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eu lieu à ce sujet sont rapportées dans Kacfmann, La finalité dans Aristote et dans Aristoteles Metaphysik de Eug. Rolfes, Leipzig, igo^. Voir ici plus loin col. 1080). Après Aristote les Epicuriens reprennent la doctrine de Démocritc, tandis que les Stoïciens développent la preuve par les causes finales, en insistant sur les particularités de l’univers, mais ils ne s’élèvent pas au-dessus d’une àuie du monde, d’un feu artiste, ttOo -/m/.6j.

Chez les modernes. Descartes, Spinoza, et après eux les évolutionnistes mécanistes font porter leurs objections sur la mineure, que Leibniz défend en insistant sur la contingence de l’ordre. Kaxt attaque aussi la majeure, de même ceux qui, comme Hartmann. se contentent, pour expliquer la finalité, d’une volonté inconsciente.

Nous allons examiner les principales objections contre la mineure : k les êtres dépoiu’vus d’intelligence agissent pour une fin » ; nous verrons ensuite celles contre la majeure : « des êtres dépourvus d’intelligence ne peuvent tendre vers une fin que s’ils sont dirigés par un être intelligent qui connaît cette fin ».

La mineure, telle qu’elle est formulée par S. Thomas, vise la finalité interne qui se remarque dans l’activité de chacun des êtres dépourvus d’intelligence pris séparément ; exemple, l’œil est pour voir, les ailes pour voler. Certains philosophes, comme les Stoïciens, n’insistaient pas moins sur la finalité externe, qui subordonnerait les uns aux autres les différents êtres : « les fruits de la terre sont pour les animaux, disaient les Stoïciens, les animaux pour l’homme, le cheval pour le porter, le bœuf pour labourer, et l’homuie pour contempler et imiter l’univers » (Cicéro.v, De natara deoriim, II, 14).

Descartes fait d’abord porter ses objections contre la finalité externe : « il n’est pas vraisemblable que l’homme soit la fin de la création : que de choses, en effet, sont maintenant dans le monde, ou y ont été autrefois et ont cessé d’être, sans qu’aucun homme les ait jamais vues ou connues, sans qu’elles aient jamais été d’aucun usage pour riiumanité ! » Lettre à Elisabeth, Ed. Garnier, t. III, p. 210. « C’est une chose absurde de prétendre que le soleil, qui est plusieurs fois plus grand que la terre, n’a été fait à d’autre dessein que d’éclairer l’homiue qui n’en occupe qu’une partie. »

A cette objection il faut répondre qu’on a souvent abusé des causes finales, et que la finalité externe des êtres nous échappe souvent. Mais la finalité interne est certaine, et Descartes lui-même le reconnaît : ’( Dans l’usage admirable de chaque partie, dans les plantes et dans les animaux, il est juste d’admirer la main de Dieu qui les a faits, et de connaître et glorifier l’ouvrier par l’inspection de l’ouvrage ; luais non pas de deviner pour quelle fin il a créé chaque chose. » Principes, I, 28. Nous voyons en effet que les organes de la vipère, comme ses actes, ont pour but sa conservation et sa reproduction (finalité interne), mais il est plus difticile de dire à quoi sert la vipère (finalité externe). Cela nous échappe, mais cette ignorance peut prouver les bornes de notre es[)rit et non pas lo non-existence de la cause finale. Cette ignorance ne nous empêche pas d’affirmer avec certitude que les yeux sont faits pour voir, les ailes pour voler, que l’hirondelle ramasse de la paille pour son nid ; le mol pour n’est pas vide de sens, il tlésigne quelque chose de réel, aussi bien que le mot par qui expriuR" la causalité efficiente.

