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DOGME

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pliie, l’Eglise indique, au plus, qu’elle touche tel plan philosophique en tel point. C’est une lumière pour tous. Le nombre de ces contacts peut être si grand, qu’on soit amené à reconnaître une coïncidence remarquable de son dogme et de tel sjstème, si bien que logiquement on puisse conclure : jjour rester dans le plan du dogme, restons dans le plan de cette philosophie ; mais, à aucun instant, l’Eglise n’a entendu confondre ces deux étages de connaissance, et leur accord présumé n’autorise personne à le faire.

Autre comparaison. Deux hommes jiarlent des langues différentes, et affirment sur plusieurs points importants les mêmes choses. On j^ourra traduire les paroles de l’un dans la langue de l’autre ; on ne concliu-a pas que les paroles de celui-ci deviennent les paroles de celui-là ; de plus, on donnera au moins réputé des deux une confiance qu’on lui eût refusée, si cet accord de pensée ne plaidait en sa faveur ; on pourra même, avec réserve, éclairer la pensée de l’autre par la sienne ; mais à aucun instant un juge prudent n’oubliera la distinction des deux soiu-ces.

Ainsi du dogme et de la philosophie, l’une parole de Dieu, l’autre parole de la raison.

Théoriquement, il ne paraît pas impossible que l’Eglise exprime ses dogmes dans n’importe quel système, tout comme elle parle grec, latin, arabe, suivant les lieux. Cela reviendrait à dire : si vous voulez penser dans tel plan ou parler telle langue philosophique, voilà comment il faut chiflrer les vérités que j’enseigne.

Pratiquement, il est impossible qu’elle traduise du moins tous ses dogmes dans chaque système, puisque certains d’entre eux reposent sur des conceptions irrecevables pom- elle. C’est le cas des philosophies idéalistes. Elle ne se prêtera même pas à employer le langage de toutes les philosophies réalistes, soit pour ne pas lier son sort à leurs fluctuations, soit pour ne pas leur témoigner une faveur, que quelques erreurs gravcs l’obligent à leur refuser.

Si l’on observe que l’emploi de la terminologie aristotélicienne et scolastique révèle donc, à tout le moins, une sympathie spéciale pour ces systèmes, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Il existe en effet un accord manifeste entre certaines doctrines foncières de ces philosophies et les principes que son dogme parait impliquer : objectivité de la connaissance, valeur des principes d’identité, de contradiction, de causalité, acceptation des évidences du sens commun, comme point de départ obligé de toute spéculation. De plus, les philosophies scolastiques. s’étant donné pour tâche de défendre le dogme, s’harmonisent forcément plus que toutes autres avec lui. Il en résulte qu’en tous les points communs au dogme et à ces philosophies, celles-ci participent à la vérité et à l’immutabilité de celui-là, qu’un chrétien ne peut sans illogisme rejeter ces thèses, et se doit d’accepter leurs autres doctrines, dans la mesiu-e où elles sont vraiment liées aux précédentes. C’est tout. On ne voit pas que de ce chef la scolastique soit entrée proprement dans le dogme ou que le dogme ait canonisé toute la scolastique. La preuve en est que l’Eglise tolère plusieurs philosophies scolastiques, séparées entre elles par les variations très appréciables du thomisme, du scotisme. du suarézianisme. encourageant à les perfectionner sans cesse, et laissant à chacune, dès qu’elle respecte la foi, la responsabilité de ses spéculations.

Si le magistère ecclésiastique marque une bienveillance plus constante à tel système en particulier — comme elle le fait pour celui de S. Thomas — il y a là une indication précieuse. Il est difhcile de ne pas reconnaître dans cette conduite une marque

assez sûre de cette prudence par laquelle l’Esprit-Saint doit procurer ici-bas le maintien de la vérité.

Inutile toutefois de faire remarquer que plus les thèses d’un système sont éloignées de ses assertions fondamentales, plus s’atténue la faveur qui lesrecommande. Libre àchacun de recevoir jusqu’aux ramifications extrêmes de la théorie, s’il les croit Aalables, mais ce serait pour le théologien un illogisme et une imprudence de faire de sa foi et de ses thèses un bloc homogène. Il lui serait impardonnable surtout de refuser à autrui une liberté cjue l’Eglise reconnaît. Disons plus, puisque la probabilité d’une théorie n’exclut pas la probabilité d’une autre, on peut concevoir une mentalité plus philosophique et plus apostolique. Plus philosophique celle qui s’applique à mesurer les probabilités de chaque hypothèse, et préfère à la joie facilement décevante d’avoir pour l’universalité des problèmes un système clos, la joie plus sage de n’exclure et de ne majorer aucune vraisemblance, et l’espoir, par conséquent, de n’adhérer vraisemblablement à rien de faux : Magis eligo cautam ignorantiam confiteri, quam falsani scientiam profiteri. S. Acgustix, Epist. cxcvii, n. 5, P. L., t. XXXIU, col. 901 ; Epist. cxcix, n. 54, col. 926. Utilius enini [Ecclesia] studet nescire qiiæ perscrutari non i’alet. (/iiam audacter definire quod nescit. S. Grk-GoiRE LE Graxd, Mordl., 1. XIV, c. xxviii, P. L, , t. LXXV, col. io56. Plus apostolique celle qui, après réfutation de l’erreur, solution négative, propose loyalement, avec leiu- coefficient respectif de valeur, les diverses solutions positives qui ont chance d’approcher de la vérité, ouvrant ainsi toutes les portes libres, au lieu de n’en laisser qu’une, pour arriver à la foi.

Les systèmes philosophiques, toutes proportions gardées, ont le même rôle en théologie que les hypothèses dans les sciences positives ; Baixvel, De magisterio yii’O, p. 153, n. i’j6. La même prudence s’impose donc et la même haine de l’exclusivisme systématique, le plus sûr ennemi de la vérité et du progrès.

IX. Dogmes et formules dogmatiques. — jVotions. — On pourrait distinguer, semble-t-il : k) un fondement éloigné du dogme : ce serait la réalité concrète sur laquelle porte l’affirmation, v. g. la réalité humano-divine de Jésus ; /î) un fondement prochain : ce serait cette même réalité sous l’aspect précis où le dogme nous la présente, v. g. le Fils de Dieu en tant que vivifiant à nouveau son corps, par une opération dont le secret nous échappe ; -/) le dogme lui-même : ce serait ce même aspect en tant qu’objet de connaissance, A g. la résurrection sensible de Jésus-Christ ; ô) enfin la formule dogmatique, c’est-à-dire la proposition grammaticale qui le traduit : le Clirist est ressuscité.

Ces distinctions ont l’avantage de rajipeler que les propositions dogmatiques, loin d’exprimer adéquatement la réalité ijrofonde, n’en traduisent, comme tous les mots du langage humain, col. ii^a, qu’une face et qu’un aspect.

De là l’intérêt de rechercher de plus près leur valeur

  • de signification.

Auparavant observons diverses catégories.

Certaines formules sont littérales : elles expriment des faits en quelque manière à notre i)ortée et sont à prendre au pied de la lettre — v. g. le Christ est mort ; il est ressuscité. D’autres sont métaphoriques : elles traduisent la réalité par une image — v. g. le Christ est assis à la droite de son Père ; cela signifie seulement qu’il règne avec lui dans la gloire. D’autres enfin sont analogiques : elles attribuent à Dieu une propriété de la créature, qui n’est proprement vérifiée