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tuelle, il faut que l’existence ne lui vienne ni du corps, ni du composé qu’elle forme avec le corps, mais d’ellemême, mais d’elle seule — parlant, bien entendu, du principe prochain de l’existence, qui n’exclut nullement la cause première. — Vous voyez qvi’il y a une belle dilïérence entre la simplicité et la spiritualité.

Descartes et les Cartésiens n’ont pourtant jamais voulu la reconnaître, et, en conséquence, ont toujours négligé de prouver à part la spiritualité de l'àme humaine. Il leur semblait que savoir de l'àme qu’elle est simple, immatérielle, c’est en connaître tout ce qu’il faut, et que sa dignité au-dessus des corps est établie aussi complètement qu’elle peut l'être, par ce seul fait qu’elle n’est pas une substance à trois dimensions.

Les vieux scolastiques avaient vu plus loin. L'àme est simple, se dirent-ils : elle est unie au corps, puisqu’elle pense dans le corps et l’associe même, dans une certaine mesure, au travail de sa pensée : elle subsiste dans le corps. Mais, au fait, qui la fait subsister ? Nous concevons des forces qui, tout en étant simples, inétendues, ne subsistent que par les corps où elles sont, en vertu de l’union qu’elles ont avec la matière.

En est-il ainsi de l'àme humaine ? N’est-elle que simple, ou bien est-elle encore spirituelle, c’est-à-dire portant en elle-même la raison de sa subsistance ?

— L’on peut, dans une démonstration, partir indifféremment d’un fait ou d’un principe, pourvu que l’on parte d’une certitude. Jusqu’ici, dans presque tous nos raisonnements, nous sommes partis d’un fait ; cette fois, ne serait-ce que par amour de la variété, nous allons partir d’un principe.

Le voici, tel qu’on l'énonçait autrefois dans l’Ecole :

« L’opération suit l'être et lui est proportionnée. » 

Cette formule, telle qu’on vient de l’entendre, n’est pas si vieillie qu’elle ait besoin, pour qu’on la comprenne, d'être traduite dans un langage plus moderne ; elle est d’une vérité si évidente qu’elle s’est imposée à tous les esprits.

M. Biichner en reconnaît formellement la valeur quand il écrit ces paroles : « La théorie positiviste est forcée de convenir que l’effet doit répondre à lu cause, et qu’ainsi des effets compliqués doivent supposer, à un certain degré, des combinaisons de matière complicjuées. » (Mutière et force, p. 218.)

M. Karl Vogt la suppose et invoque implicitement son autorité, quand il appuie un de ses raisonnements par cette oljservation :

« Encore faut-il pourtant que la fonction (les scolastiques auraient dit l’opération) soit proportionnelle

à l’organisation et mesurée par elle. » (Leçons sur l homme, 2"^ édit., p. 12.)

M. Wundt rend, lui aussi, hommage à notre principe, quand, parlant des savants, il dit : « Nous ne pouvons mesurer directement ni les causes productrices des i)hénouièncs, ni les forces productrices des mouveuionts, n)uis nous pouvons les mesurer par leurs effets. » (llibot, Psrcliologie allemande, p. 222.)

C’est vous dire ([u’aujourd’hui, comme autrefois, tout le monde reconnaît qu’on (leut juger de la nature d’un être par son opération.

Telle opération, telle nature ; tel effet, telle cause ; telle fonction, tel organe ; tel mouveuient, telle force ; telle manière d’agir, telle manière d'être. Ainsi parlent, dans tous les siècles et partout pays, la raison et la science.

Donc, si un être a une opération à laquelle seul il s'élève, à lacjuelle seul il puisse atteindre, qu’il accomplisse comme agent isolé, dégagé, libre, transcendant, cet être doit avoir une existence transcendante, libre, dégagée et qui appartienne en propre à sa nature.

Or, en regardant l'àme humaine, je lui trouve une semblable opération, je lui vois, à un moment, cette manière d’agir libre, transcendante, dégagée de la matière.

Vous me demandez quel est ce moment où je reconnais à l'àme humaine cette haute et caractéristique opération. Je réponds :

C’est quand l'àme humaine pense, et quand elle prend conscience d’elle-même et de sa pensée.

Veuillez bien suivre le raisonnement que je vais faire : Une opération est absolument immatérielle, c’est-à-dire exclut toute forme, toute actualité, toute condition intrinsèque prochaine matérielle, si elle a pour objet une réalité absolument immatérielle. Cela est hors de doute. C’est par l’opération, en effet, que la faculté atteint son objet. Supposez que l’objet et l’opération ne soient pas de même ordre, que l’objet soit d’un ordre supérieur à l’opération, qu’il soit, par exemple, immatériel et l’opération matérielle, l’opération ne pourra jamais joindre ni atteindre son objet, pas plus que ma main ne peut toucher un plafond qui me dépasse de six pieds ; l’objet sera pour l’opération et pour la faculté qui opère, comme s’il n'était pas, l’opération demeurera éternellement empêchée. Si donc une opération se produit ayant pour objet une réalité tout immatérielle, cette opération est, par nécessité, tout immatéiielle. C’est la conséquence palpable du principe de tout à l’heure, c{ue tout effet doit avoir sa cause proportionnée.

Or, quels sont les objets où s’adresse et se porte de préférence Aotre pensée ?

N’est-ce pas lajustice, l’honneur, la vertu, le droit, le devoir, le nécessaire, le contingent, l’absolu, l’inlini ? Et ces objets que vous m’entendez nommer et que vous pensez, sont-ils matériels, oui ou non ?

Le droit, le devoir, la moralité, la vertu, l’honneur, sont-ce des corps ?

Sont-ce des êtres à trois dimensions ?

Si vous définissez le droit, la contingence, la moralité, la liberté, les notions de la logique ou de la métaphysique, parlerez-vous de hauteur, de largeur, de profondeur, de moitié, de tiers, de quart, de volume ou de poids ?

Non, en tous ces objets, tels que vous et moi les doncevons, vous ne retrouverez, vous ne pourrez signaler aucune des propriétés essentielles de la matière. Ces objets sont donc tout à fait immatériels. L’acte qui les atteint, la pensée qui les conçoit sont donc tout immatériels.

Enfin, la force d’où notre pensée procède n’est donc point engagée tout entière dans le corps, mais le dépasse ; elle est dans le corps une force libre et transcendante, dans son mode d'être comme dans son mode d’agir.

Comme elle a une opération que le corps ne peut lui d(jnner, puiscpi’il n’y peut pas même atteindre, ainsi elle a une existence <iu’elle ne tient point de lui, mais d’elle-même et d’elle seule.

L’on a bien essayé dinlirmer notre i)reuve, en disant d’abord que toutes nos idées, même les plus sublinu’s, nous tiennent des sens, et ensuite que l'àme ne peut rien penser sans le concours île l’imagination et de ses images : deux faits qui établissent, dit-on, qu’elle n’a point une opération et, ])ar conséquent, point une existence transcendante. Mais cette objection est sans valeur.

Qu’importe, dans la question présente, que les idées nous viennent des sens ou d’ailleurs, et suivent ou ne suivent [)as de nos perceptions sensibles des objets matériels ? Nous ne nous embarrassons nullement, à l’heure qu’il est, de savoir quelle est l’origine de nos idées, si elles sont acquises ou innées, si elles nous viennent d’en haut, ou si elles nous viennent