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décomposent et sont emportées comme les autres par le flot de la vie.

Vous pensez bien que ce que M. Flourens vient de nous dire de cette muance perpétuelle du corps de l’animal, lui et les autres savants l’affirment et le démontrent du corps de l’homme. « Un animal, un homme, dit Draper (Les conflits de la science et de la religion, p. 91), est une réalité, une forme à travers laquelle un courant de matière passe incessamment. Il reçoit son nécessaire et rejette son superflu. En cela, il ressemble à une rivière, une cataracte, une flamme. Les particules qui le composaient, il y a un moment, sont déjà dispersées. Il ne peut durer qu'à la condition d’en recevoir de nouvelles. >- (V. encore Cl. Bernard, La Science expériment., 2 éd., p. 184 et s.)

Molescliott affirme la même chose, et il ajoute :

« Cet échange de matières, qui est le mystère de la

vie animale, s’opère a"ec une rapidité remarquable… La concordance des résultats qu’on a oljtenus à la suite de diverses expériences est une garantie positive de l’hypothèse d’après laquelle il faut trente jom-s pour donner au corps entier une composition nouvelle. Les sept ans que la croyance du peuple fixait pour la durée de ce laps de temps sont donc une exagération colossale. » (Circulation de la vie, t. I, p. 15.)

Quoi qu’il en soit du temps nécessaire pour le renouvcllement du corps, il est certain qu’il se renouvelle intégralement dans une période de temps relativement fort courte.

Voilà donc qui est certain et scientifiquement démontré aujourd’hui, de l’aveu de tous les savants : tout ce qui est matière en nous passe, s'écoule et change.

Tout homme adulte a changé de corps, non pas seulement plusieurs fois, mais un grand nomlire de fois, de telle sorte qu'à l'âge où il est arrivé, il ne possède plus rien, pas une seule molécule de son premier corps.

Mais quoi ! n’existe-t-il pas quelque chose en nous qui ne passe point et qui ne change point ?

Quand vous remontez, à l’aide de la réflexion et du souvenir, le cours de vos événements personnels, quand vous suivez du regard toute cette série de faits si divers qui forment comme la trame de votre existence passée, les états intérieurs qui se sont succédé en vous, non moins variés que les circonstances extérieures ; malgré tous les changements arrivés en vous et autour de vous, votre conscience ne vous dit-elle pas qu’un élément, une réalité est demeurée en vous immuable et identique, que vous retrouvez au dedans de Aous-même un quelque chose qui a été le sujet et le témoin de tous ces événements intimes, qui le constate et l’affirme à cette heure ; et ne dites-vous pas : je fus triste et /e sais heureux ; je fus ennemi du travail, je suis laborieux ; ye fus indifférent pour la science, je suis désireux de m’instruire ; je fus im enfant, ye suis un homme.

Oui, votre conscience vous montre et vous fait entendre ce quelque chose de permanent et de stable qui dit et répète sans cesse, et à tout propos, ces deux paroles d’un sens si profond : Je fus, je suis. Votre conscience affirme que votre moi, dans le fond, est demeuré identique jjendant toute votre existence.

Si donc, d’autre part, la science affirme, avec une égale certitude, que de toute la matière dont votre corps était formé au début et pendant la première période de votre vie, il ne reste plus un atome ; que conclure ? sinon que ce qui se nomme moi, ce qui dit je, ce qui se souvient, ce qui compare son état présent avec ses états passés, l'àme, enfin, n’est point de la

matière, et ne participe pas plus à la nature de la matière qu’elle n’est soumise à ses lois.

Donc l'àme n’est point matière : donc l'âme n’est point le cerveau ni aucune partie du corps.

— Elle en est le type, elle en est la forme, a-t-on répondu. Le type du corps humain est toujours le même, il ne change pas. On peut donc soutenir tout à la fois que l'àme est quelque chose de matériel et qu’elle demeure cependant toujours identique. — Ne parlant pas latin, je dois m’abstcnir de donner à cette objection, que d’aucuns font très gravement, le qualificatif qu’elle mérite. Mais il m’est bien permis de dire que son inventeur la formula siirement à un moment de distraction, et qu’il faut se trouver dans un état mental semblable pour la répéter.

D’un seul mot, en effet, Ion perce à jour ce misérable sophisme. Le type du corps humain reste le même, dites-vous, — non pas numériquement le même, s’il vous plaît, mais spécifrrjueme ?it le même.

— Pout-on dire que deux hommes portent le même habit ? Oui, à condition d’entendre que ce n’est pas le même habit numériquement, mais spécifiquement.

C’est le même habit que portent deux hommes, parce que leurs deux habits sont d'étolFe semblable et de coupe semblable. Mais il y a réellement deux habits, et même deux étoffes et même deux coupes. Ainsi, quand nous changeons de corps, nous changeons d’habit, et en changeant ainsi d’habit, l’habit, l'étoffe, la coupe, c’est-à-dire le type, en réalité, se multiplient.

— Mais nous ne changeons pas de corps, comme nous changeons d’habit, tout d’un coup, en une seule fois.

— Cette réplique m’oblige à développer ma comparaison, mais l’on n’y gagnera rien.

Je connais un avare qui, pour ne point acheter d’habit neuf, fait sans cesse réparer l’ancien. Un jour, on lui change la première manche, un autre la seconde, un troisième, autre chose, et de la sorte, au bout d’un certain temps, Ihabit a été tout entier renouvelé pièce par pièce. En fait, ce renouvellement terminé, l’avare a-t-il toujours le même habif^il n’a pas le même numériquement quant à l'étoffe, c’est évident. Mais, quant à la coupe, quant au tj’pe ? La coupe de chaque pièce rapportée est-elle « MzHe’rjfyHemeni différente de la coupe ou type de chaque pièce remplacée ? C’est encore évident, et il ne l’est pas moins que toute la coupe, tout le type de l’habit s’est renouvelé successivement, tout aussi réellement que l'étoffe elle-même.

Vous n’arrivez donc point, avec votre type, qui ne demeure toujours le même que dans votre idée, à ce quelque chose de permanent, de numériquement un et d’identique, qui survive en nous au changement, et le comprenne et le dise.

Inutile de faire observer que ce fait de l’identité du moi, persistant au milieu du renouvellement incessant et intégral du corps huuiain, renverse à lui seul, non seulement cette théorie du type constant ou forme permanente, mais encore les hypothèses analogues de Simmias, d’Alexandre, d’Aphrodise et de Galien. (Sum. conf. gent., liv. II, ch. 62, 63, 64.)

4° Reste cette quatrième question à résoudre : L'àme humaine est-elle spirituelle ?

Quand nous recherchons si l'àme est spirituelle, nous n’entendons nullement qu’il puisse y avoir du plus ou du moins dans cette négation ou absence de parties qui fait l'être simple. La spiritualité n’est pas le moins du monde, suivant nous, un degré de simplicité. C’est une propriété d’un genre tout divers. Simplicité dit : absence de parties ; spiritualité : manière d’exister indéjiendante d’une substance conjointe. Pour que l'àme humaine soit simple, il suffit qu’elle n’ait point de parties ; pour qu’elle soit spiri-