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DIEU

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2° Avec la connaissance intellecluclle, le passage du moi au non-moi n’est plus seulement spontané, mais réfléchi, et moi et non-moi sont connus précisément comme tels. C’est en réalité le tout premier morcelage de l’être en objet et sujet, en être absolu (entitatit) et être intentionnel. Dans sa première appréhension, l’intelligence connaît l’être, le quelque chose qui est, avant de se connaître elle-même (comment se connaîtrait-elle à vide, alors qu’elle n’est encore l’intelligence de rien ?). Dès lors, dans cette première appréhension, l’intelligence connaît l’être sans le connaître précisément comme non-moi. Puis, par réflexion sur cet acte direct, elle se connaît elle-même comme relative à l’être, intentionnelle. Elle juge alors l’être comme distinct d’elle, comme nonmoi (S. Thomas, De Veritaie, q. i, a. i et g, et q. 2, a. 2). Ce morcelage de lêtre en être absolu et être intentionnel n’est pas le moins du monde utilitaire, il s’impose sous peine de rendre l’intelligence inintelligible à elle-même, dans chacune de ses trois opérations.

Ce n’est donc pas le réalisme ontologique qui est

« absurde et ruineux « , c’est l’idéalisme qui est absolument

impensable. Une représentation qui ne serait la représentation de rien, serait à la fois et sous le même rapport un relatif et un non-relatif. L’idéalisme n’est pas moins ruineux qu’il est absurde : il enferme l’homme en lui-même, lui interdit de connaître jusqu’à la réalité de sa propre action, il détruit ainsi toute connaissance et nous rend semblables à la plante, cuotî ; pi/TÔi (IV Met., c. ti). A moins qu’il ne prétende que la pensée humaine, comme la pensée divine, s’identifie avec l’être, mais alors dès toujours l’homme doit être omniscient, il ne peut y avoir pour lui aucun mystère (S. Thomas, Summa Theol., I », q. 7g, a. 2). Dieu ou plante, il faut choisir.

Entre la i)hilosophie antique et l’idéalisme, la question est donc de savoir si oui ou non nous sommes certains de l’objectivité du principe d’identité ou de non-contradiction (objectivité mise en doute par Descartes au début du Discours sur la méthode), s’il est évident pour nous que l’absurde n’est pas seulement impensable, mais qu’il est encore impossible (l’impossible est un au-delà par rapport à l’impensable). C’est là pour nous une évidence, la toute première, antérieure et supérieure à celle du « cogito » ; nous nous sentons dominés et mesurés par elle, c’est-à-dire par l’être évident ; et dans cette toute première adhésion, notre intelligence de créature s’apparaît comme potentielle et conditionnée (cf. Lepidi, Ontologia, p. 35).

Dans ses Dilemmes de la métaphysique pure, p. 2, Renouvier, après plusieurs autres, mettait encore une fois en doute l’objectivité du principe de noncontradiction. Il nous suflit de répondre avec M. Evel-LiN (Congrès de Métaphysique, Paris, igoo, p. 1^5) :

« Si la loi de non-contradiction s’imposait à la pensée

mais non pas au réel, l’être perdrait précisément ce qui le fait être, c’est-à-dire son identité avec lui-même, et par conséquent il ne serait plus. Tout disparaîtrait dans un insaisissable écoulement… Le principe d’identité n’est pas seulement l’exigence essentielle de la pensée, c’est lui-même qui constitue la nature en l’affranchissant en son fond du phénomène. >. Le principe de substance n’est en effet, nous l’avons vu, qu’une de ses déterminations. Les principes de raison d’être et de causalité, se rattachant à lui par une réduction à l’absurde, ont une valeur objective comme lui, sont lois de l’être comme lui.

A la vérité, nous n’avons pas prétendu donner une démonstration directe de l’objectivité de notre intelligence, ou de celle du principe d’identité. Cette démonstration directe impliquerait nécessairement

une pétition de principe, et par ailleurs ce qui est évident de soi comme un premier principe n’est pas susceptible de démonstration directe. Mais, comme la nécessité des principes, leur objectivité se démontre indirectement ou par l’absurde, c’est ce que nous avons fait en énumérant les quatre nécessités de droit et de fait qui nous obligent à partir de l’être. Cette démonstration par l’absurde ne satisfait pas pleinement l’intelligence, parce qu elle ne donne pas l’évidence intrinsèque de la chose, mais comment donner à une vérité cette évidence lorsqu’elle la possède déjà ? (Cf. col. g92 et 99/1)

130 Le principe de causalité a-t-il une valeur non seulement ontologique mais transcendante ? — La quatrième antinomie. — Nous n’avons jusqu’ici défendu que la nécessité et la valeur objective ou ontologique des principes métaphysiques d’identité, de raison d’être, de causalité, de ûnalité, qui servent de fondement éloigné, prochain et immédiat aux preuves de l’existence de Dieu. Nous voyons que ces principes ne sont pas seulement le résultat d’associations maintes fois répétées, ni de simples lois nécessaires de la pensée, ils portent non seulement sur les phénomènes (internes et externes) mais sur Vctre. L’empirisme et le conceptualisme subjectiviste de Kant, loin de rendre intelligibles les faits de raison que nous avons constatés, les suppriment. Seul le conceptualisme réaliste traditionnel, ou la philosophie de l’être, les maintient et les explique.

Ici surgit une difficulté nouvelle : le principe de causalité va-t-il nous permettre de nous élever des êtres finis à cet être infiniment parfait, distinct du monde, transcendant, auquel nous pensons quand on prononce le nom de Dieu ? Le principe de causalité va-t-il nous autoriser à mettre le petit nîot est devant, la définition nominale de Dieu : une cause première, distincte du monde, infiniment parfaite est ? — Kant ici encore prétend que non. Selon lui, le conceptualisme réaliste qui croit posséder une intuition de l’intelligible (substance, cause, fin) s’engage en fait, lorsqu’il veut poser les problèmes de l’ordre intelligible, dans des antinomies. — Nous n’aurons à nous occuper directement que de la quatrième antinomie kantienne, mais il n’est pas inutile de rappeler brièvement la solution des trois autres, dont on peut tirer autant d’objections contre les preuves de l’existence de Dieu.

Pour ce qui est de la première antinomie, le monde a-t-il commencé ou existe-t -il fl A aeterno ? nous avons dit lîlus haut avec S. Thomas (P, q. 46) qu’on ne peut démontrer ni la thèse ni l’antithèse, et que seule la révélation peut nous renseigner sur ce fait qui dépend uniquement de la liberté divine. — La seconde antinomie, sur la substance corporelle, se solutionne par la distinction de la puissance et de l’acte ; nous l’avons indiqué plus haut à propos du principe de substance. — La troisième antinomie, qui concerne la liberté humaine et par voie de conséquence la liberté divine, se solutionne aussi par la distinction de puissance et acte. Le motif qui détermine l’acte libre est une raison relativement sulfisante, mais non pas absolument sulTisante, parce qu’il n’y a pas de raison suflisante infailliblement déterminante pour passer du bien universel et sans limite, qui spécifie la volonté, à tel bien particulier plutôt qu’à tel autre. Deux biens partiels, si inégaux soient-ils, sont tous deux mélangés de puissance et acte, et par là également à l’infini tous les deux du bien total qui seul est pur acte (nous avons longuement développé ce point dans la Revue des sciences phil. et ihéol.,

« Intellectualisme et liberté chez S. Thomas n.oct. 1907