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remonter à l’infini dans la série des moteurs actuellement et essentiellement subordonnés. Il faut donc s’arrêter à un premier moteiu" qvii ne soit mù lui-même d’aucun genre de mouvement.

La première proposition « Tout ce qui est mù est ma par un autre » est fondée sur la nature du mouvement ou du devenir. Comme nous l’avons montré plus haut (col. 986 et 996) le devenir est l’absence même d’identité, c’est une union successive du divers (ex. : ce qui est ici est ensuite là, ce qui est blanc devient gris, l’intelligence ignorante acquiert peu à peu des connaissances, devient plus ijerspicace, etc.). Cette union successiA’e du divers ne peut être inconditionnelle, le nier ce serait nier le principe d’identité et dire que des éléments de soi divers peuvent de soi être quelque chose d’un, que l’ignorance qui, de soi, n’est pas la science, ni unie à la science, ni suiA’ie de la science, peut, de soi, en être suivie. Dire que le dcvcnir est à lui-même sa raison, c’est mettre la contradiction au j)rincipe de tout (cf. col. 987).

Si nous étudions plus profondément le devenir, nous voyons non seulement qu’il n’est pas inconditionné, mais qu’il requiert une cause déterminée ou en SLCte. En effet, si l’on considère ce qui devient, on est obligé de dire qu’il n’est pas encore ce qu’il sera (ex ente non fit ens, quia jam est ens), et qu’il n’est pas non plus le néant absolu de ce qu’il sera (ex nihilo nihil fit), il faut au moins qu’il puisse être ce qu’il sera ; ex. : cela seul sera mû localement qui est suscei> tible de se mouvoir ; sera chauffé, éclairé, aimanté, qui est susceptible de l’être ; l’enfant qui ne sait encore rien peut savoir, et par là diffère réellement de l’animal ; cela seul enfin sera réalisé qui est capable d’exister et ne répugne pas dans les termes (en ce dernier cas une puissance réelle n’est pas requise, mais il faut une possibilité). Le devenir est donc le passage de la puissance à l’acte, de l’indétermination à la détermination. Mais ce passage, qui n’a pas en soi sa raison, qui n’est pas inconditionné (la puissance n’est pas par soi en acte, l’union inconditionnée du divers est impossible), a besoin d’une raison d’être extrinsèque et d’une raison d’êti-e extrinsèque actualisatrice ou réalisatrice. C’est ce que nous avons aiipelé la cause efficiente (cf. plus haut col. ggo), et nous avons montré la nécessité et la double valeur objective et transcendante du principe de causalité (cf. col. 993 et 1010). Cette raison d’être réalisatrice, pour réaliser doit être réelle, pour actualiser doit être actuelle, pour déterminer doit être déterminée, c’est-à-dire qu’elle doit avoir en acte ce que le devenir n a encore qu’en puissance ; le nier, c’est dire que le plus sort du moins, ou, ce ([ui revient au même, que l’être sort du néant. C’est ce que S. Thomas exprime par la formule « yihil movetur, nisi secundum quod est in potentia ad illud ad quod movetur ; mos’et autem aliqaid, secundum quod est actu ».

Si maintenant il est impossible qu’un même être soit en même temps en puissance (indéterminé) et en acte (déterminé) sous le même rapport ; il est également impossible qu’un même être soit sous le même rapport moteur et mù ; si donc il est en mouvement, il est mù pai’un autre être, à moins qu’il ne soit en mou’ement que sous un rapport, dans une de ses parties, et alors il peut être mù par une autre de ses parties ; c’est ce qui a lieu dans le vivant et à plus forte raison dans l’être sentant et dans l’être intelligent. Mais cette partie motrice, à son tour, étant sujet d’un mouvement d’un autre ordre, demande un moteur extrinsèque ; par où l’on voit que tout êire est mù par un autre.