Mais Descaries va plus loin, il reproduit la doctrine épicurienne, reprise aujourd’hui par les évolutionnistes : les causes efficientes suffisent à tout expliquer. On lit dans les Principes, III, 87 : « Quand bien même nous supposerions le chaos des poêles,

on pourrait toujours démontrer que, grâce aux lois de la nature, cette confusion doit peu à peu revenir à l’ordre actuel. Les lois de la nature sont telles en effet que la matière doit prendre nécessairement toutes les formes dont elle est capable. » Il semble d’après ce passage que Descaries, comme après lui Spinoza, soit tout disposé à reconnaître avec les épicuriens et les évolutionnistes actuels que l’oiseau n’a pas des ailes pour voler, mais seulement qu’il vole parce qu’il a des ailes, que la mère n’a pas du lait pour allaiter, mais qu’elle allaite parce qu’elle a du lait dont elle cherche à se débarrasser. Les êtres vivants, d’après Epicure, sont résultés de toutes sortes de combinaisons, parmi lesquelles il devait nécessairement s’en trouver d’harmonieuses. L’évolutionnisme avec Darwin, Spencer, H.îîckel, etc., croit expliquer la finalité apparente des êtres vivants par la concurrence vitale et la sélection naturelle. Parmi les vivants, ceux-là seuls subsistent et transmettent leur organisation à des descendants qui se trouvent être adaptés aux conditions d’existence. — W. James, nous l’avons vu plus haut, soutient que le dai’winisme a bouleversé la preuve de Dieu par les causes finales : « Les adaptations que présente la nature, n’étant que des réussites hasardeuses parmi d’innombrables défaites, nous suggèrent l’idée d’une divinité bien différente de celle que démontrait le finalisme » (Expérience religieuse, trad. Abauzil, p. 369). On sait d’ailleurs que, pour W. James, nous

« devrions accorder plus d’attention qu’on ne l’a fait

jusqu’à présent à l’hypothèse pluraliste » ou polythéiste (p. 436).

Celte négation de la finalité interne est en opposition : a) avec le sens commun, b) avec la science, c) avec la raison philosophique.

a) Dans la coordination des parties d’un organisme, d’un organe particulier comme l’œil ou l’oreille, dans la coordination des actes posés par un animal qui construit instinctivement un nid, une ruche…, le sens commun ou la raison spontanée, qui a pour objet les raisons d’être, ne peut s’empêcher de voir précisément une raison d’être qui différencie profondément ces organismes et leur activité, d’un agrégat dont les parties n’auraient qu’une union tout accidentelle. Aucune o]>jection ne détruira jamais cette certitude spontanée, qui tient à la structure même de notre intelligence ; la raison ne peut s’empêcher de reconnaître le rationnel là où elle le trouve, notre intelligence découvre de l’intelligible dans les choses, elle sait bien qu’elle ne l’y met pas. — Si l’évolulionnisle veut assimiler un organisme à un agrégat inanimé, le sens commun lui répondra avec Riskin :

« Le physicien nous dit qu’il y a autant de chaleur, 

de mouvement ou d’énergie calorifique dans une bouillotte que dans un aigle des Alpes. Très bien, très juste ; c’est très intéressant : précisément il faut autant de chaleur pour faire bouillir l’eau de la l)ouillotle que pour élever l’aigle des Alpesjusqu’à son nid. Mais nous autres peintres, tout en reconnaissant que la bouillotte et l’oiseau sont égaux et semblables à tous les points de vue scientifiques, prenons un intérêt principal à la différence de leur forme. Le fait auquel va notre attention, c’est que l’un a un couvercle sur le dos et l’autre une paire d’ailes, et que leurs becs ne se ressemblent pas, — sans parler de la distinction de volonté que les physiciens peuvent appeler un simple mode de l’énergie. La bouillotte aime à rester tranquille au coin de l’àtre ; l’aigle choisit de se suspendre dans les airs. C’est ce choix, non le degré de la température produite tandis qu’il s’accomplit, qui nous semble la circonstance intéressante. » Etliics of the Pust : cité Revue des Veux Mondes, 15 févr. 1908, p. 787.