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d’en bas ; nous les prenons et les regardons telles qu’elles se troin’ent actuellement en nous, et nous demandons si elles ont pour objet, oui ou non, l’immatériel. La réponse n’est plus à faire.

Le second fait qu’on nous oppose ne nous met pas plus en peine. L’intelligence, dites-vous, ne peut penser, si l’imagination ne lui présente ses tableaux. Soit. L’imagination fournit donc, selon vous, la matière première de nos idées. Qu’en voulez-vous conclure ? Que l’objet de nos idées est matériel ? Mais, vous dirai-je, regardez donc à quoi vous pensez tous les jours, et si vous ne pensez pas tous les objets absolument immatériels que je vous nommais il y a un instant. Un raisonnement ne peut rien contre une observation directe. Que diriez-vous si j’argumentais de la sorte : quand je pars de Paris pour aller en Corse, je voyage en chemin de fer ; le commencement de mon Aoyage se faisant par terre, donc tout le vo jage se fait par terre ; donc la Corse n’est pas une île. Vous m’enverriez voir la Corse, et vous auriez raison. Je suis heureux que vous n’ayez pas à aller chercher si loin votre pensée et son objet.

Mais peut-être vouliez-vous simplement conclure, du fait que l’intelligence reçoit d’une faculté organique la matière première de ses idées, qu’elle ne peut subsister que par le corps. La logique vous empêcherait encore de conclure ainsi. Le fait que vous alléguez prouve bien que l’intelligence humaine est faite pour être unie à un corps, mais il ne nous révèle rien sui" les relations ou siu- la situation respective du corps et de l'àme imr rapport à la subsistance. Un être peut fort bien recevoir d’un autre l’objet sur lequel s’exerce son activité, sans en dépendre le moins du monde pour subsister. « Autrement, dit, à propos de cette objection, saint Thomas, l’animal lui-même ne serait pas un être subsistant, puisqu’il lui faut les objets extérieurs du monde matériel pour sentir » :

« Alioquin animal non esset aliquid suhsistens, cum

indigeat e.rterioribus sensibilibus ad sentiendum. » (la p., q. 75, a. 2, ad 3.)

Nous pensons des choses absolument immatérielles de leur nature, et la conséquence qui suit de là, inévitablement « inevitabiliter », comme parle Albert le Grand (De Nat. et Orig. anima., tract, i, c. 8), c’est que nous avons une àme spirituelle. Mais, remarquez ([ue nous ne sommes nullement obligés, pour établir notre thèse, de recourir à ces idées que nous nous formons des êtres immatériels ; nous pouvons la prouver dune façon tout aussi démonstrative, en raisonnant sur la manière dont notre esprit conçoit les êtres sensibles eux-mêmes.

Une thèse capitale en idéologie, c’est que nous n’avons l’intuition, ou perception directe et propre, d’aucvme nature ou essence.

L’expérience personnelle nous le fait assez connaître. Nous nous formons l’idée des êtres qui nous entourent, en raisonnant sur les propriétés dont ils se montrent revêtus. La connaissance que nous avons de leur nature n’est donc pas intuitive, mais déduite. De plus, cette idée déduite a encore le défaut de n'être point, autant qu’il faudrait, propre ni spéciale à l'être auquel elle se rapporte. Examinez, en effet, les idées que vous vous faites des différents êtres, et vous verrez que vous les avez toutes constituées à l’aide des notions transcendantales et communes de l’ontologie : notions générales d'être, de substance, de qualité, de cause, d’action, d’unité et de pluralité, de simplicité et de composition, de durée, d’espace, etc. D’après cela, nos idées des choses matérielles sont donc comme autant de faisceaux, de concepts additionnés, réunis et groupés en autant de diverses manières que nous connaissons d'êtres matériels dilFéreuts. Car ces idées ne diffèrent entre elles que par

le nombre et le groupement des éléments communs qui entrent dans leur composition, de même que des maisons bâties avec des matériaux de même espèce ne diffèrent entre elles que par leva- plan et la quantité des matériaux employés à les construire.

Or, voici la merveille : Parmi les concepts dont sont formées nos idées des êtres matériels, il en est dont l’objet ne présente absolument rien de la matière et en fait totalement abstraction.

Prenez l’idée de n’importe quel corps et soumettez-la à une analyse métaphysique. A^ous verrez cette idée se résoudre en éléments dont plusieurs, pris à part, ne disent ni ne représentent absolument rien de matériel.

Comme l’expérience est facile autant que décisive, je vais la faire moi-même devant vous, et même avec vous, si vous voulez.

J’ai l’idée, et vous l’avez comme moi, du chêne, être matériel, à coup stir. Ce chêne que vous pensez n’est point celui que, tel jour, vous Aîtes de vos jeux, et que votre imagination voit encore à cette heure peut-être, en tel taillis, sur telle haie, au milieu de telle prairie ; c’est le chêne en général, ce chêne abstrait, que vous pensez, par exemple, quand on vous parle botanique. Eh bien ! prenons cette idée et décomposons-la.

L’analyse ne vous amène-t-elle pas à ce résultat que : Le chêne, tel que vous et moi le concevons, est un être réel, substantiel, vivant…

Voilà déjà quatre concepts ; et vous remarquez combien ils sont généraux. De combien d’autres corps ne pourrais-je pas dire ce que je viens de dire du chêne ? Mais ces concepts, pris à part, se réfèrent-ils à un objet matériel ? Que dit le concept d'être et quelle en est la définition universellement acceptée ? Par être l’on entend simplement « ce qui existe ou peut exister)). Vous le vojez, de la matière il n’y en a pas trace dans ce ijremier concept.

Mais le concept d'être réel ? — Il ne nous ramène pas davantage à la matière. Etre réel, en effet, ne signifie rien de plus qu’une chose qui existe ou peut exister hors de l esprit : c’est l’opposé de ces choses qui n’existent que parce que l’esprit les pense, qui ne sont que des fictions ; c’est l’opposé du fameux

« être de raison ».

C’est donc « être substantiel » qui va nous mettre en face des trois dimensions ? — Pas davantage. ic Etre substantiel », nous l’avons vu, désigne uniquement <( ce qui subsiste par soi, ou ce qui n’a pas besoin, pour exister, d'être dans un autre comme dans un sujet ». Nous ne voyons point encore apparaître la matière.

Mais elle apparaîtra, sans doute, avec le quatrième terme ? — Nenni. Remarquez que ce quatrième est

« vivant », mais vivant, tout court. Or, tenant avec

saint Thomas, à tort ou à raison, que le propre de la vie est « l’immanence de l’action », vivant, selon cette opinion, qui est celle de beaucoup de monde et a pour elle de bonnes preuves, dit tout uniment un être qui a des actions immanentes.

Si j’ajoute que le chêne est un végétal, ou vivant de vie végétative, ce mot, je l’avoue, va susciter en nous un concept matériel, d’une certaine façon, dans son objet, mais ces quatre idées d'être, de réel, de substantiel, de vivant, n’impliquent pas un atome, ni une ombre de matière. Ajoutons même que l’esprit ne voit pas la moindre contradiction à ce que ces idées se réalisent en des êtres qui n’auraient rien de corporel. « Quæ etiam esse possint absque omni materia. » (Sum. theol., p. i, q. 85, a. i, ad 2.)

Et notez bien qu’il n’est nullement particulier à cette idée du chêne de renfermer en elle des concepts immatériels ; la même chose s’observe dans toutes