La seconde proposition « On ne peut remontera l’infini dans la série des moteurs actuellement et essentiell &ment subordonnés » repose sur la notion même

de causalité et nullement sur l’impossibilité d’une multitude infinie et innombrable. Avec Auistote, S. Thomas, Leibniz, Kant, nous ne voyons pas qu’une série infinie de moteurs accidentellement subordonnés dans le passé soit contradictoire, on ne peut démontrer que la série des générations animales ou des transformations de l’énergie a eu un commencement au lieu d’exister ab aeterno (cf. I », q. 46, voir plus haut, col. 965). Ce qui répugne, c’est qu’un mouvement existant en fait puisse avoir sa raison suffisante, sa raison d’être actualisatrice dans une série de moteurs qui ne compterait que des moteurs mus ; si tous les moteurs reçoivent l’influx qu’ils transniettent, s’il n’y en a pas un premier qui donne sans recevoir, le mouvement n’aura jamais lieu, car il n’aura jamais de cause. « Multipliez les causes intermédiaires jusqu’à l’infini, ^ ous compliquez l’instrument, Aous ne fabriquez pas une cause ; vous allongez le canal, vous ne faites pas une source. Si la source n’existe pas, l’intermédiaire reste impuissant, et le résultat ne saua*ait se produire, ou plutôt il n’y aura ni intermédiaire, ni résultat, c’est-à-dire que tout disparait. » Sertillaxges, Les Sources de la croyance en Dieu, édit. in-8’^ p. 65. — Vouloir se passer de la source, c’est dire qu’une montre peut marcher sans ressort, pourvu qu’elle ait une infinité de roues, « qu’un pinceau peut peindre tout seul pourvu qu’il ait un très long manche ». C’est en venir à nier notre première proposition, c’est dire que le devenir est à lui-même sa raison, que l’union inconditionnelle du divers est possible, que le plus sort du moins, l’être du néant, que ce qui n’est pas par soi n’a pas besoin de se rattacher à ce qui est par soi.

Mais il ne saurait y avoir nécessité de s’arrêter dans la série des moteurs passés, puisqu’ils n’exercent pas d’influence sur le mouvement actuel qui est à expliquer ; ce sont des causes per accidens (cf. plus haut, col. 962). Le principe de raison sufiisante ne peut obliger à terminer cette série de causes accidentelles, mais seulement à en sortir, pour s’élever à un moteur d’un autre ordre, non prémù, et en ce sens immobile, non pas de cette immobilité delà puissance qui est antérieure au mouvement, mais de cette immobilité de l’acte qui n’a pas besoin de devenir parce qu’il est déjà. (Immotus se permanens.)

Par ces deux principes appliqués à un mouvement quelconque, on s’élève à un premier moteur qui n’est mû lui-même d’aucune espèce de mous’ement. Il faut bien remarquer que le mouvement physique, non pas en tant que mouvement, mais en tant que physique, n’exige qu’un moteur immobile au point de vue physique, par exemple une àme du monde ; mais cette àme elle-même est-elle sujet d’un mouvement spirituel, y a-t-il en elle un devenir ? Celte apparition de quelque chose de nouvcau, ce fieri suppose une puissance active qui n’était pas son actÏAité, qui même n’agissait pas, mais qui seulement pouvait agir ; il a donc fallu pour la réduire à l’acte un moteur supérieur. Si ce moteur lui-même est mù, la question se repose ; il faut en fin de conqjte, en s’élevant dans la série des moteurs essentiellement subordonnés, aboutir à un premier qui agisse jiar soi, qui puisse rendre compte de l’être même de son action. Mais celui-là seul peut rendre compte de l’être de son action qui de soi la possède non seulement en puissance mais en acte, qui par conséquent est son action même, son activité même. Un pareil moteur c : il absolument immobile, en ce sens qu il a déjà par soi ce que les autres acquièrent par le mouvement ; il est par conséquent essentiellement distinct de tous les êtres mobiles, corps ou esprits. C’est la première réfutation du panthéisme :

« Beus cum sit… gmxino ingommutabilis, 

prædicandus est re et essentia a mundo distinctus »,