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DROIT DIVIN DES ROIS

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exigé par la nature humaine, comme l'état social luimême ; donc il dérive de l’Auteiu" de la nature humaine, de Dieu. Que l'état social soit exigé par la nature humaine, nous n’avons pas à en faire ici la preuve ; on connaît les arguments tirés des indigences comme des ressources de cette nature, et du langage humain (cf. l’article Société) : Bellarniin les résume avec une grande clarté. Que l'état social, pour subsister, exige le pouvoir civil, le cardinal le prouve en ces termes : « Il est impossible qu’une multitude d’hommes reste longtemps unie s’il n’y a une autorité qui la contienne, et qui prenne soin du bien commun, de même qu’en chacun de nous, si l'ànie n'était présente pour réunir et contenir dans l’unité toutes les parties du corps, les puissances et les éléments contraires dont il se compose, il aurait vite fait de se dissoudre. Une société est une multitude organisée ; une multitude confuse et dispersée ne saurait prétendre à ce nom ; or l’ordre ne dit pas autre chose qu’une hiérarchie d’inférieurs et de supérieurs. Si l’on veut donc que les sociétés existent, il faut leur reconnaître des chefs.)) (De laicis, 5, p. lo.)

On le voit, c’est uniquement sur les exigences de la nature humaine que se fondent les grands docteurs catholiques pour affirmer l’origine divine du pouvoir ; ils ne tirent pas leur argument de la cérémonie du sacre ; leur raisonnement s’applique aussi bien au prince avant son sacre qu’après ; il s’applique aussi bien à un président de république qu'à un roi sacré par l’onction. Sans doute, les théologiens byzantins ont vu fréquemment dans les cérémonies du Sacre une sorte de Sacrement, qui conférait au prince un caractère sacré, et le mettait au-dessus des simples laïcs, de telle sorte qu’un attentat contre sa personne aui-ait été un sacrilège (cf. GAsqvv.T, L’Empire byzantin et ht monarchie franqiie, p. 23 sq. Paris, 1888 ; G. Kurtu, Les origines de la ciyiUsation moderne, t. I ; p. 233, Paris 1898). On retrouverait ces doctrines dans les écrits des évêques de cour qui favorisèrent les pires entreprises des empereurs allemands, dans ceux des légistes gallicans, et nous verrons le roi Jacques I^"" d’Angleterre les affirmer solennellement au seizième siècle. Mais elles ne furent jamais la doctrine commune de l’Eglise ; les rituels de la consécration des Souverains sont intéressants à consulter à ce point de vue. Au treizième siècle, l’archevêque de Reims, posant la coiu-onne sur la tête du roi, récitait cette oraison : « Recevez la couronne que nos mains, quoique indignes, vous imposent…, et sachez que par elle vous devenez participant de notre ministère ; de même que nous sommes à l’intérieur les pasteiu-s des âmes, de même vous devez être au dehors vrai serviteur de Dieu, vaillant défenseur de l’Eglise contre toutes les puissances adverses, administrateur diligent du royaume que Dieu vous donne et vous commet par la bénédiction que nous vous accordons au nom des Apôtres et de tous les Saints… ainsi vous mériterez de régner sans lin avec Jésus-Christ, dont nous croyons que vous portez le nom et tenez la place sur la terre, Dieu vivant et régnant. >. (Cf. Th. et D. Godefroy, Le Cérémonial françois, t. I, p. 21, Paris, 1649 ; ^^- Prou, article Couronnement dans la Grande Encyclopédie t. XIII, p. 128.)

Le Sacre, avec ses cérémonies et ses prières approuvées pai- l’Eglise, avec ses onctions d’huile sainte, obtenait sans doute au prince, en retour de l’acte de foi et de piété par lequel il consacrait à Dieu les pi'émices de son règne, de nombreuses grâces pour bien s’acquitter de ses devoirs ; il ne lui conférait aucun pouvoir spécial sur ses sujets. L’effet moral de la cérémonie était cependant immense ; et pour le peuple, le prince chrétien n’avait tout son prestige de repré sentant de Dieu qu’après le Sacre ; voilà pourquoi Jeanne d’Arc voulut malgré tous les obstacles, conduire Charles VII à Reims. (Cf. Imbart de la Tour, Les Origines de la lié forme, t. I, p. 13, Paris, 1906. FÉRET, Le pom-oir civil, p. 460 sq.)

