses prélats, ne peuvent nullement compromettre le corps de l’Eglise ni jeter le discrédit sur sa doctrine en matière de foi et de mœurs. Pour faire du duel judiciaire une objection sérieuse contre l’Eglise, il faudrait montrer que ceux qui ont mission d’enseigner avec autorité sa doctrine et de la défendre de toute corruption, ont approuvé cette institution par des déclarations formelles ou par une conduite qui équivaille à de telles déclarations.

Or qu’allègue-t-on en ce sens ? Quelques conciles particuliers tenus en Allemagne au viii siècle, par exemple ceux de Dingolflngen, Xeuching, Riesbach (cf. Hefele, Conciliengeschichte, t. lll, p. 611. 614, ^Sa), ou, au xi" siècle, en Allemagne, Espagne et Italie, ceux de Seligenstadt, Burgos, Tolède, etc. (Mansi, Concilia, t. XIX, p. 397 ; t. XX, p. 514). Du concile de

Reims, en 1 1 19, présidé par CalîxtkII (i i 19-1 124), on cite un décret sur la trêve de Dieu, qui aurait sanctionné la coutume du duel. On invoque l’autorité d’HiNCMAR DE Reims auix° siècle, d’YvEsoE Chartres, de S. Bernard au xii’siècle, qui, dit-on, l’approuvent ou du moins le tolèrent. On Aa plus loin encore, et l’on pense que le silence des papes, depuis l’introduction du duel judiciaire, Aers l’an 500, jusqu’au règne de Nicolas 1" (858-867), doit être considéré comme une approbation tacite du duel, que plus tard leurs interdictions ne concernèrent cjue les causes ecclésiastiques et les clercs, Ais-à-Ais desquels mêmes ils montrèrent parfois une assez prompte indulgence ; ils ne le défendirent jamais aux laïques, parfois même ils paraissent le leur avoir permis positivcment. Et l’on conclut que les papes otïX. probablement approin’é le duel (Patetta, Le Ordalie, Turin, 1890, p. 411 — ouA’rage d’une grande érudition mais dont plusieurs conclusions appellent de sérieuses réserA-es), ou du moins l’ont positivement toléré (Vacaxdard, Etudes de critique et d’histoire religieuse, Paris, 1906, p. 213, note i).

Une pareille conclusion est loin de s’imposer, et l’on peut démontrer clairement que l’Eglise n’a jamais approiné le duel par l’organe de ceux qui ont la mission d’enseigner sa doctrine aACC autorité. Les conciles allégués ne sont que des synodes locaux, ordinairement sans importance, parfois, comme celui de Xeuching, plutôt assemblées de seigneurs que synodes d’évêques. Le décret du concile de Reims est d’une authenticité fort douteuse. Rapporté dans un seul manuscrit, en dehors de la série des canons et sans liaison aACC eux, il n’est nullement mentionne par Hessox, témoin oculaire et historien très fidèle du concile (cf. Hessonis sclwlastici relatio de Concilio Remensi, Mansi, Conc, t. XXI, p. 287 ; Aoir de Smedt, Etudes Religieuses, t. LXIV, p. 66). Hincmar, il est A rai, prétend justifier le duel en iuvoquant le caractère surnaturel des jugements de Dieu ; enrcvanche Yæs de Chartres, qui parfois lui semble faA^orable {Epist. lxxia-, clxxxiii, ccxla’xi, cclxxx, P. L., CLXn, p. 95, 184, 254, 281), le traite ailleurs de tentation de Dieu, déclare qu’il n’est point une preine infaillible ; il ne l’admet que sur l’ordre de l’autorité légitime etparaît le regarder comme une sorte de pis-aller, que la nécessité ferait tolérer et accorder ad duritiam cordis à un adversaire trop exigeant (Ep. cca’, ccxlix, cclii, P. L., l, c, p. 210, 255, 258). Quant à S. Bernard, on ne Aoit pas bien comment son témoignage peut être allégué en favcur du duel. Dans une lettre au comte Thibaud de Champagne, il intercède pour un mallieureux qui, vaincu dans un duel judiciaire, avait eu les yeux crcA es, et se A-oyait menacé d’être dépouillé de tous ses biens. Si S. Bernard, dit-on, avait réprouA’é le duel, il n’aurait pas manqué d’élcver contre lui une Aigoureuse protestation : l’occasion était trop belle pour la laisser passer. Vraiment la preuAC n’est pas péremptoire : dans une lettre où, entre autres faveurs, il sollicite l’indulgence du comte pour un malheureux, il n’était point obligé de faire un réquisitoire contre le duel (S. Bernardus, Ep.. xxxix, n. 3, P. /.., CLXXXII, p. 147). A ces témoignages souvcnt peu clairs, peu explicites, on peut opposer l’énergique réprol)ation d’un S. Agobard, arche-A’èque de Lyon (~ 840), qui Aoit dans le duel une tentation de Dieu, dont les jugements sont impénétrables, un acte contraire à la doctrine du Christ, et, pour tout dire en un mot, un meurtre et non un moyen légal : « Vere lioc non est le.r, sed ne.r. » (Agobardus, Liber adv. legem Gundobadi, P. /.., Cl"V, p. 121.) C’est déjà le jugement qu’en portait S. Avit, évêque de Vienne, en présence de Gondebaud lui-même.