2° Si l’on entend que le pouvoir est directement conféré par Dieu à tel ou tel prince, à tel ou tel chef d’Etat, lorsqvie le moment est venu pour lui d’entrer en fonctions, on se trouvera en compagnie de théologiens de mai’que, et cette opinion peut se défendre par des raisons fort probables. Mais l’opinion contraire a pour elle plus de grands noms, et les raisons t(ui l’appuient sont faites pour agréer à des hommes de noti-e époque. Esquissons brièvement ces deux systèmes, qui tous deux partent de la vérité établie plus haut ; Dieu même est l’auteur du pouvoir civil, et c’est en son nom que tout gouvernement légitime commande,

a) D’après les tenants de la première opinion, le pouvoir, c’est-à-dire le droit de commander à d’autres hommes, est conféré par Dieu directement et immédiatement à ^indi^idu que diverses circonstances d’ordre humain ont placé à la tête de ses concitoyens (hérédité, élection ou conquête légitimes). Ils assimilent cette collation du pouvoir civil à celle que fait Dieu du pouvoir ecclésiastique au Souverain Pontife que les Cardinaux viennent d'élire. Cette doctrine fut celle de presque tous les théologiens gallicans sous l’ancien régime ; et de nos jours, par réaction contre les théories révolutionnaires, elle est enseignée dans nombre d’Universités catholiques (cf. Cathreix, Moralphilosophie ; t.II.p. ! i’j sq.). Elle semble, sinon expressément enseignée, du moins favorisée, par ces paroles de Léon XIII, dans son Encyclique De ciyili principatu, 29 juin 1881 : « Delectu muUitudinis designatiir princeps. non conferuntur jura principatus ; neque mandatur imperium, sed statuifur a quo sit gerendum. » (Acta Leonis PP. XIII, t, I, p, 132,) HerGEXRŒTHER, KathoUscke Kirclie, II, 14, i » 3., donne la liste des principaux défenseurs de ces idées,

h) D’après les tenants de la seconde opinion, Dieu ne confère pas directement le pouvoir du prince au chef d’Etat qui doit entrer en fonctions ; il le lui confère par le moyen du peuple, lequel tient de Dieu seul le droit de faire cette collation. On connaît l’argument célèbre par lequel Bellarniin établit cette doctrine : « Le pouvoir civil est de droit divin. Or le droit divin ne donne à aucin homme en j)articulier ce pouvoir. Donc il le donne à la multitude… Si l’on fait abstraction du droit i^ositif, il n’y a pas de raison pour qu’entre des hommes égaux l’un plus que les autres exerce le commandement ; donc le pouvoir est dans la multitude tout entière. » Le cardinal reconnaît, du reste, que la multitude, incapable d’exercer par elle-même ce pouvoir, « est tenue de le transférer à un homme ou à plusieurs », suivant les cas ; et lorsque le pouvoir a été ainsi transmis par elle, elle ne peut plus le reijrendre par la rébellion, à moins de cas exceptionnels siu" lesquels nous reviendrons plus bas (De laicis, 6, op., t. III, j). 1 1). Cette doctrine est peut-être celle de S. Thomas d’Aquin, à coup sûr celle de presque tous ses disciples du moyen âge. Au xvie siècle, Bellarmin et SuAREZ, entre autres, l’ont formulée avec clarté et habilement défendue contre les régaliens.

La différence entre ces deux systèmes est plus théoi’ique que pratique ; le premier peut être dit, dans un sens plus strict, favorable au droit diviii des rois. (Cf. Quilliet, De civilis potestatis origine, p. 185 sq. Lille, iSgS.)

3° Enlin. d’assez nombreux partisans de la thèse du droit divin des rois l’ont exagérée au point de la rendre indéfendable. Selon eux, le sujet même au-